Si les Dadaïstes en usent ainsi avec les allumeurs de becs de gaz qui sont à la tête, au coeur ou à la queue de la pensée officielle, officieuse, conservatrice ou révolutionnaire, c'est qu'ils savent à quoi s'en tenir sur les becs de gaz, et la manière de faire de beaux éclairages.
Tout le gaz réparti à l'esprit vient de quelques axiomes primordiaux absolument indispensables.
Ces axiomes les Dadaïstes refusent d'en prendre livraison - quitte pour le plaisir à utiliser quelques conséquences - la non vérité étant traitée sur le même pied que la vérité.
Ils refusent de croire à I + I est I. Soit à l'identité. Un et un ne font deux que lorsqu'on le veut bien. Il n'y a pas d'objets identiques.
Ainsi choit la causalité. Toute la logique repose sur l'identité d'effets produits par la même cause. S'il n'y a pas de causes identiques, on ne peut plus compter sur la fatalité d'effets prévus.
On peut concevoir des logiques tout autres que la nôtre. Supposez la notion des faits que nous aurions en nous en éloignant avec une vitesse plus grande que celle de la lumière, et vous avez un nouvel enchainement de faits aussi fatal que le nôtre. On peut donc aussi bien supprimer toute fatalité, et supposer une suite d'objets sans relation de cause à effet.
La suppression de la logique permet la mauvaise foi. (Au plus fort de la discussion on peut raisonner rigoureusement, cela fait toujours impression). De sorte qu'il est permis de recréer un univers sans causalité, et de lui appliquer cependant la causalité. C'est une belle source de divertissement.
Il faut le répéter, les Dadas n'inventent rien - en cela comme en autre chose. Il n'y a rien à inventer car on ne peut rien inventer; il n'y a que des faces différentes du même jeu de dominos. La vertu dadaïste est de ne pas chanter la messe. S'il leur arrive parfois de commencer à la chanter, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'ils ont mis à l'avance du poivre dans le ciboire, afin d'éternuer au moment pathétique.
L'Art est une manière d'utiliser certains moyens. Cette manière est de telle importance qu'on connait la place qui lui est réservée. Les Dadas sont aussi dans la danse, mais il n'y a pas de danse dadaïste; entendez qu'il n'y a pas d'art dadaïste, ni de manière dadaïste d'arranger les mots, les formes, ou les sons. Les moyens plastiques agissent plus sur la sensibilité que les verbaux, et prêtent plus aux interprétations artistiques. C'est sans doute là qu'il faut voir la raison pour laquelle les dadaïstes abandonnent progressivement ces moyens et leur préférence pour les mots. Et c'est aussi à ce peu d'estime pour les ‘arts d'agrément’ qu'ils doivent de pouvoir, sans dons ni spécialité, se livrer irrespectueusement à tous ceux-là.
Il n'y a pas plus de lois esthétiques que de lois scientifiques. Comment peut-on en passant en revue les productions humaines tirer des lois, qui ne sont que des paris en faveur de telle ou telle série d'oeuvres, sans montrer uniquement une aveuglante partialité sentimentale?
Il semble qu'on devrait commencer par poser l'égalité totale de toutes les oeuvres, puis si cela peut faire plaisir, en examiner les caractères différents, à la manière botanique.
Le fait qu'il existe une oeuvre non conforme à la loi créée détruit évidemment cette loi. La loi (et nous ne la connaissons pas) c'est l'existence même de tout ce qui existe, et non ce qui devrait exister. L'activité des curieux doit se borner à expliquer ce que cela peut être: exister.
* * *