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La reine des murs
I
Cela va mieux? - Cela, c'est un cimetière fleuri, c'est une fleur de cimetière, - c'est elle - et je l'aime à tire-larigot, - comme un veston la nuit aime la chaise - et je n'ai pas de boutonnière. - Mais enfin, en trois ans de temps? - En effet: trois ans de temps et de rien d'autre - qu'un baiser que je porte - comme l'insigne d'un parti dissous. - C'est une couche de poussière - sur une couche de poussière, - sur des lèvres que ferme de la poussière - et que j'ouvre pour lire gloutonnement - de la poussière. - Ce n'est guère de la fumée. - Ce n'est pas court comme l'ombre du soleil de sept heures. - Ce n'est guère de la cendre, - où ce qui était habite ce qui est. - Ce n'est pas une jolie tête de jivaro - que je pourrais aimer jusqu'à la mettre, - après trois ans de guillotine. - C'est donc la poussière d'un baiser - entre des lèvres de poussière. - Conjuguez-vous toujours je-suis - de-la - poussière-et-je-serai-de-la-poussière? - Je ne conjugue plus ni je ni être.
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II
Ne me demandez pas son photomaton. - Elle était à cheval - sur oui, non et je-ne-sais-pas, - jockey du vent. - Les bras comme des flêches, - les lèvres bossues, - et les jambes aussi, - le coeur aux yeux, - une épingle sans tête, - des yeux pour ne pas voir - qu'on regarde pour voir - et ne la voit pas, - la reine des murs, - un caillou de satin. - C'était une fleur de cimetière, - c'est un cimetière fleuri. - Les fougères d'une petite décision calme - me donnèrent à manger. - Ecoutez hennir les chevaux sans avoine - d'un désir qui trouverait la fin de la fin de la mer. - Ses cheveux? - Des cheveux de marée de coquillages - devant la mer de sable, - des cheveux de longueur, - le beau en jupes courtes - à ses côtés des mains
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fermées. - Je l'appelais Gordienne. - Elle avait la même voix que les imprimeries - les jours d'émeutes. - Je l'écoutais bouger - comme une pièce que l'on jette - à pile ou face, - et qui s'accroche à l'immobile oiseau qui passe. - Elle avait certes des maux de dents, - qui n'étaient que les miens, - mais ses joues étaient joueuses. - Mais j'en suis revenu des anatomies. - Et des autopsies, - puisque je vais d'une pièce à la mort.
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III
Et... - Moi, j'avais un raglan gris et grand, - l'âme lavée de tous scrupules et sale comme - un scrupule, - le front déridé, - les jambes décidées, - mais tous les jours un écho sourd - me jetait un lasso autour du cou; - aujourd'hui, regardez ce tas de cordes, c'est mon cou. - Chaque miroir où je me suis miré - possède un peu de mon coeur soulevé. - Je pleure comme un oignon. - Plein d'espoir? - J'étais un gros plein de soupe d'espoir; - aujourd'hui les pèse-lettres en riant disent que je suis peu de chose. - Encore un trou? - Un trou que chatouille - la pâquerette de ce baiser-là, - de ce baiser qui lorsqu'il était là - n'avait pas de nom.
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IV
Moi qui dois vous poser des questions, - devant tant de réponses, - je ne peux vous dire que ‘s'il vous plaît’? - C'est ça, - je vous félicite: parlez un peu plus, - j'ai la langue trop sèche, - trop lourde d'un salive de villes bombardées. - S'il vous plaît, - ce fut borgne, - ce fut s'il, - horizon, - patin joli à roues carrées, - plume en manche. - Tout cela qui fut est gracieux, - mais la réalité est en épines de glu, - et le ciel, - lait, miel, pain, vin, lie, - est à pilules pâles. - J'aimais aussi les grisous, - les coups de rue, - les gueules cassées, - les quatre fers en l'air, - le pain cuissu, - j'aimais les trop. - Je me disais: - ‘Rien n'est beau que le trop, le
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trop seul est aimable’ - et je galopais. - Je fus trop sans, - trop avec, - je tropais. - Ce fut nègre et doré, - ce vacarme de dieu qui porte à chaque doigt de chaque main mille verres d'alcool pur. - Et puis apres? - Je vis derrière le haut, le large et le gros, - le bas, le petit et le mince agiter les ficelles. - Il n'y a de trop véritable - qu'à deux temps.
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V
Et puis? - Se rouvrit la porte - dans laquelle je vivais, - s'ajouta un barreau à l'échelle de mourir. - Je bus. - Je mangeai. - Des vautours de temps et d'août - tournèrent - à quelques centimètres de moi. - Entre le premier et le deux du mois je pensais à l'année, - et il y avait une première et une deuxième année. - Elle, - je ne vois qu'un mot, - elle vaquait, - l'apparence sautillante, - habillée de babil. - Tout n'était pourtant que guillemets, - le souvenir ne tirait rien du puits, - rien que les sautillements de l'eau, - les scintillements d'une étoile, - l'ombre un peu fièvreuse encore, - bordée d'un peu de feu, - de l'ancien sommeil vivant - où la joie n'avait compté - ni les points ni les chutes. - Rien ne tombait, - ne se levait. - Comme s'il fallait qu'il y eût - entre le présent et la blessure - un pas de danse de clerc - pour faire le point lentement. - Il n'y a de vraie vie qu'à un temps.
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VI
Quittez cette entrechambre et parlez de l'une, - vous, L'autre. - Volontiers. - Ce sera l'idée d'une fleur dans un cimetière d'ailleurs fleuri déjà. - Je l'invente et l'inventer c'est revoir à l'aveuglette éblouissante - le petit peu d'invisible qui reste, - le gosier brûlant comme une étape. - La mémoire a mille et un moyens de se tromper - pour ne perdre aucune maille - et pour que le tissu continue de se froisser, - de se tendre. - Je me souviens d'un millimètre de bouton qu'elle avait sur le nez - un jour, - et qui fit qu'elle me dit au revoir; - et
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chacun de ses au revoir - était un adieu; - il y a toujours un millimètre stupide de démesure - sur le visage, - qu'il soit blanc, qu'il soit noir ou doré, - du monde, - salade sans coeur. - Je me souviens - en traversant mille et un je-me-souviens usés comme les journaux de la veille - par temps d'émeutes, - de sa main qui était comme un poignet, - de ses cheveux comme un gant de tête, - et du soleil quand on s'éveille à la campagne le matin, - et du soir où elle me dit quelque chose, - et je ne sais plus quoi, - et du soir où elle ne put rien dire, - et je pourrais le dire, - et du soir où elle ne dit rien, - et de toute la campagne.
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VII
Je doute que ce soit du langage, - c'est elle, l'une - sur elle, la seconde, - devant moi, l'autre; - c'est comme un visage à trois regards qui louchent - vers les coins - où seul le vide - porte le bonnet d'âne. - Dites, parlez encore un peu, je suis fatigué. - Il parle, Lautre, - il parle ainsi, - mais il lui arrive de mentir, - et de rire, de toute éternité. - Il considère la vie comme un treillis - peint de trois couleurs - dont l'une égale les deux autres. - Il lui arrive de piaffer sur la corde raide qu'il aime - comme une infirmière laide, - la mort alors légère et tiède - comme un insecte à l'oreille, - de bouger les masques et les marques, - de faire allusion et illusion, - de se dire: Le tabac est mauvais, mais le feu est bon. - Il distingue, ainsi, - se divise et se multiplie. - La vie a des coutures.
christian dotremont
Paris, 1942
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