Septentrion. Jaargang 43

Théâtre

Juliette Binoche en Antigone auprès du ‘Toneelgroep Amsterdam’

Des quatre grandes compagnies théâtrales subventionnées par les autorités nationales néerlandaises, le Toneelgroep Amsterdam est sans nul doute l'ensemble qui nourrit les ambitions internationales les plus fortes. Pour la saison théâtrale 2014-2015, le Toneelgroep Amsterdam va collaborer avec les Théâtres de la ville de Luxembourg et le londonien Barbican à une mise en scène d'Antigone, écrite par le grand dramaturge grec Sophocle. Ce spectacle, dans une traduction anglaise de la poétesse et femme de lettres canadienne Anne Carson et une mise en scène d'Ivo Van Hove, directeur artistique du Toneelgroep Amsterdam, sera donné en première le 25 février 2015 au Grand Théâtre de Luxembourg, puis présenté dans diverses villes d'Europe et, pour conclure, à l'Edinburgh International Festival au mois d'août.

C'est justement lorsque vous tentez de détourner votre destin qu'il vous tombe dessus. Personne n'illustre ceci de manière plus pertinente que les descendants de Labdacos, roi de Thèbes. Les malheurs commencent au moment où OEdipe, petit-fils de Labdacos, est abandonné. C'est précisément en croyant prendre une mesure de prudence que l'on permet la réalisation d'une sinistre prophétie: devenu adulte, OEdipe, sans avoir conscience qu'il s'agit de ses parents, tue son père et épouse sa mère. Il aura d'elle quatre enfants: deux fils et deux filles. Dès qu'OEdipe vient à découvrir l'atroce vérité, il se crève les yeux et erre en mendiant en compagnie de sa fille Antigone.

Après la mort d'OEdipe, son oncle Créon prend la tête du royaume de Thèbes. Plus tard, s'affrontant pour le pouvoir, les fils d'OEdipe s'entretuent. Afin d'asseoir son autorité et de servir les intérêts de l'État, Créon décrète que l'un des fils aura des funérailles nationales et que le corps de l'autre restera sur le champ de bataille, sans recevoir les honneurs. Une nouvelle fois, c'est un choix fatal qui apporte davantage de

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malheur que de paix: Antigone - et c'est là que commence la tragédie de Sophocle - prend la décision d'enterrer son frère, allant à l'encontre des ordres de Créon. Par sa détermination, elle affaiblit le pouvoir de Créon et fait vaciller davantage un régime politique déjà fragile.

Antigone constitue le piètre aboutissement de générations successives frappées par le destin. Le côté tragique ne réside pas tant dans le grand récit que dans les personnages les plus importants et toutes les nuances de leurs âmes. On a peine à expliquer pourquoi des tragédies moins subtiles comme Électre et Médée figurent plus souvent au répertoire de grandes troupes de théâtre que l'Antigone de Sophocle. La tension entre État et individu, homme et femme, adulte et enfant, Dieu et homme est exprimée par Sophocle de manière sublime et nuancée et est forgée pour former une unité reconnaissable.

Le personnage-titre de l'Antigone du Toneelgroep Amsterdam sera incarné par Juliette Binoche, l'actrice française couronnée de lauriers et qui, pour le grand public, doit avant tout sa renommée à un certain nombre de grands rôles au cinéma, dont en particulier The English Patient, Les Amants du Pont-Neuf, Chocolat et encore récemment Camille Claudel 1915. Parallèlement, on a pu la voir dans diverses productions théâtrales, dont Trahisons de Harold Pinter et Mademoiselle Julie d'August Strindberg. Binoche dit elle-même qu'elle aime le cinéma, mais que son coeur est au théâtre avant tout. Car au théâtre on fait en tant qu'actrice un voyage avec les acteurs et le public. Chaque soirée est un défi. Ensemble, il faut former un tout. Dans un film c'est différent, car le tournage s'étale dans le temps. Là, le voyage est long.

Il est notoire que Binoche aime avoir son mot à dire dans le scénario et la mise en scène. On raconte qu'Ivo Van Hove lui avait proposé de jouer le personnage-titre dans Électre ou Médée. Elle a décliné cette invitation parce qu'elle trouvait les deux femmes trop cruelles: une fille qui veut assassiner sa mère et une mère qui tue ses enfants. Finalement, Van Hove accepta sa suggestion de choisir Antigone. La différence tient à la fois de la subtilité et du défi: on ne peut certes reprocher à Antigone une soif de meurtre, mais sa

Juliette Binoche, photo P. Swirc-modds.

rébellion finit par mener à une triple mort, dont la sienne.

On est naturellement impatient de voir ce que Binoche va faire de son Antigone. Sans doute, son impressionnant curriculum vitae est à lui seul garant d'une interprétation fabuleuse et hors du commun. Fille d'un mariage incestueux, Antigone incarne tout ce qui est inconvenant. Le sort a ainsi trouvé sa dernière servante, la malédiction sur la maison de Labdacos est complète. Mais, à côté de cela, un autre aspect éveille la curiosité: comment Binoche, qui a aujourd'hui l'âge respectable de cinquante ans, va-t-elle assimiler les traits de caractère d'une jeune fille? Antigone vient d'atteindre l'âge nubile, est fiancée, pas mariée, avec le fils du roi Créon, et sa rébellion et son entêtement pourraient en partie s'expliquer par la passion et l'étourderie juvéniles - ou, si l'on veut, pubertaires. Metteur en scène et actrice devront trouver une façon de créer une passerelle entre l'actrice et le personnage que des années séparent.

jos nijhof
(Tr. A. Herlédan)
www.tga.nl
www.theatres.lu
www.barbican.org.uk