Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Guido Gezelle entendu par Paul ClaesParmi de nombreux dons, le Flamand Paul Claes (o 1943) possède éminemment celui des langues. On redécouvrira toujours avec bonheur ses traductions néerlandaises commentées de Mallarmé, de James Joyce et d'Ezra Pound, pour ne citer que ces auteurs-là. Ce n'est cependant pas un secret qu'il manie avec autant d'aisance et de doigté la langue française. Il est l'auteur de poèmes français écrits de main de maître et, plus récemment, il a mis ce don exceptionnel au service du plus célèbre et du plus talentueux poète flamand du xixe siècle, Guido Gezelle. D'emblée la réussite saute aux yeux. Et ce pour deux raisons fondamentales: 1/La Fleur présente vingt-sept poèmes de premier ordre du ‘Révérend Père’, tous traduits pour la première fois avec une reproduction scrupuleuse du mètre gezellien: le jeu des rimes et le nombre de syllabes ont été rigoureusement respectés en français, ce qui n'avait jamais été le cas jusqu'à présent (même dans les très louables traductions de Liliane WoutersGa naar eind1). 2/ En soi pareil respect ne garantit pas automatiquement une bonne traduction, tant s'en faut; ce qui toutefois donneGuido Gezelle (1830-1899), photo Letterenhuis, Anvers.
son caractère magistral au travail de Paul Claes, c'est la manière souple et à cent pour cent française de faire évoluer, sauter et danser la phrase sur ce schéma sévère; de sorte que, si le lecteur ne lit que les versions françaises, jamais il ne sentira le travail, voire le labeur de la traduction; jamais non plus le traducteur ne tombe dans le piège d'un doux chantonnement à la Max Elskamp ou à la Francis Jammes. Gezelle est bien plus abrupt! Celui qui traduit se doit donc de rester au plus près du rythme et de l'allant du Brugeois et, en même temps, il lui faut éviter de surcharger le français de tournures étranges ou rébarbatives. Un exercice d'équilibre que Paul Claes a remarquablement mené à bien. S'il respecte au maximum tout ce que comporte un néerlandais singulier et fort complexe, Claes est loin de nous présenter une traduction littérale; elle ne suit même pas toujours, dans l'ordre et dans l'intégralité, tous les aspects du processus de signification, ce qui d'ailleurs ne me paraît pas requis pour aboutir à une très bonne traduction. Les deux aspects les plus remarquables de la stratégie adoptée par P. Claes me semblent être les suivants. 1/ Presque tous les elements | |
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signifiants dans le mot, dans la phrase ou dans la strophe, sont pris en compte; mais ils sont souvent autrement distribués dans l'espace du texte. Un exemple: dans la deuxième strophe de O 't ruischen van het ranke riet (‘O frêle roseau frémissant’), le mot dikwijls (‘souvent’) est répété avec émotion par le poète: hoe dikwijls dikwijls zat ik niet... Dans la version française cette répétition disparaît (‘combien de fois, me reposant...’), mais elle resurgit un peu plus loin, là où rien de tel ne se passe dans le texte originel: hoe menig mensch aanschouwt u niet... devient en français: ‘n'est-il pas maint et maint passant...’. Le vieux concept d'‘équivalence’ concerne donc ici le subtil fonctionnement, bien étudié, de la strophe ou du poème dans son ensemble; pas une transposition mot à mot, ou vers après vers. 2/ Parfois des mots peuvent disparaître, à moins qu'ils sortent affaiblis ou, au contraire, renforcés de l'opération; on peut aussi les remplacer métaphoriquement ou les déplacer métonymiquement (‘folâtre avec ta fleur’ au lieu de gaan spelen met uw' blaân [feuilles], par exemple). Les raisons de ces décalages peuvent être d'ordre euphonique, mais très souvent cette façon de procéder répond aux besoins du mètre et de la rime, sans jamais (trop) forcer le sens obvie (ou plus fin...) du néerlandais. Vingt-sept poèmes majeurs et complets constituent, dans ce précieux petit livre, autant de brillantes partitions. La lettre et l'esprit uniques de Gezelle, ses enjambements surprenants et sa pensée procédant par bonds résonnent ici en un français impeccable, sur un rythme et selon une mesure qui épousent étroitement ceux de l'original. frans de haes |
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