Septentrion. Jaargang 40
(2011)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Un poète explicite et radical: Dirk Van BastelaereLa différence entre les Pays-Bas et la Flandre est particulièrement perceptible en poésie. C'est ce qu'affirme le traducteur français Daniel Cunin dans un essai où il scrute la littérature de langue néerlandaise à travers des lunettes françaises. Il ne s'agit pas là d'une pensée insolite pour qui admet que la poésie est un langage intensifié. En ma qualité de critique littéraire néerlandais, je ne sais pas toujours quelle attitude adopter lorsque je suis confronté à l'oeuvre de plusieurs poètes flamands. Et s'il y a un poète qui éprouverait des difficultés à se maintenir aux Pays-Bas, ce serait sûrement Dirk Van Bastelaere (o 1960). Il y a quelques années, Dirk Van Bastelaere était un des corédacteurs de l'anthologie Hotel New Flanders, où l'on s'efforçait de présenter une histoire autonome de la poésie flamande de l'après-guerre. Ce propos semble quelque peu artificiel. Les Néerlandais et les Flamands parlent la même langue. Il y a toujours eu des interactions et des échanges. Mais Hotel New Flanders souligne unilatéralement des tendances spécifiques à la poésie flamande. Un recueil de poésies choisies de Van Bastelaere traduites en français par Daniel Cunin vient de paraître sous le titre Splash!, emprunté à un poème du recueil Diep in Amerika (Au fond de l'Amérique, 1994). Splash! est publié dans l'éminente série Les Grands Soirs de la maison d'édition Les Petits Matins, dans laquelle on trouve des poètes français tels qu'Anne Parian et Éric Suchère ainsi que le poète sonore japonais Gozo Yoshimasu. Et ainsi on se retrouve au coeur de Paris. Dirk Van Bastelaere a débuté en 1984 avec le recueil Vijf jaar (Cinq années). Celui-ci est entre-temps devenu un document d'époque: il renferme la devise du groupe Joy Division et des poèmes pour le chanteur décédé Ian Curtis. Il est frappant que le jeune Van Bastelaere tourne d'emblée le dos à toute idolâtrie. Il ne recule aucunement devant la malédiction de la génération no future (dépourvue d'avenir), mais plutôt que de donner dans l'exaltation, ses poèmes respirent une indéniable puissance. Un an après ses débuts, il écrit avec son complice et congénère Erik SpinoyGa naar eindnoot1 le recueil Golden Boys. Trois ans plus tard vient le poème épique Pornschlegel. Le choix de poèmes retenus par le poète même pour cette anthologie française commence par Diep in Amerika, son recueil le plus posé. Il y est question d'une jeune fille: ‘la fille se déspirale / d'elle-même / pareille à un crocus du sol en dégel’, dans laquelle le moi peut ultérieurement ‘rouler à la manière d'un bouton qui se précipite’. Un langage particulièrement tempéré par rapport au langage habituel du poète ainsi qu'une sorte de réciprocité grammaticale retiennent tout de suite l'attention. ‘Parce qu'il y a de l'absence / il y a // de la poésie’, écrit le poète. Il y a une manifeste propension à une combinaison d'érotisme et de violence ainsi qu'un lien surprenant entre l'image et le son: ‘le fracas du bois qui refuse de dormir dans les portes’. La poésie de Van Bastelaere s'avère d'une extrême richesse. ‘Au fond de l'Amérique, vit la fin // du secret.’ La poésie de Van Bastelaere s'est toujours caractérisée par l'intelligence. Dans Hartswedervaren (Vicissitudes du coeur, 2000), il est question d'une intellectualisation de plus en plus évidente à l'intérieur même des poèmes. Le recueil estDirk Van Bastelaere (o 1960), photo Kl. Koppe.
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un concept, un sandwich avec un coeur entre les deux tranches. Selon ses propres dires, il y examine ‘la rhétorique relative au coeur considéré comme un phénomène historico-culturel, muscle qui, du fait de sa fonction spécifique, a donné lieu à un type particulier de sublimation’. C'est une poésie rude: ‘pareille à une chagatte sans nom / en une époque privée de femmes’. Il qualifie de ‘bien entendu pure folie’ le fait de s'adresser au coeur. ‘Chaque mot un abattoir’. Dans ce recueil, le coeur est un personnage plural. Le langage se fait de plus en plus grandiloquent. Il y a une série de poèmes sur la Rote Armee Fraktion (‘nous tirons lorsqu'on nous tire dessus’) où il laisse quelqu'un ‘vomissant le lyrique’ appeler par leur prénom les membres de ce groupe terroriste allemand. Il cite Kierkegaard: ‘l'oubli est une paire de ciseaux avec laquelle l'inutilisable / se laisse couper’. ‘Coeur, à partir de toi / parle un cadavre / trimbalé dans l'Histoire / sur un brancard’. Il y a des images percutantes, une main nue glabre sur la bouche, de la pluie sur une trace d'huile, la peau d'un tambour qui se déchire. Mais à mes yeux le concept de coeur ne convient pas vraiment au poète explicite qu'est Van Bastelaere, influencé par des romantiques tels que Rainer Maria Rilke et le poète flamand Hugues Pernath (1931-1975). En l'occurrence, il se fait par trop explicite. Chaque vers recèle une référence, une oeuvre d'art, ce qui alourdit son oeuvre. À la fin du recueil, on trouve une série de fables où Jésus figure comme une star porno. Le coeur est un animal qui meurt et il est ‘mêlé au poème / qui s'offre au passage / infarctus après infarctus.’ La part du lion de l'anthologie française est extraite du recueil De voorbode van iets groots (Le Présage de grandes choses, 2006). Celui-ci comporte plus de langage parlé, ce qui, dans le cas de Van Bastelaere, signifie: la pensée à travers ce qui est dit. Cela confère un plus à son oeuvre. Il s'adresse au lecteur. Parfois il reste difficile de voir l'ensemble à travers la multiplicité que propose le poète. Van Bastelaere écrit de la poésie abasourdissante. Un nombre considérable de poèmes décrivent des films: The X-Files, un film à costumes de Stephen Frears, et Speed du Néerlandais Jan de Bont. Le poète établit manifestement une distance par rapport aux images, qu'il perce à jour et commente. Ainsi, en parlant d'un film d'action: ‘le désir d'être sauvé est d'ailleurs universel’. Le long poème Wwwwwwhooooshh a été écrit douze ans avant la publication du recueil à l'intention de Jan FabreGa naar eindnoot2, artiste dont Van Bastelaere apprécie tout à l'exception de ses textes: ‘tu es amoureux / sexuellement parlant, de ta mort et / de la mort de ton espèce’. Le poème est un interminable souffle long de 23 pages. Daniel Cunin fournit une traduction passionnée du poète le plus marquant de la néerlandophonie. Personnellement j'aurais aimé lire aussi quelques poèmes extraits de Pornschlegel et un peu moins de Hartswedervaren. Le volume se clôt par un essai où Van Bastelaere étudie la sublimation de la poésie en chose et se révèle ainsi comme penseur et lecteur de Jacques Lacan et du philosophe et psychanalyste slovène Slavoj Žižek. Il traite de la sublimation de la poésie en chose, de la poésie substitut de la mort, via un épisode, à nouveau, de The X-Files où quelqu'un qui a échappé à la mort pour ne l'avoir pas regardée en face photographie par la suite des mourants et découvre chaque fois un léger voile sur l'épreuve photographique. Dirk Van Bastelaere est un poète radical. Plus il entend mettre l'accent sur son background flamand, plus sa poésie semble dans les grandes lignes revêtir un caractère fondamentalement international. erik lindner DIRK VAN BASTELAERE, Splash!, traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Les Petits Matins, Paris, 2011, 192 p. (ISBN 978 2 915 87987 2). |