Tiecelijn. Jaargang 11
(1998)– [tijdschrift] Tiecelijn– Auteursrechtelijk beschermd
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Le Pays de Reynaert‘Onze Reynaert op het spoor’ (Sur la trace de notre Reynaert), tel est le titre donné par Jozef Goossenaerts à l'une de ses études consacrée à Reynaert, parue dans Wetenschappelijke tijdingen. En Flandres, Van den vos Reynaerde est souvent qualifié de ‘typiquement flamand’, de ‘bien de chez nous’. Il arrive alors que ces remarques s'accompagnent d'affirmations peu nuancées, mais proférées d'une voix assurée, définissant Oost- et Zeeuws-Vlaanderen comme cadre géographique à la naissance et au déroulement de l'histoire. Cette identification de Van den vos Reynaerde à une région est intéressante, mais le fait qu'une oeuvre littéraire, ou une figure littéraire, soient liées à une ville, à une contrée, n'a rien d'extraordinaire et n'est nullement typique de la région néerlandophone. Il suffit de penser au culte de Guillaume Tell en Suisse ou à la glorification de Robin Hood dans la forêt de Sherwood, à proximité de Nottingham. Plus près de chez nous, nous trouvons dans la région néerlandophone, des personnages historiques tels que Jacob van
III. 1. Le Pays de Raynaert: les conjurés en route pour Hijfte (Lochristi, 1997).
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Maerlant, des figures imaginaires et littéraires comme Tijl Uilenspiegel, Nele et Lamme Goedzak, tous domiciliés à Damme. Mais ce phénomène ne se restreint pas à des textes anciens. La littérature ‘moderne’ compte, elle aussi, ses lieux de culte: Gezelle est lié à Bruges, Roeselare et Courtrai; Boon à Alost et (dans une moindre mesure) à Gand. Felix Timmermans c'est Lier et Lier, c'est Felix Timmermans. Qui dit Zichem, dit Ernest Claes. En 1998, Londerzeel était totalement sous la marque de Gerard Walschap. A Anvers, on honore tout particulièrement Van Ostaijen et Elsschot au moyen de manifestations, de promenades et de statues. On a même pu assister à un happening sur la tombe de l'auteur de Bezette stad (Ville occupée), précocement disparu. L'ouest des Flandres s'identifie à Guido Gezelle, Stijn Streuvels et Hugo Verriest. Aux Pays-Bas, on n'échappe pas à Vestdijk, lorsqu'on est à Harlingen, ni à Huygens et Couperus lorsqu'on se trouve à La Haye. Dans d'autres régions linguistiques, pareil intérêt est suscité par les rapports entre les artistes et leurs lieux d'origine, ainsi que par les localités, où se déroulent leurs récits. En Angleterre, un écrivain, même moyennement doué, résidant brièvement quelque part durant ses vacances, est assuré d'obtenir toute une série de plaques commémoratives à titre posthume. Il ne nous semble pas que ces modèles d'identification disparaissent; au contraire, ils sont utilisés pour attiser tourisme et commerce. Prenons, par exemple, le petit mais impressionnant musée des Canterbury Tales, à Canterbury. En Flandres, ce genre de musée littéraire existe également, à l'image de celui d'lngooigem, consacré à Streuvels et de celui de Saint-Amand sur l'Escaut, consacré à Verhaeren. Il faut aussi citer cette nouvelle tendance que représentent les guides touristiques littéraires, qui se sont fait une place dans le marché des guides de voyage. Ces différentes formes de tourisme culturel illustrent un phénomène populaire, datant de la fin des années 80. Heureusement, le mot ‘tourisme’ ne provoque plus l'effroi dans les cercles cultivés, il n'est plus un tabou. Culture et tourisme se sont faits l'un à l'autre, de sorte que le tourisme appartient désormais à une définition élargie de la culture, en tant qu'ensemble de moyens permettant à l'être humain de se cultiver toujours davantage. L'enrichissement mutuel que se prodiguent culture et tourisme s'avère profitable à bien des égards. Le tourisme culturel procure plaisir et repos à l'esprit, rend l'homme moderne conscient de son riche bagage culturel et critique face à la société de consommation, en perpétuel manque de temps, d'esthétique et de respect envers l'homme et la nature. Le tourisme culturel ne peut stopper la détérioration des rapports humains et la destruction des paysages, mais il permet peut-être une prise de conscience, et pourquoi pas, un endiguement. Et par-dessus tout, il améliore les connaissances littéraires. Si ce tourisme culturel peut compter sur un soutien de la science (même minimal), lorsqu'il s'agit d'ouvrir une région au tourisme, les deux domaines seront gagnants. Revenons-en au récit de Reynaert. La réception locale de Reynaert (que nous nous refusons de qualifier de ‘folie de Reynaert’, ou de ‘culte de Reynaert’, sous peine de surestimer l'influence exercée par cet intérêt) ne s'avère ni unique, ni disproportionnée. Ce phénomène est observé avec une attention grandissante par ceux qui vivent en dehors de la région que nous avons baptisée ici d'un nouveau nom, ‘Le Pays de Reynaert’. Il est étonnant de constater qu'une région constituée de différentes entités politiques, puisse acquérir une plus forte cohésion autour de la réception d'une oeuvre médiévale, écrite par un auteur anonyme et dont le héros est un animal sans foi ni loi. Dans le cadre du tourisme culturel, un personnage | |||||||
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médiéval et une oeuvre littéraire forment donc ce lien qui relie les voisins de diverses communes (Axel, Beveren, Destelbergen, Hulst, Kruibeke, Lochristi, Lokeren, Moerbeke, Sint-Gillis-Waas, Sint-Niklaas, Stekene, Temse et Waasmunster), de diverses régions (Waasland, Bloemenstreek, Zeeuws-Vlaanderen), qui se situent elles-mêmes dans des pays différents (Belgique et Pays-Bas). En 1955, la première route renardienne, reliant Hulst (Pays-Bas) à Destelbergen (Belgique) est inaugurée. D'autres routes suivent en 1991 et 1994. Puis, en novembre 1996, 40 années après l'ouverture de la première route, le premier organe de concertation intercommunal est constitué: le projet intercommunal ‘Le Pays de Reynaert’. Treize communes, avec le soutien de vzw Tiecelijn-Reynaert, se sont unies autour des récits de Reynaert, afin d'assurer la promotion de l'oeuvre et de la région. Reynaert est donc bien le fil conducteur de ces contacts transfrontaliers. Mais ces rencontres régulières génèrent aussi des reflexions communes et la possibilité d'apprendre à mieux se connaître en réactualisant d'anciennes relations entre ces contrées. Il y a 40 ans, Reynaert fut promu au rang d'héritage culturel et littéraire commun, servant de vitrine culturelle et touristique en tant qu'ambassadeur de ces diverses communes. Depuis les années 90, un regain d'intérêt a rendu souhaitable tant une coordination de ces efforts, qu'une base scientifique. La nouvelle coopération eurorégionale entre les provinces de l'est et de l'ouest des Flandres ainsi que des Flandres Zélandaises a défini le nom de ‘Pays de Reynaert et d'Uilenspiegel’. Depuis 1990, six pistes cyclables, une autoroute, et un chemin de randonnée longue distance, liés au personnage de Reynaert, ont vu le jour dans cette région, qu'on appelle aujourd'hui ‘Pays de Reynaert’. La nouveauté réside dans le fait que ce ne sont plus les chasseurs de renard (comme on appelait traditionnellement ceux qui cherchaient la trace de la cour du roi ou du terrier du renard), ni les scientifiques, qui se penchent sur le personnage de Reynaert, mais les responsables politiques et les offices de tourisme. Résultat le plus positif, les histoires du renard restent vivantes dans ce ‘Pays de Reynaert’, elles sont jouées, racontées et lues. On ne les étudie nulle part ailleurs, dans les écoles de Flandres ou celles des Pays-Bas, de manière plus intensive qu'ici. La fondation de Reynaert à Hulst, aux Pays-Bas, édite des livres pour enfants consacrés au renard et anime les écoles, lors des semaines renardiennes en mai et juin, en proposant des conférences, des séances de lecture, des ateliers de dessin et des concours de poésie et d'expression picturale. A Sint-Niklaas, les écoliers, l'appareil photo à la main, suivent la route renardienne durant les cours de néerlandais, acccompagnés d'un guide, à la recherche d'empreintes de renards modernes. Cette initiative maintient un élément culturel et touristique important, et conserve cet héritage néerlando-flamand. Les possibilités didactiques offertes sont inépuisables. Deux facteurs permettent de comprendre cette identification à Reynaert dans cette région. L'élément essentiel est dû au texte médiéval qui contient des noms de lieux littéraires, localisables dans cette région. Waas, Gand, Elmare, Hijfte, Absdale, Belsele et Hulsterlo (peut-être même Kriekeputte) renvoient à des localités existant réellement. De même que le roman arthurien se passe en Angleterre et la geste de France, en France, les récits animaliers en moyen-neérlandais ont les Flandres comme arrière-plan (les localités du Roman de Renart se situent essentiellement dans le nord de la France). | |||||||
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Cette possibilité d'identification topographique ne signifie pas pour autant, qu'on puisse reconstituer, dans ses moindres détails, le paysage du récit sur une carte médiévale. Les lieux centraux du récit (à savoir la cour, le terrier du renard et le village) sont pure fiction, créés à la mesure des personnages. L'espace renardien est constitué en fonction des recherches, des déplacements et des traits des personnages littéraires, en fonction de leurs désirs, de leurs aspirations, de leurs paroles et de leurs actes. Les noms de lieux jouent sur trois niveaux: (1) pour caractériser les personnages, essentiellement leur méchanceté, leur égoïsme, leur gloutonnerie. (2) Pour renforcer les mensonges (la plupart des toponymes sont utilisés dans les récits mensongers). (3) Pour convaincre les auditeurs de la véridicité du récit. L'auditeur, qui reconnaît les lieux, peut se faire une idée des stratégies langagières utilisées par Reynaert et donc par l'auteur, Willem. Il est complice du complot, complice des mensonges, il participe au récit. Il est obligé de prendre une part active à l'action. Il sait qu'Absdale est un hameau minuscule, ce qui rend l'origine du ‘Hughelijn metten crommen beene’ (Hughelijn aux jambes tordues) pour le moins problématique. Pour le premier public, des lieux comme Hulsterloo et peut-être aussi Kriekeputte sont des endroits reculés, avec lesquels il vaut mieux ne rien avoir à faire. Ce public sait que Hijfte est proche de Gand, et que Belsele se situe dans le doux Waasland (‘Waes, het soete lant’), et comme il peut identifier ces localités, il s'ouvre aux paroles du renard et se rend réceptif à ses mensonges. Il connaît la lointaine Montpellier, les riches villes où résident les rois, comme Londres, Paris et Aix-la-Chapelle, il localise des régions comme la Thuringe et la Saxe, et des pays aussi lointains que le Portugal et la Pologne. Le deuxième facteur pouvant expliquer cette identification moderne n'est pas lié au cadre du roman, mais à la popularité actuelle du personnage du rusé Reynaert le goupil. Cette identification avec le héros littéraire existe déjà au Moyen Age. Mais sa connotation positive est par contre assez récente, et marque le point final d'une approche romantique tendant à rendre le renard de plus en plus sympathique, tant par écrit, que dans les images. Le vaurien médiéval s'est transformé en fripon romantique. Reintje est un héros de la liberté et le symbole d'un peuple, celui des Flamands. On peut expliquer cette spectaculaire transformation, qui d'un méchant a fait un héros, par les stratégies langagières du texte. Les imprécations et les éléments impies sont effacés lors d'un mouvement de censure continuel. Les adaptations pour enfants gomment les scènes les plus atroces. Les doubles sens et les obscénités sont devenus incompréhensibles et ont été rayés consciemment. Les passages oraux, caractéristique médiévale par excellence, à la suite d'une série d'adaptations et de résumés, ont été supprimés. Seuls les éléments textuels narratifs ont subsisté. Le public admire Reynaert pour sa lutte contre les structures du pouvoir et la corruption. Il est du côté des faibles, des rebelles et de ceux qui se battent pour la liberté. Reynaert s'adapte à toutes les époques, comme un caméléon. Cette faculté d'adaptation se retrouve aussi dans la toponymie de Reynaert. Différentes variantes et versions du texte présentent leur propre couleur locale. La toponymie de Van den vos Reynaerde se situe au nord-est du comté médiéval des Flandres. Le deuxième Reynaert, Reynaerts historie, nomme des lieux situés beaucoup plus au sud, comme Harelbeke, Elverdingen, Floorsbergen et Ename, mais aussi Drongen et Boudelo, situés au nord. Dans une copie d'origine hollando-bra-bançonne, ces lieux ont été transformés en Everdingen, Drongelen et Noordeloos (ms. B). | |||||||
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Lorsqu'à Westminster, William Caxton reprend le texte de Gerard Leeu en 1481, il intitule sa traduction: The historye of reynart the fox. Il travaille rapidement, esclave de son texte, qu'il laisse pratiquement inchangé, si on excepte quelques petits détails, pour faciliter la compréhension du récit à son public. Caxton reprend les mêmes lieux que ceux du texte flamand, avec deux exceptions: le nom de l'université allemande d' ‘Erfort’ est remplacé par un mot présentant une certaine similitude graphique, à savoir ‘Oxenfort’, et ‘Zyricxzee’ devient ‘London’. Le traducteur allemand de l'incunable rimé néerlandais D, qui est à la base de l'incunable lubeckois de 1498, a laissé tomber quelques noms de localités, pour les remplacer par des lieux situés autour de Lubeck. S'y ajoutent donc ‘Poytrow’ de Pötrau, ‘Luneboch’ de Lüneburg, ‘Skulup’ de Schultup. La transformation, l'actualisation et surtout l'omission de noms de lieux est aussi l'une des techniques les plus fréquemment utilisées dans la tradition de la transmission, au sud des Pays-Bas. Dans l'imprimé de Plantijn, Anvers est nommé deux fois en tant que lieu d'origine du texte: Canter et Crayant sont les deux plus beaux coqs entre Anvers et Rome et Bruun ne craint pas de manger tout le miel entre ‘Antwerpen ende Poortegael’. L'évocation de la ville de Compostelle, également située dans le sud, et d'‘Allegarben’ en lieu et place de Montpellier, est sans doute liée à la situation politique de l'époque, la guerre contre l'Espagne. La toponymie était, est encore le moyen par excellence d'actualiser le récit. Comme exemple récent, nous pouvons citer un texte de Clement Vermaere de 1985, dans l'édition du Davidfonds, dans lequel l'auteur fait passer le chemin qui mène de la cour à Kriekeputte, par Sinaai dans le Waasland, qui se trouve près de l'endroit où lui-même habite. De nouveaux textes proposent souvent une nouvelle toponymie, ou du moins retravaillent l'ancienne. Un certain nombre de localités est soumis à des transformations incessantes, dépendantes des lieux où les textes sont produits. D'autres localités, par contre, résistent mieux à ces adaptations et traductions incessantes. Dans ce cas, nous pouvons parler de toponymies fossilisées, de lieux où le coup d'oeil ironique, le clin d'oeil fait à la réalité extra-textuelle n'est plus compréhensible pour le lecteur ou l'auditeur. Le nom propre n'a plus qu'une valeur purement littéraire à ce moment là. Sur le plan littéraire, ces noms inchangés jouent peut-être sur des associations liées au contenu et à la forme du récit, ou sur des valeurs émotionnelles. Ainsi, dans l'édition de Caxton, dans celle de Lubeck et de Rostock et dans l'adaptation de Goethe, l'endroit où le trésor est enterré reste typiquement flamand, car Hulsterlo et Kriekeputte jouent un rôle dans la description. L'origine flamande du récit se sent dans la toponymie de l'adaptation de Goethe. Cela est d'autant plus étrange que, comme nous l'avons déjà vu, les noms de localités sont les premiers à être actualisés au cours des adaptations successives. Höret! Im Osten von Flandern ist eine Wüste, darinnen
Liegt ein einzelner Busch, heißt Hülsterlo, merket den Namen!
Dann ist ein Brunn, der Krekelborn heißt ...
Jusqu'à présent, nous avons vu que la toponymie de Reynaert permettait une identification des habitants d'une certaine région avec le texte, et que cette identification était spécialement forte dans le nord-est de l'historique comté des Flandres. Dans la partie Qu'en néerlandais? il a été démontré que la matière renardienne n'est pas une exclusivité flamande, et qu'elle est encore moins liée à une seule région. Nous aimerions illustrer maintenant ces propos à l'aide des textes et de | |||||||
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l'iconographie, de manière succincte, mais convaincante. Nous débuterons par une rapide vision d'ensemble des différents textes renardiens, dans les diverses langues européennes. Ensuite, il s'agira de rendre palpable la diffusion des textes et de leurs illustrations, en nous attardant sur les interactions entre les récits en langue néerlandaise et allemande. En ce qui concerne la diffusion de l'iconographie, que nous considérerons séparément, nous examinerons les représentations illustrant le proverbe néerlandais ‘Als de vos de passie preekt, boer pas op uw ganzen’ (‘Lorsque le renard prêche la Passion, prends garde à tes oies, paysan’). | |||||||
Reinardus, Renart, Reinhart, Reynaert, Reynard, ReynkeVan den vos Reynaerde est-ce un récit flamand? La réponse à cette question est très complexe. Les origines de la matière de Reynaert datent de l'Ysengrimus gantois de 1148-1149. Remonter plus loin dans le temps, à d'autres textes latins médiévaux comme l'Ecbasis Captivi, aux fables ésopiques latines ou grecques, ou encore jusqu'au Panchatantra de l'ancienne Inde ne présente que peu d'intérêt. L'Ysengrimus fait des Flandres l'alpha de la matière de Reynaert. Ce récit animalier très complexe, dont le fil conducteur est la lutte entre le renard et le loup, provient de l'est des Flandres, mais est écrit en latin pour un public de religieux. C'est dans ce texte que les animaux reçoivent le nom, sous lequel ils seront célèbres (l'auteur (Nivard?), joue le rôle d'Adam). Dans l'Ysengrimus, la topographie sert déjà de repère, et la ville de Gand joue déjà un rôle. Le loup Ysengrimus entre dans l'abbaye de Saint-Pierre, située au-dessus de l'Escaut, et l'auteur cite Saint-Bavo et Saint-Pharaildis, les patrons de la ville. Or, comme les acteurs de l'Ysengrimus sont des animaux, ces genres de lien à la réalité ne seraient pas absolument nécessaires, mais produisent sans doute un effet positif sur l'auditeur, qui prend conscience de l'ici et du maintenant des phénomènes qui ont mis des humains dans des peaux de bêtes. Animal et humain, émotion et raison, parole et acte, distance et proximité sont des termes clés, pour interpréter ce récit. Cet Ysengrimus érudit a surtout servi de texte intermédiaire, sans être lui-même populaire. Le texte fut une riche source pour des clercs, qui ont transposé le récit du renard et du loup dans les langues vernaculaires. Ils l'ont retravaillé et ont tenté d'améliorer leur modèle (ce processus s'appelle ‘emulatio’). Ainsi, entre 1174 et environ 1250, toute une série de récits en français sur le ‘goupil’ Renart ont vu le jour. Ils étaient compilés en petit (par exemple dans le manuscrit a, qui ne compte que les branches I, la et lb), ou en grand nombre, donnant plus tard ce qu'on appelle le Roman de Renart. Van den vos Reynaerde puise dans ce trésor de récits, en s'attachant surtout, mais pas exclusivement au Plaid, que nous nommons aujourd'hui la branche I. Ecrit par Heinrich der Glîchezâre (circa 1190), le Reinhart Fuchs moyen allemand tire, lui aussi, son origine du Roman de Renart français, mais au contraire du Reynaert moyen néerlandais, il ne connut qu'un succès mitigé. Cet insuccès relatif s'explique peut-être par la fin apocalyptique de l'histoire, qui voit le roi Vrevel mourir empoisonné par le renard, crime rendant la continuation du récit difficile. Seuls deux fragments et un manuscrit complet de ce texte nous sont parvenus. Le premier Reynaert (1230-1260) est réécrit plus d'un siècle plus tard dans la ville de Dixmude ou d'Ypres, et le copiste du seul manuscrit complet donne le nom de Reynaerts historie au texte renouvelé. Ce deuxième Reynaert, qui joue ce même | |||||||
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rôle de charnière que le Roman de Renart, deux siècles auparavant, marque le point de départ d'une nouvelle réception. Adapté par Caxton, le texte conquiert les îles britanniques, et par l'intermédiaire de l'incunable lubeckois, le renard s'établit en Allemagne. C'est là qu'un troisième texte charnière voit le jour, celui de Goethe, qui ouvre un nouveau terrain de chasse au renard, à l'est de l'Europe (voir plus loin). La matière renardienne est en perpétuelle métamorphose. Dans la région néerlandaise, on constate une rupture entre les récits assagis et purifiés de la tradition du sud des Pays-Bas et celle du nord, nettement moins touchée par la censure. Les récits de renard n'ont jamais stagné. Ils se sont perpétuellement écrits à nouveau, racontés à nouveau, édités à nouveau. Comme le peintre flamand Roger Raveel laisse ses figures sans biographie en les dotant de lourds contours et d'un visage blanc, méconnaissable, les copistes et les auteurs des récits de renard préservent, à nos yeux, le mystère de leurs personnages: Nivardus (s'il est l'auteur), Heinrich der Glîchezâre, Pierre de Saint-Cloud, Willem qui fit Madocke, Arnout, l'auteur du deuxième Reynaert, tant de noms, mais tellement peu de traces palpables. Ce ne sont pas eux, mais bien le texte, qui se trouve au centre. | |||||||
Flandres - AllemagneIl faut attendre la fin du 15ème siècle, avant d'assister à une véritable percée de Reineke en Allemagne: pour cela, revenons en Flandres. En 1498, l'imprimerie Mohnkopf de Lubeck imprime le Reynke de Vos bas-allemand. Sa source est un imprimé néerlandais en vers, que le hollandais Gheraert Leeu avait fait éditer à Anvers en 1487. Une troisième étape intermédiaire (la version d'un certain Henric van Alcmaer), relie le texte de Leeu au deuxième Reynaert, ou Reynaerts historie. L'édition de Lubeck est le plus vieil incunable renardien allemand, aussi père fondateur d'une série impressionnante d'adaptations qui s'étalent sur un demi millénaire, avec, en apogée, et comme nouveaux moments charnières, en 1539, à Rostock, une éditon de Nicolas Baumann, enrichie de gloses protestantes; à Francfort, le premier imprimé en haut allemand par Michael Beuther (devenue célèbre dans la version latine qu'en fait Hermann Schopper, et encore plus connue, dès la deuxième édition, grâce aux illustrations de Jost Amman); en 1752, à Leipzig et à Amsterdam, l'édition de Johann Christoph Gottsched; puis en 1794, une adaptation en 12 chants hexamétriques, le Reineke Fuchs de Johann Wolfgang von Goethe. Cette adaptation ne connaît pas un succès immédiat, et ne devient célèbre que de manière posthume, grâce à des illustrations de Wilhelm von Kaulbach. En 1846, à Stuttgart, J.G. Cotta édite cette version ‘enrichie’, intitulée Reineke Fuchs von Wolfgang von Goethe. Mit Zeichnungen versehen von Wilhelm von Kaulbach, gestochen von R. Rahn und A. Schleich. Les dessins de Kaulbach deviennent célèbres dans toute l'Europe et sont souvent repris pour illustrer des éditions en d'autres langues, que ce soit sur la base du texte de Goethe ou d'un autre, en français (p.ex. Edouard Grenier, Paris, 1867), en anglais (p.ex. Thomas James Arnold, New York, 1870), en espagnol (El Zorro, Juan Landa, Buenos Aires/Barcelona), et en russe (Le Renart Patrikieïtsh, L.S. Lichatshov, Saint-Pétersbourg, 1901). L'ukrainien Ivan Franko adapte le texte de Goethe sous le titre de Lis Mikita, qui est devenu une sorte de classique des récits ukrainiens. Il est à relever comme une curiosité, que la plus célèbre adaptation allemande de Reynaert, le Reineke Fuchs de Goethe, n'a jamais été traduite entièrement en néerlandais. | |||||||
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III. 2. Ex-libris David Bekker (Ukraine); influence de Kaulbach.
Une seule édition contient un extrait du texte de Goethe, mais avec des illustrations de H. Leutemann et non de Kaulbach. Il s'agit d'un livre allemand de H.A. Guerbers, traduit par H.W.Ph.E. van den Bergh van Eysinga en néerlandais, où il porte le titre suivant: Mythen en legenden uit de Middeleeuwen (Mythes et légendes du Moyen Age). Par contre, les illustrations de Kaulbach connaissent un succès foudroyant en Flandres et aux Pays-Bas. Ses dessins illustrent l'adaptation de E. de Seyn et les versions simplifiées du texte par Oscar Bonnevalle, qui paraissent dans un album-Victoria (édité par une fabrique de chocolats autour de 1950); ils illustrent un récit de J. de Geyter ainsi qu'une traduction française, peut-être faite par Camille Huysmans (1949). Les têtes d'affiches, qui ornent la feuille satirique hebdomadaire d'Anvers, Reinaert de vos. Een zondagsblad voor verstandige lieden, aeneengeknoopt door zeven filosofen (1860-1868) et une autre feuille satirique de la même ville, apparentée à la première, Tybaert de kater. Een weekblad voor verstandige lieden. Opgesteld door zeven Filozofen (1890-), ces têtes d'affiche donc, sont fortement influencées par le grand maître allemand. Cette influence des dessins de Kaulbach se perpétue encore de nos jours: dans les statues de Reynaert d'Albert de Smedt, qui décorent le parc de loisirs De Ster à Sint-Niklaas; dans les vitraux consacrés à Reynaert (p. ex. dans le restaurant Reinaert à Sint-Niklaas) et dans toute une série d'autres gadgets, comme des carreaux renardiennes, que nous devons à la créativité de Frans van Immerseel; dans les verres | |||||||
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à eau-de-vie de la fabrique Waeslandia, mis sur le marché depuis quelques décennies déjà. Les dessins de Kaulbach ont aussi exercé une grande influence en Allemagne, où on les trouve, par exemple, en tant que pièces d'un jeu d'échecs munichois du 19ème siècle, ou sous la forme de figurines de plomb. Les sept pseudo-gobelins de l'architecte d'intérieur, Henri Verbuecken (1848-1926), qui exerçait dans le milieu libéral et les cercles maçonniques d'Anvers, illustrent une forme particulière et intéressante de la réception de Kaulbach. Ces sept dessins au charbon sur textile sont actuellement propriété de la ville de Sint-Niklaas, qui les expose en permanence dans le château Walburg dans le parc Romain de Vidts. L'influence de Kaulbach est nettement perceptible dans les arts graphiques, et tout spécialement dans les ex-libris. Citons l'oeuvre de Gerard Gaudaen, Wim de Cock et Frank-Ivo van Damme, pour les Flandres, celle de N. Chernetsova, pour la Lituanie, celle de I. Klioesjkovska et David Bekker, pour l'Ukraine. L'adaptation du récit renardien en ukrainien par Ivan Franko explique sans doute le grand intérêt que l'est de l'Europe porte à cette matière, qui y est fort connue. Tous ces exemples ne sont que la pointe de l'iceberg. Les relations entre l'Allemagne et les Flandres se situent essentiellement - mais pas exclusivement - au niveau de la réception de Kaulbach. Mais le Reineke Fuchs de Goethe a été illustré par une douzaine d'autres artistes, dont Andreas Paul Weber (1893-1980) est sans doute le plus intéressant. A côté de Kaulbach, d'autres artistes illustrent des versions néerlandaises de Reynaert: Heinrich Leutemann celles de S.J. van den Bergh, Guerber, E. Laurillard; Kristiaan Votteler, celles de P. Louwerse et P. van der Venen; L. Richter, celles, entre autres, de Prudens van Duyse et Eugène de Seyn. La tradition allemande a essentiellement atteint la région néerlandophone par le biais des traductions du nord des Pays-Bas. L'édition d'Utrecht de S.J. van den Bergh, Reintje de Vos, est une adaptation libre d'un texte en haut allemand de Julius Eduard Hartmann, alors que l'édition de E. Laurillard (autour de 1890), est une adaptation de Van den Bergh. Les relations entre l'Allemagne et les Pays-Bas, que nous avons développées à l'aide des illustrations de Kaulbach et de leur réception, ont aussi touché d'autres domaines, par exemple celui des manuscrits. Durant la période romantique, les érudits allemands ont joué un rôle essentiel dans la redécouverte, l'étude et la conservation de la matière renardienne. Nous avons déjà parlé de la découverte des manuscrits de Reynaert (cf. Qu'(in)certitudes?). Le manuscrit complet le plus ancien fut découvert en 1907 par Hermann Degering, et tient son nom du château Dyck, dans les environs de Düsseldorf. Depuis 1991, année où il fut acheté sur incitation de scientifiques flamands pour plus d'un million de francs suisses par l'université, le manuscrit est conservé à Münster. Quant au manuscrit de Comburg, il fut sauvé autour de 1541 par l'humaniste allemand Erasmus Neustetter, qui le transféra de la région de Gand à Comburg, dans une maison collégiale. Le codex est redécouvert en 1805 par l'allemand D. Gräter. Des savants allemands tels que Hoffmann von Fallersleben, Mone et Grimm font connaître le texte en Flandres, ce qui incite les Flamands et les Néerlandais à se pencher sur leurs propres textes médiévaux. Suite à une étude flamande récente, des spécialistes allemands ont entièrement restauré le codex de Comburg (1991). On peut relever un autre lien, pour le moins surprenant, entre les Flandres et l'Allemagne: l'auteur flamand Stijn Streuvels. Des notes de sa correspondance et | |||||||
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ce que nous savons de sa bibliothèque, semblent montrer, comme nous l'avons déjà dit dans le deuxième Jaarboek van het Stijn Streuvelsgenootschap, qu'il aurait utilisé une source allemande pour son adaptation du récit de Reynaert. | |||||||
Diverses variantes d'imprimés renardiensL'iconographie renardienne a une dimension européenne. L'Allemagne compte en plus des artistes cités précédemment, d'autres noms remarquables, tels que Virgil Solis (1514-1562), Jost Amman (1539-1591) et J.H. Ramberg (1826). D'autres pays ont eux-aussi d'importants illustrateurs des récits de Reynaert. Comme illustrations représentatives de nos contrées, citons: (1) celles du maître d'Haarlem, qui ornent le Reynke de Vos (1498) et qui par la suite seront reprises régulièrement dans la tradition du livre populaire du nord des Pays-Bas, (2) les gravures sur bois de Jan Christoffel Jegher(s) (1618-1667?) et d'Erasmus Quellijn le jeune (1607-1678), qui furent d'abord imprimées à Anvers par Segher van Dort (1651), dans une version rimée, puis dans les livres populaires du sud des Pays-Bas, subissant une perte qualitative sensible au fil des impressions successives. L'illustration et la publication de livres sur Reynaert déborda souvent les frontières. Le Reineke der Fuchs de Johann Christoph Gottsched (1752) fut illustré par le néerlandais Allart van Everdingen (célèbre paysagiste, 1621-1675) et par Simon Fokke (1712-1784). Van Everdingen grava 57 eaux-fortes de Reynaert, dont sept en mezzo-tinto, qui furent rassemblées et publiées de manière posthume dans un volume, qui parut 77 ans après sa mort. Ses gravures influencèrent, entre autres, Johann Heinrich Ramberg (1826) et Wilhelm von Kaulbach (1846). Nous connaissons aussi l'existence d'un ouvrage issu d'une coopération entre la France et les Flandres. En 1566, le deuxième imprimé (bilingue) de Plantin (mis à l'index en 1570), est illustré par deux maîtres parisiens. Geoffrei Ballain ébauche les dessins à la manière Renaissance, et Jehan Gourmont les exécute. Mais une tradition française d'illustration existait déjà des siècles auparavant. Au contraire des manuscrits renardiens néerlandais, toute une série de manuscrits français du Roman de Renart étaient illustrés. Nous connaissons 7 manuscrits illustrés: CNO, qui ne comptent qu'une seule illustration, DEG, qui contiennent un petit cycle (avec respectivement 16, 13 et 11 miniatures) et I, qui contient le nombre impressionnant de 512 miniatures. Les représentations de Reynaert n'ornent pas seulement les manuscrits, mais aussi les peintures murales, les plafonds ainsi que les vitraux des églises et des couvents. Une remarque, dans les Miracles de Nostre Dame (13ème siècle), illustre cette affirmation. Dans cet ouvrage, Gautier de Coincy se plaint que les moines préfèrent décorer leurs cellules avec des peintures de Reynaert qu'avec des représentations de la Vierge Marie. En outre, certaines églises et certains manuscrits religieux abritent des renards. D'après nos connaissances actuelles, cette riche tradition du Moyen Age français ne semble pas avoir exercé une grande influence sur la tradition moyen-néerlandaise. Ce qui ne signifie pas pour autant, qu'il n'ait pu y avoir d'illustrations de renards dans les Flandres médiévales. Comme déjà évoqué, les manuscrits de Van den vos Reynaerde et de Reynaerts historie ne sont donc pas illustrés (même si le manuscrit B présente de mystérieux emplacements libres, peut-être prévus pour des miniatures). D'autres manuscrits des Flandres et des Pays-Bas ne sont pas non plus riches en illustrations, phéno- | |||||||
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mène qui permettrait de se faire une idée de la popularité des récits renardiens en moyen-néerlandais. La seule miniature à évoquer, indubitablement liée à Reynaert I, est celle qui montre un renard, et un lapin assis entre les jambes de son ‘professeur’. Cette enluminure se retrouve dans deux autres sources médiévales de la fin du 13ème siècle: un psautier latin du comte Gui de Dampierre et un manuscrit de Lancelot en ancien français. Si l'on en croit J.D. Janssens, deux autres miniatures sont à mettre en relation avec Reynaert ou le Roman de Renart: une première représentant un matou sautant sur un homme nu (dans le manuscrit Rothschild, contenant des Cantiques à Notre-Dame, fol 130 ro, Paris, collection privée); une deuxième dans laquelle un matou tenant un pénis et sa paire de testicules dans la gueule est poursuivi par une vieille femme munie d'une quenouille (dans un manuscrit contenant le Speculum doctrinale de Vincent de Beauvais, Bruges, bibliothèque municipale 241, fol. 299 vo). | |||||||
Quand le renard prêcheUne scène, qui est certainement liée au récits de Reynaert, est celle de la confrontation entre le coq et le renard. Le renard est souvent représenté en habit clérical. Cette illustration se retrouve sous différentes formes:
L'histoire de la scène où le renard parle devant un public d'oiseaux est particulièrment riche et foisonnante. Avant de nous consacrer de manière plus approfondie au renard prêchant devant les poules (1), nous proposons quelques endroits où trouver des illustrations de type (2) et (3). Un renard engloutissant un oiseau se trouve, par exemple, dans le livre de prières de Maria van Kleef et sur une miséricorde de l'église Sint-Pieters à Leuven. A Padstow en Angleterre, sur le côté d'un banc d'église, on peut voir un renard avec un canard mort. Ce canard mort révèle le caractère hypocrite et faux du renard à l'auditeur recueilli dans l'église. Exemple d'une version moderne de cette scène: un ex-libris (litho) de Sonja Brijs pour le nom de Erwin Verzandvoort. La statue en tôle d'acier de Bert Peleman, Reinaert met de Raap (Reinaert au navet), dressée dans le ‘Koningsbos’ à Rupelmonde, est un autre bel exemple de version moderne. Le célèbre graphiste Gerard Gaudaen a représenté le roué renard portant trois oies (très joyeuses) sur son dos dans un imprimé qui montre en arrière-plan la Grande Place de Sint-Niklaas. Les dernières illustrations de Joost dans le Reinaert de vos de Piet Punt (pseudonyme de Renaat Joostens) (1948) montrent un oiseau dans la poche (et non dans le capuchon) du renard. Revenons-en maintenant à la scène du renard prêchant devant poules, coqs ou canards (1), qui est à l'origine du proverbe néerlandais ‘Als de vos de passie preekt, boer pas op uw ganzen’ (Quand le renard prêche la Passion, veille sur tes poules, paysan!). Il est moins simple qu'il n'y paraît de relier cette scène à la matiè- | |||||||
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re renardienne, et encore plus difficile d'établir un rapport avec Van den vos Reynaerde. Mais cette hypothèse n'en demeure pas moins la plus probable. Le paysan pourrait être Constant de Noes, le propriétaire de Chantecler et de sa famille dans la branche Il du Roman de Renart. Dans ‘prêcher la Passion’, il y a bien sûr une dimension religieuse. Le renard est d'ailleurs le plus souvent déguisé en religieux (Kenneth Varty parle de ce type comme du ‘religious fox’). La Passion est à relier à l'histoire de la Passion du Christ; le prêche de la Passion s'accompagne de réflexions et d'une méditation sur les souffrances du Christ. Dans un livre de comptes de Rotterdam de 1426 (MNW, VI, 484) nous trouvons un vieux témoignage de ce prêche de la Passion: ‘Broeder Mathijs gegeven van dat hij die passie predicte ...’ (donné à frère Mathias pour avoir prêché la Passion). Le proverbe ‘Als de vos de passie preekt, boer pas op uw ganzen’ met en garde contre le faux saint, contre l'hypocrite. ‘Quand le fourbe agit avec piété, le dévot doit être prudent’ (Harrebomée). Il est donc difficile de déterminer à quelle branche de la riche tradition renardienne européenne le proverbe est apparenté, ou de quelle région il tire son origine (cf. Qu'en néerlandais?). Van den vos Reynaerde, le texte que nous connaissons le mieux, contient la scène de Cantecleer, dans laquelle renard et coq s'affrontent. Cette scène est reprise dans Reynaerts historie, puis dans les textes basés sur cette version. Mais Reinardus et le coq Sprotinus s'affrontent déjà bien avant, dans l'Ysengrimus. Une autre scène montrant renard et coq se trouve aussi dans la plus ancienne branche de Pierre de Saint Cloud (branche II). Cette branche servit de point de départ au Renart le contrefait, un récit de la première moitié du 14ème siècle, riche en moralisations et remarques satiriques. Dans ce texte épigonal, le renard religieux est au premier plan (K. Varty). On peut affirmer la même chose du Renart le bestourné de Rutebeuf (1260-1270). Dans ce texte, Reynaert symbolise les ‘moines mal-tournés et corrompus par l'avarice’ (J. Flinn); l'auteur accuse les ordres mendiants de cupidité et d'ambition. Dans Le Couronnement de Renart (selon J. Flinn: 1263-1270), un texte anonyme dédié de manière posthume à Guillaume de Dampierre, les ordres mendiants sont fustigés avec la même virulence. Renart prêche aux dominicains et aux franciscains, mais ceux-ci contestent une quelconque appartenance de Renart à leurs ordres respectifs. Le thème central de ce récit est la chute d'un monde de valeurs chevaleresques et courtoises, et le début d'une nouvelle aristocratie, basée sur la fortune. Par manque d'études sur les textes épigones du Roman de Renart, tel que Renart le contrefait, on ne peut pas déterminer lequel de ces textes a exercé la plus grande influence sur la popularité du proverbe. On peut d'ailleurs relever un fait intéressant dans ce texte: nous apprenons qu'un prêche peut endormir. On pourrait dire que le renard hypnotise ses victimes durant son prêche. La parole du renard est diabolique et méchante, sa flatterie et ses feintes mènent ses auditeurs crédules mais recueillis, à leur perte. La thèse de Paul Wackers illustre, à l'aide de nombreux textes, que le Moyen Age associe presque toujours l'image du renard à quelque chose de négatif. L'étude des nombreux témoignages iconographiques dans lesquels le renard est primairement associé à celui qui utilise le langage de manière hypocrite et destructrice, mène au même résultat. On peut relever le lien étroit entre les moines mendiants et les renards. A la fin du Moyen Age, les ordres mendiants sont considérés comme un danger pour la richesse des ordres bien établis, parce qu'ils prêchent la pauvreté. Dans la Saint Mary's Church de Beverly (Angleterre), un franciscain (reconnaissable à sa corde à | |||||||
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noeuds) parle avec deux renards, dont les capuchons contiennent des oiseaux. Dans le livre d'heures de Marie de Bourgogne, les renards semblent aussi être des franciscains. Dans une gravure sur bois de Bohême, datant de l'époque de ‘Jean Huss’, on peut voir un renard assis dans le rôle de l'antéchrist sur le haut d'une roue de la fortune avec, à sa gauche, le loup en dominicain et, à sa droite, l'ours en franciscain. La popularité des récits renardiens en Europe fut déterminante pour la diffusion des illustrations et le développement du proverbe. Mais peut-être faut-il prendre encore en considération d'autres facteurs, qui expliquent la popularité du proverbe; parmi eux, la possible existence d'une tradition orale. Un récit connu sous le sigle Stith Thompson 227 présente des similitudes avec le proverbe. Le renard s'approche d'un groupe de grasses oies afin de les manger. Elles lui demandent une dernière faveur, qu'il leur accorde: qu'elles gardent la vie sauve jusqu'à la fin de leur dernière prière. Mais comme elles n'arrêtent pas de jacasser, le renard peut dire adieu à sa proie. Cette fin existe sous trois formes. La première veut que cette histoire soit sans fin; la deuxième que quelqu'un leur vienne en aide; et la troisième, que les oies trouvent le moyen de fuir. Le proverbe ‘Quand le renard prêche ...’ est peut-être né d'une combinaison de sources orales et écrites, conséquence de toutes ces représentations très populaires. Nous avons vu que les représentations iconographiques comportent différentes variantes, il en va de même pour le proverbe, qui s'est cristallisé différemment selon les régions linguistiques. Le livre de proverbes de Van Dale indique: ‘Quand le renard prêche, prenez garde à vos poules. Le renard prêche aux poules; quant le diable dit ses patenôtres, il veut te tromper’; ‘Wenn der Fuchs predigt, so hüte die Gänse’; ‘Wenn der Teufel Fasten predigt, dann muß man auf die Gänse aufpassen’: ‘Wenn der Wolf den Gänsen predigt, so frißt er sie auch’; ‘When the fox preaches, then beware your geese’ (Cox, no. 230). Le poète et moraliste zélandais Jacob Cats (1577-1660) nous a laissé la plus ancienne mention écrite du proverbe néerlandais dans sa forme actuelle, comme nous l'indique le Woordenboek der Nederlandsche Tael: ‘Wanneer een vos de passy preeckt, boeren wacht uw gansen’ (1632). On ne peut pas exclure, que le proverbe date d'avant cette période; par contre, il ne fait aucun doute, qu'il ne devient vraiment populaire qu'après Cats. Différentes variantes du 15ème siècle sont attestées dans les régions anglophones, le dictionnaire moyen anglais cite: ‘Let furth youre geyse, the fox will preche’ (The Towneley Plays., autour de 1460) et ‘Whan the fox prechyth beware the gese’ (Rawlinson Manuscript, autour de 1475). On constate que dans les différentes variantes du proverbe, poules et oies évoluent côte à côte. La pompeuse et coquette poule apparaît plus souvent dans la tradition littéraire, alors que l'oie, habituellement caractérisée par sa bêtise, semble plutôt liée à une tradition populaire du ‘monde à l'envers’. Actuellement, l'oie est en effet connotée péjorativement: bête comme une oie. L'oie est l'animal le plus facile à suborner, elle est stupide, obéissante et a une âme d'esclave. L'explication la plus évidente semble être que les proverbes participent à une tradition culturelle populaire, matière instable, tant dans le temps que dans l'espace. De nos jours, le proverbe néerlandais apparie les poules et les oies. Une recherche statistique permettrait-elle de trouver des constantes temporelles et spatiales? Peut-être exis-te-t-il des raisons iconographiques expliquant les retrouvailles entre poules et oies. Des motivations artistiques et esthétiques sont peut-être à la base de ce proverbe. | |||||||
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Kenneth Varty suppose que les illustrateurs préfèrent représenter des oies que des poules: le long col gracile des premières donnerait davantage de perspectives à la composition de l'image. Les poules seraient donc plutôt le produit de la tradition littéraire. Les représentations iconographiques qui montrent le renard assis devant les oies et le proverbe ‘quand le renard prêche...’ se retrouvent partout à travers le monde (dans des manuscrits, sur des miséricordes, des tissus, des tapis, des carrelages, des vitraux etc.). Grâce à l'excellent travail de K. Varty (1967), la Grande-Bretagne est le seul pays européen, dont l'iconographie renardienne fut étudiée de manière systématique et en profondeur. Comme ces renards sont déjà inventoriés, nous ne retenons que les plus intéressants. En soi, l'étude anglaise est assez intéressante. En effet, on ne s'attend pas à trouver une tradition renardienne fleurissante en Angleterre, on penserait d'abord à la France, à l'Allemagne et aux Pays-Bas. Comment peut-on donc expliquer ces nombreux renards anglais? Nous avons déjà cité la traduction de Reynaerts histoire faite par William Caxton en 1481. Les Canterbury Tales de Geoffrey Chaucer expliquent aussi pour une part, ce vif intérêt pour les récits renardiens. Le Nun's Priest Tale traite de la scène entre le renard et le coq. L'étude de Varty montre qu'elle est l'une des représentations iconographiques du renard, les plus populaires. Ce pourcentage élevé de renards anglais (plusieurs douzaines), laisserait présager d'un nombre encore supérieur de goupils en Allemagne, dans les Flandres, en France et plus au sud. Beaucoup furent détruits durant des périodes de révoltes et de guerres, d'autres ne sont pas encore inventoriés systématiquement ou sont encore inconnus. Souvent, des voyageurs signalent d'intéressantes trouvailles, faites par hasard. Des gens partis au Portugal nous ont affirmé que le portail de la cathédrale de Braga (au nord de Porto) est orné d'un renard debout devant un groupe de poules. Un voyage en Bavière (Kinzelzau) nous a permis une découverte inattendue sur le devant d'une fenêtre d'une petite école de musique: une représentation non-datée d'un renard maniant une baguette de chef d'orchestre, qui fait chanter des oies en choeur. La légende du dessin nous dit qu'apprendre à chanter n'est pas un jeu d'enfants. La plus vieille représentation d'un renard prêchant se trouve dans un livre d'heures du Maasland du début du 14ème siècle (London, B.M. Stowe Ms. 17). Une miséricorde dans la Wells Cathedral de 1330 montre un renard prêchant devant quatre canards, dont un qui dort. Cette scène est populaire autour de 1475: nous retrouvons par exemple en 1477, dans le livre de prières de Marie de Bourgogne, le renard comme moine mendiant devant un coq et à côté d'une initiale historisante, représentant Jésus dans le Temple (Vienne, O.N.B., Codex Vindobonensis 1857, fol. 100 ro), dans un livre de prière bilingue latin-français (autour de 1470), originaire de Gand ou de Bruxelles et dans un antiphonaire bruxellois (autour de 1500) (un renard avec un bonnet de bouffon bleu, entouré de volailles, par Marcus Cruyt, actuellement dans la Bibliothèque royale de Bruxelles, Ms. II 3633, fol. 5). Un livre de prière flamand-latin (autout de 1475) montre un renard particulièrement intéressant, qui parle latin, vêtu d'un capuchon bleu (actuellement dans le Rijksmuseum Het Catharijneconvent à Utrecht). L'endroit où ce renard apparaît est significatif: au début des sept psaumes latins de pénitence et face à une merveilleuse miniature de Jésus Christ, juge dressé entre des saints et des anges d'un côté et de grands diables effroyables de l'autre, qui chassent les pécheurs dans l'enfer. Le renard est donc toujours connoté négativement, associé à un usage corrupteur de la parole. | |||||||
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III. 3. Quand le renard prêche, 15-16ème siècle, Stained Glass Museum, Ely Cathedral.
Une autre représentation anglaise du renard séducteur dans un contexte biblique était visible (anciennement) dans un vitrail de la nef transversale (face nord) de la Saint-Martin's Cathedral à Leicester. La représentation contient le renard et le vers 8 de la première Epître de Saint-Paul aux Philippiens: ‘Aussi Dieu m'est témoin que je vous chéris tous d'une affection cordiale en Jésus-Christ’. La crainte de Dieu qu'éprouve le goulu renard, lui est exclusivement dictée par son estomac. Que les coqs, les canards et les oies ne sont pas nécessairement les seuls auditeurs du renard qui prêche, se voit dans la Holy Trinity Church de Saint-Austell. Une dame richement vêtue est assise devant le renard. Peut-être s'agit-il d'une critique de la mode. Un dessin à la plume dans un bréviaire du 15ème siècle, qui se trouvait dans la vieille abbaye de Sint-Adrianus à Geraardsbergen (autour de 1450), actuellement conservé dans la bibliothèque de l'abbaye de Maredsous, montre un renard qui prêche devant un agneau, un chien et un lièvre. Dans ce même manuscrit, on peut voir un âne, humblement agenouillé, qui se confesse à un renard, assis paternellement sur une chaise. A nouveau, des faiblesses et des défauts humains sont révélés. Le renard est souvent représenté comme le faux saint, le confesseur, le religieux. Nous connaissons aussi une variante inversée de la scène du renard et du coq. Dans le psaume 97 du psautier Oscott (London, British Library, Add. Ms. 50.000, fol. 146 vo), ‘Sing unto the Lord a new Song’, le coq est debout devant un pupitre et chante, sans se rendre compte de la menace que fait planer sur lui un renard, qui l'écoute tout en se glissant précautionneusement vers lui. Le coq n'a pas conscience du fait que son auditoire veut chanter une autre chanson que lui, ce qui, de plus, parodie le texte du psaume. Jusqu'à maintenant, nous nous sommes intéressés aux renards et aux coqs seuls. Mais l'impact du proverbe est accru, lorsque le renard est représenté en chaire. Le plus vieil exemple s'en trouve dans la cathédrale de Lincoln (1370), où on peut voir le prêche et le sort réservé aux victimes sur la même image. Canards, coqs et oies peuvent aussi être représentés ensemble, mais séparés en trois | |||||||
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III. 4. Reynaert et le petite oie, vitrail Frans van Immerseel.
groupes distincts, comme sur les stalles de Ripon. Souvent d'autres oiseaux s'y ajoutent, comme par exemple un héron dans les décrétals de Smithfield (milieu du 14ème siècle). On trouvait une autre très belle représentation sur un vitrail (14ème à 15ème sicèle) dans la Holy Cross Church de Byfield, conservé actuellement dans le musée du vitrail de la cathédrale d'Ely (cf. l'illustration p. 73). Varty montre dans son étude des exemples de miséricordes à Gresford, Ripon, Padstow, Bristol et Beverly. L'illustration qui orne la page de titre de son livre, montre un cul-de-lampe en bois coloré de la Lady's Chapel de la Saint Mary's Church de Beverly. Il y aurait encore des douzaines d'exemples à donner. D'ailleurs, on trouve aussi un renard prêchant devant une nonne et un moine mendiant, dans la Saint Mary's Church de Beverly. Deux singes déroulent des banderoles, sur lesquelles on pouvait sans doute lire de quoi traitait son prêche. (Dans les deux églises inventoriées de Beverly, on ne trouve pas moins de treize renards, une preuve éclatante de l'immense popularité de cette matière entre 1445 et 1520.) Bien que sur le continent, un tel inventaire soit inexistant, on y trouve de nombreuses scènes comparables. Sur une miséricorde de la basilique Ste. Materne de Walcourt, le renard prêche devant un coq et deux oies. Selon toute vraisemblance, la même scène était représentée dans l'église Sint-Maartens à Bolsward, sur une miséricorde détruite: on reconnaît encore une figure encapuchonnée, en chaire. Dans la basilique du couvent de Steinfeld dans l'Eifel, on peut encore admirer des restes de stalles datées de la fin du 15ème siècle, décorées d'un renard qui prêche. Dans l'église collégiale prémontrée de Cappenberg, le prêche est combiné aux oiseaux dans le capuchon. Toujours en Allemagne, dans l'Untere Stadtkirche de Clèves, on peut voir un renard avec capuchon. Les maîtres flamands parcoururent toute l'Europe. Cela explique que des renards soient attestés en Espagne, par exemple dans le couvent San Salvador de Celanova (Orense), sur un banc de choeur du 16ème siècle, décoré d'un renard debout devant cinq oies; sur les bancs de choeur de Zamora et de Plasencia, où des coqs et des oies regardent ce qui se passe; à Tolède, où seul le renard est | |||||||
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encore reconnaissable; et finalement à Léon, où les figures sont l'oeuvre d'un certain J. de Malinas. Sur la pierre précieuse d'une cuillère émaillée (autour de 1430), conservée dans le musée de beaux-arts de Boston, on voit une des plus belles et plus intéressantes représentations du renard qui prêche. Le renard parle du haut d'une sorte de chaire à toute une série d'oies, alors que différents autres animaux, déjà pris dans le capuchon de son manteau, sont dans un autre monde. L'intérêt principal de ce renard flamand (la cuillère a été fabriquée dans un atelier flamand) réside dans le fait qu'il lit un acte muni d'un sceau. En outre, nous pouvons voir un autre renard (ou peut-être un dédoublement du premier) sous la chaire, tenant un oiseau dans sa gueule. Cette scène rassemble donc toutes les variantes de la scène du ‘renard devant des oiseaux’. Le musée communal de Lokeren, lieu de l'exposition, possède une représentation très altérée de cette scène sur du grès. On y voit un renard avec une cape de bouffon, en chaire, et le col gracile d'une oie. Cette pièce fut achetée en 1951 par la commission du musée comme un original du 16ème siècle, mais des doutes quant à cette datation furent soulevés. Il existe des variations contemporaines de cette représentation, de même que de toutes les précédentes. Dans son groupe de statues, situé dans l'étang Oudemanskreek à Sint- Laureins, le sculpteur Chris Ferket a donné la préférence à des oies plutôt qu'à des poules, sans doute aussi en raison des possibilités plus intéressantes de composition. Le proverbe est représenté d'une manière assez semblable par Frans van Immerseel (un renard agenouillé, tenant un livre, devant une oie très émue) et par Gaston Derkinderen (le renard, tenant un livre, face à neuf oies). Dans le concours d'ex-libris organisé par le vzw Tiecelijn-Reynaert en 1996, renard et chaire semblent avoir été nettement moins populaires que la confrontation renard et volatiles: quatorze des ex-libris sélectionnés pour le catalogue, montraient cette scène. Les lauréats du concours venaient de Chine, de Russie, d'Ukraine, de Lituanie, de Pologne, d'ltalie, des Pays-Bas et de Belgique. Une interprétation particulièrement intéressante de la scène montrait le renard comme ‘Ratier de Hameln’, dans un ex-libris de la russe M. Vinogradova. A. Poegatjevski dessina un renard séducteur, jouant de la guitare, pour le premier ministre belge Jean-Luc Dehaene. Le premier ministre belge, dont le nom signifie ‘du coq’, est d'ailleurs un collectionneur passionné de coqs. Ce concours d'ex-libris est la preuve vivante du caractère international de la matière renardienne. Il a d'autre part démontré la poly-interprétabilité de la figure du renard et la richesse des récits qui lui sont consacrés. Il n'y a pas de rupture avec le passé, hier comme aujourd'hui, le renard est une figure répandue, interprétée positivement et négativement, associée parfois au démoniaque. Le caractère négatif du renard s'est mieux conservé dans les pays de l'est de l'Europe qu'en Flandres, où la censure du 16ème siècle, le Mouvement flamand (Vlaamse Beweging) des 19ème et 20ème siècles, les simplifications pour les livres d'enfants et divers autres facteurs ont donné un habit toujours neuf à la figure polymorphe de Reynaert. C'est d'ailleurs là que réside la grande force de Reynaert dans les Pays-Bas: son jeu incessant avec des masques et des déguisements, avec de nouveaux habits et de nouvelles vies: non seulement dans le Waasland et dans le Pays de Reynaert, mais aussi dans toute l'Europe et même à travers le monde. |
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