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[Originele teksten]
Les Cloches
D'autres cloches sont des béguines,
Qui sortent l'une après l'autre, de leur clocher,
Tel qu'un couvent, à matines,
Et se hâtent dans un cheminement frileux
Comme s'il allait neiger,
Cloches cherchant les coins de ciel qui restent bleus.
Il en est, en robes de bronze,
Et s'éloignent, geignant des plaintes indistinctes
Et des demandes sans résponse.
Il en est qui vivotent seules,
Dans la tristesse et le brouillard;
Et qui ont toujours l'air,
D'autres encore sont des cloches épiscopales
Qui, dans les brumes pâles,
Ont le mépris des carillons légers,
Trop frivoles vraiment, vraiment trop passagers;
Et, pour les absorber, elles font violence
- En un grand tintement final -
A l'air qui tremble d'avoir mal
Et frappent, comme à coups de crosse, le Silence.
J'ai lu que les poètes, en Chine, sont très doux,
Et qu'il y en a un qui est mort de la lune;
Et les Chinois ne disent pas qu'il était fou
Car c'est chez eux une aventure assez commune.
J'ai lu qu'ils s'enivraient de vin et de la lune,
Et leurs vers se balancent comme de longs bambous
Entre l'eau de leur coeur et les brouillard de plume
Qui s'accrochent dans leur pays un peu partout.
Leur âme frêle et sombre, printanière et fidèle,
Fend le ciel et le fleuve comme un vol d'hirondelle,
Et les larmes qui glissent sur la soie de leurs manches
Sont des feuilles de saule, fines, longues et tendres.
Peut-être est-ce un Chinois qui m'a mis dans le coeur
Cette chanson de l'eau, de la lune et des fleurs
Et ce doux paysage en noir et en couleur
D'un jonc qui tremble au vent dans la main d'un pêcheur.
Peut-être que mon coeur est un peu bien chinois
Et mourra de la lune un beau jour comme un autre...
Et qu'est-ce qu'on dira, et qu'est-ce qu'on dira
De l'aventure dans un pays comme le nôtre.
La Gaule blanche, Mercure de France, 1903.
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L'âme du boulanger
Mon âme et moi, nous nous voyons très peu:
Elle a sa vie et ne m'en parle guère.
Je connais mal ses loisirs oublieux,
Moi, je n'ai pas le temps; j'ai mes affaires.
Un boulanger, ça ne dort pas beaucoup;
Toujours le four qui ronfle et la levure
En mal d'amour dans la pâte au long cou.
Pâte et pétrin, voilà mon aventure.
Ma pâte est chair que j'engrosse des mains,
Ma forte fille au ventre chaud et grave,
Ma femme lisse et ma pliante esclave,
Tous mes élans aboutis jusqu'au pain.
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Moines Doux
Il est des moines doux avec des traits si calmes,
Qu'on ornerait leurs mains de roses et de palmes,
Qu'on formerait, pour le porter au-dessus d'eux,
Un dais pâlement bleu comme le bleu des cieux,
Et pour leurs pas foulant les plaines de la vie,
Une route d'argent d'un chemin d'or suivie;
Et par les lacs, le long des eaux, ils s'en iraient,
Comme un cortège blanc de lys qui marcheraient.
Ces moines, dont l'esprit jette un reflet de cierge,
Sont les amants naïfs de la Très Sainte Vierge,
Ils sont ses enflammés qui vont la proclamant
Etoile de la mer et feu du firmament,
Qui jettent dans les vents la voix de ses louanges,
Avec des lèvres d'or comme le choeur des anges,
Qui l'ont priée avec des voeux si dévorants
Et des coeurs si brûlés qu'ils en ont les yeux grands,
Qui la servent enfin dans de telles délices,
Qu'ils tremperaient leur foi dans le feu des supplices,
Et qu'Elle, un soir d'amour, pour les récompenser,
Donne aux plus saints d'entre eux son Jésus à baiser.
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Zangra
Je m'appelle Zangra et je suis lieutenant
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D'où l'ennemi viendra qui me fera héros
En attendant ce jour je m'ennuie quelquefois
Alors je vais au bourg voir les filles en troupeaux
Mais elles rêvent d'amour et moi de mes chevaux
Je m'appelle Zangra et déjà capitaine
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D'où l'ennemi viendra qui me fera héros
En attendant ce jour je m'ennuie quelquefois
Alors je vais au bourg voir la jeune Consuelo
Mais elle parle d'amour et moi de mes chevaux
Je m'appelle Zangra maintenant commandant
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D'où l'ennemi viendra qui me fera héros
En attendant ce jour je m'ennuie quelquefois
Alors je vais au bourg boire avec don Pedro
Il boit à mes amours et moi à ses chevaux
Je m'appelle Zangra je suis vieux colonel
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D'où l'ennemi viendra qui me fera héros
En attendant ce jour je m'ennuie quelquefois
Alors je vais au bourg voir la veuve de Pedro
Je parle enfin d'amour mais elle de mes chevaux
Je m'appelle Zangra hier trop vieux général
J'ai quitté Belonzio qui domine la plaine
Et l'ennemi est là je ne serai pas héros
L'autre divague et court la prétentaine!
Quand son museau se blottit sous mes bras,
Je sens un souffle étreint d'histoires vaines
Au lendemain de quel fol opéra!
Comment savoir d'où lui viennent ces robes
Où parfois brille une grenaille en feu
Et qui ressemble aux rayons de ces globes
Qu'on voit cligner dans l'épaisseur des cieux.
Moi, ruminer ses conseils saugrenus,
Moi, l'écouter, faisant la bête ou l'ange?
Elle exagère! Et l'instant est venu
Que je me plonge à fond dans ma boulange.
Ah! pauvre jeune biche, âme farouche,
Dors bien, mais dors. Et n'ouvre pas les dents.
Promène un peu tes cheveux sur ma bouche,
Puis laisse-moi. La farine m'attend.
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