Septentrion. Jaargang 40
(2011)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdÉchangesLes Flandres sont des songes?: ‘ah, ces Flamands!’À l'heure actuelle, bon nombre de francophones n'arrivent toujours pas à se débarrasser de certaines idées reçues sur la Flandre. D'aucuns pensent que la Flandre profonde est restée foncièrement catholique et qu'elle baigne dans une ambiance bucolique. D'autres, au contraire, trouvent le Flamand moderne infiniment arrogant, excessivement rancunier, peu ouvert à d'autres cultures et même carrément raciste. Mais la Flandre existe-t-elle réellement ou est-il plutôt question de plusieurs Flandres? Estimant qu'il était urgent de rectifier l'image de la Flandre telle qu'elle est perçue dans la francophonie, la Revue Ah!, éditée par l'Université libre de Bruxelles et dirigée par Virginie Devillers et Jacques Sojcher, confia la composition d'un volume collectif, intitulé Ah, ces Flamands!, à Geert van Istendael, essayiste, poète et romancier flamand, réputé au sud de la frontière linguistique pour Le Labyrinthe belgeGa naar eindnoot1. Van Istendael contacta des auteurs flamands provenant d'horizons divers (écrivains, journalistes, universitaires, personnalités du monde de la culture, une femme politique) et aussi deux écrivains francophones (Jacques De Decker et Caroline Lamarche). Ensemble, ils étaient invités à donner une certaine idée de la Flandre ou, mieux, certaines idées de la Flandre. Quelques textes publiés dans Ah, ces Flamands! concernent directement l'actualité politique de la seconde moitié de 2010 et des premiers mois de 2011, la période au cours de laquelle le numéro spécial de la Revue Ah! fut préparé. Lorsque ce compte rendu paraîtra, ces textes auront déjà perdu une grande partie de leur valeur informative. Mais il était évidemment difficile de faire l'économie de l'interminable crise gouvernementale en Belgique. La journaliste Liesbeth Van Impe porte un regard critique sur les diverses phases des négociations (ou tentatives de négociations) ô combien difficiles, engagées au lendemain des élections fédérales belges du 13 juin 2010. | |
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Elle relève diverses erreurs et bourdes tactiques, tant chez les Flamands que chez les francophones. Ce qui la frappe, c'est le manque de volonté de dégager un compromis et ce qu'elle trouve plus singulier encore, c'est que les partis peu enclins à rechercher un compromis (notamment le parti nationaliste flamand N-VA) ne soient pas sanctionnés par l'opinion publique. Le romancier, poète et dramaturge Tom LanoyeGa naar eindnoot2 envoie un message très clair à Bart De Wever, le dirigeant de la N-VA. Lanoye s'en prend vigoureusement à ceux qui se focalisent uniquement sur ce qui divise les Flamands et les francophones de Belgique alors que tant de liens, souligne-t-il, continuent à unir les deux communautés. Autre voix intéressante: celle du philosophe et éthicien Etienne Vermeersch, intellectuel prestigieux porté au pinacle depuis bien des années et qui, il y a peu, se proclamait flamingant de gauche. Vermeersch déclare n'être nullement opposé à la solidarité socioéconomique entre Flamands et francophones pour autant que celle-ci soit fondée sur des accords précis s'inscrivant dans un cadre transparent. Il ne voit aucun inconvénient à ce que la Belgique continue d'exister, à condition que les francophones respectent la communauté flamande. Bea Cantillon, professeur de politique sociale, analyse les dangers que représenterait une éventuelle scission de la Sécurité sociale. Une scission complète ne lui paraît pas tout à fait impossible techniquement parlant, mais de toute façon extrêmement compliquée. En outre, le risque est réel qu'elle mène à un appauvrissement collectif. Quelques articles peuvent être regroupés sous la dénomination ‘Contributions d'experts du vécu’. Ces experts sont des auteurs qui vivent dans la Région de Bruxelles-Capitale ou dans les environs immédiats et qui, par conséquent, sont parfaitement à même de percevoir les tensions entre néerlandophones et francophones. Stefan HertmansGa naar eindnoot3 n'est pas tendre pour les Flamands qui réagissent de manière crispée à la francisation de la périphérie bruxelloise. Mais il trouve déplorable qu'une partie des francophones venus s'installer en région flamande refusent toujours obstinément d'apprendre le néerlandais. Caroline LamarcheGa naar eindnoot4 vit depuis quelques années en Flandre. Dans sa contribution, où elle évoque ses nombreux contacts avec des néerlandophones, elle avoue sans détour avoir honte de sa connaissance insuffisante du néerlandais. Que les frontières, et notamment une frontière linguistique ne doivent pas toujours être perçues négativement, voilà ce que nous montre Benno BarnardGa naar eindnoot5. Il appelle la frontière linguistique ‘ma patrie’. La même frontière joue également un rôle important dans ‘La Flandre est un songe’, le texte publié par Geert van Istendael lui-même. Lorsqu'en 1963 la frontière fut fixée entre les aires linguistiques néerlandophone et francophone de Belgique, on savait au moins où on en était (même si, à ce moment-là, tous les problèmes communautaires n'étaient pas encore résolus). Van Istendael pointe du doigt l'attitude, inconséquente selon lui, de ceux qui fustigent la préférence flamande pour le droit du solGa naar eindnoot6. Quand un néerlandophone ou un locuteur non francophone s'établit dans la partie francophone du pays, on attend de lui, en toute logique, qu'il apprenne le français. En quoi cela diffère-t-il du droit du sol? Beaucoup d'articles renvoient à l'histoire du Mouvement flamand, notamment ceux que signent Guido FonteynGa naar eindnoot7 (un des rares journalistes flamands connaissant à fond la Wallonie), Jozef Deleu, fondateur et, pendant trente ans, le rédacteur en chef de la présente revue, son successeur Luc Devoldere, Jacques De Decker et Geert van Istendael. Ce dernier attire notre attention sur une évolution importante, somme toute assez récente, au sein du Mouvement flamand: le passage d'un flamingantisme culturel à un flamingantisme purement économique. Les Flamands ont dû mener une longue lutte pour que, dans le contexte belge, leur langue obtienne le statut auquel celle-ci peut légitimement prétendre. Ce qui explique que nombre d'entre eux se préoccupent toujours du sort réservé au néerlandais. Jozef Deleu déclare haut et fort que la langue néerlandaise est ‘sa patrie’. En fait, cette langue, il a dû se l'approprier, puisque, à l'instar de tant d'autres Flamands, il a d'abord parlé un dialecte du néerlandais. La même situation a été vécue par Van Istendael et Devoldere, lequel souligne l'importance du néerlandais comme langue de culture de l'ensemble des | |
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Flamands. Trop souvent, le Flamand continue à parler son propre dialecte, même dans un contexte où il devrait s'exprimer en néerlandais standard. En réalité, dans l'article de Devoldere, il est surtout question d'identité. L'auteur ne cherche pas à nier qu'on puisse porter en soi plusieurs identités concomitamment, mais nous sommes quand même tous de quelque part? De son côté, Yamila Idrissi, députée socialiste au Parlement flamand, se dit bruxelloise, flamande, belge, marocaine, berbère et femme (sans ordre de préférence). Idrissi s'oppose farouchement à la pensée unique dans le débat sur l'islam. N'oublions pas de signaler quelques articles écrits par des sociologues. Chiffres à l'appui, Karel Dobbelaere affirme que la Flandre n'est plus une région catholique. La contribution la plus passionnante est celle que consacrent Marc Hooghe et Luc Huyse aux ‘fêlures du modèle belge de concertation’. Dans un exposé d'une grande clarté, les auteurs montrent comment, en raison d'évolutions diverses, il est devenu beaucoup plus difficile d'aboutir à un compromis politique en Belgique. Ils analysent entre autres des phénomènes sociaux (telle la disparition des clivages idéologiques), l'éventail des partis politiques (l'évolution d'un nombre restreint de partis vers un paysage politique morcelé) et le rôle des médias. Le lecteur de cet article apprend beaucoup aussi sur la façon dont, dans un laps de temps relativement court, la Flandre s'est profondément transformée tant du point de vue socioéconomique que sur le plan sociétal en général. Ah, ces Flamands! présente-t-il diverses physionomies de la Flandre? Sans aucun doute. Et, qui plus est, on donne la parole à beaucoup d'auteurs qui tendent ouvertement la main aux francophones belges, ce qui convaincra le lecteur de la volonté d'au moins une partie de la Flandre d'engager le dialogue. Ces auteurs-là se montrent d'ailleurs très critiques à l'égard de la Flandre actuelle. Ils digèrent mal ‘l'autosatisfaction d'une région prospère’. Mais, dans le même temps, ils tendent un miroir au lecteur francophone: même les partisans les plus fervents du modèle belge demandent au francophone qu'il respecte le néerlandais et la culture au nord de la frontière linguistique. N'empêche qu'il convient d'émettre quelques réserves. Une personne non prévenue pourrait penser que la Flandre (ou, par extension, la Belgique) constitue en quelque sorte une île. On ne se réfère pas assez aux évolutions en cours à l'étranger, comparables ou non à celles étudiées dans ce numéro de la revue. Heureusement, quelques articles ne souffrent pas de ce défaut, notamment la contribution cosignée par Marc Hooghe et Luc Huyse, les textes de Jozef Deleu et de Luc Devoldere, de même que le plaidoyer de David Van Reybrouck en faveur d'un populisme de gaucheGa naar eindnoot8. Les autres critiques concernent plutôt la forme. Ah, ces Flamands! contient des contributions assez diversifiées: non seulement des essais ou articles destinés à un large public, mais aussi des textes arides truffés de chiffres et de notes en bas de page, et même une interview (accordée par Alain Platel, le fondateur des Ballets C de la B). Et puis, brusquement, on est confronté à une série d'oeuvres d'art faisant partie d'une installation de Jan FabreGa naar eindnoot9. Tout cela fait un peu désordre. On regrettera sans doute aussi les nombreuses erreurs et négligences. Qu'on en juge par ce petit florilège: le texte de Jozef Deleu a d'abord paru en néerlandais (et non en français, p. 91), l'auteur flamand Bart Moyaert s'appelle en réalité Bart Moeyaert (p. 107), les légendes accompagnant les oeuvres de Jan Fabre sont exclusivement rédigées en néerlandais (pp. 99-105) et le titre de la revue flamando-néerlandaise Ons Erfdeel ne se traduit pas par Notre héritage mais plus adéquatement par Notre Patrimoine (p. 179). Comme quoi s'assurer les services d'un(e) bon(ne) secrétaire de rédaction n'est vraiment pas du luxe. On peut également se demander s'il n'eût pas mieux valu étoffer un peu plus l'index des noms de personnes, de partis, etc. Le francophone qui ne vit pas en Belgique se perdra assez fréquemment dans le dédale des noms, termes et concepts non précisés. En conclusion, je tiens à prévenir le lecteur d'Ah, ces Flamands! Vous croirez sans doute que la quasi-totalité des textes auront été spécialement écrits pour ce recueil. En effet, on ne mentionne qu'à propos d'un seul article, celui que signe Jozef Deleu, qu'il s'agit d'un texte publié antérieurement. Or, quantité d'autres contributions | |
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avaient elles aussi déjà paru, en néerlandais, dans des annales, des revues, des journaux ou autres publications. On a constamment omis de le signalerGa naar eindnoot10. hans vanacker |
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