Septentrion. Jaargang 40
(2011)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Vie et mort: Récits de Cees NooteboomEn 1957, l'écrivain néerlandais Cees Nooteboom (o1933)Ga naar eindnoot1 effectua un voyage en bateau d'Amsterdam au Surinam pour y faire connaissance avec la famille de sa future épouse. Pour payer son séjour, l'hebdomadaire Elsevier lui apporta un soutien financier considérable, en échange duquel il devait fournir de temps à autre des comptes rendus de son voyage. L'influence de ce séjour dans les Indes occidentales ne se ressent pas seulement dans ces reportages; on la retrouve aussi, ultérieurement, dans le petit recueil rassemblant sept récits paru en 1958 en néerlandais, et plus tard en français sous le titre Le Matelot sans lèvresGa naar eindnoot2. Le lecteur se rend tout de suite compte que ces récits se démarquent des nouvelles écrites aux Pays-Bas dans la seconde moitié des années 1950. Il s'agit d'histoires d'ambiance romantique au style bariolé, abondant en comparaisons imagées et en adjectifs, mais dépourvues des péripéties psychologiques classiques en vogue à l'époque. On n'y décelait qu'à peine, voire pas du tout, un thème général. Les récits étaient très lisibles pour autant qu'on les considérât comme des anecdotes bien agencées. Seul le dernier récit: Le roi est mort, qui comporte indéniablement des références à des mythes végétatifs, faisait exception à cet égard. Le fait qu'en vue d'une réimpression du recueil en livre de poche en 1963 l'auteur en retrancha deux récits et les remplaça par trois autres, indique qu'entre-temps il avait nourri des objections contre le recueil. Il réécrivit en outre plusieurs passages dont le style lui déplaisait. Par la suite, Nooteboom a réalisé une oeuvre imposante et diversifiée, composée de poèmes, de relations de voyages, d'essais, de romans, de nouvelles et ainsi de suite, mais il n'abordait plus jamais le genre du récit (fictionnel) bref. Or, le voici qui, plus de cinquante ans après, publie un deuxième recueil de récits: La nuit viennent les renards, deux fois plus volumineux que le premier. La plupart des huit récits comptent une quinzaine de pages. Contrairement à ce qui était le cas pour Le Matelot sans lèvres, un thème général se dégage d'emblée: le lien dynamique entre la vie et la mort, qui est d'ailleurs une constante dans l'oeuvre de Nooteboom. La mort joue un rôle dans chaque récit du recueil: soit elle vient de se manifester, soit elle est imminente, comme dans le bref récit qui clôt le recueil: Le Point extrême, où dans la plaine grise d'une île une jeune femme se tient au bord d'une falaise: elle est encore vivante, mais le lecteur pressent que ce n'est plus pour longtemps, qu'elle est sur le point de rejoindre les morts qui errent dans la mer en dessous d'elle. Le récit qui thématise le plus explicitement le lien entre la vie et la mort est le diptyque Paula. Dans le premier volet, un homme - tenant dans la main une photo, motif qui ressurgit dans d'autres récits encore: les photos réveillent les souvenirs - raconte ses années turbulentes de jadis, vécues au sein d'un cercle d'amis entre-temps disloqué, une succession de beuveries, de parties de cartes, de visites au casino. L'unique jeune femme du groupe était Paula, disparue depuis longtemps déjà. À l'époque, elle était un modèle d'une grande beauté dont tous les amis sans exception tombaient amoureux. Elle avait eu une relation avec certains d'entre eux, parmi lesquels le narrateur. C'est elle qui a rompu; lui ignore pour quelle raison exactement. Le lecteur comprend à la dernière phrase seulement que Paula est morte dans l'incendie d'un hôtel espagnol. Dans le deuxième volet, c'est Paula elle-même qui parle, depuis le royaume des morts. Elle se voit décédée mais pas encore morte. Au contraire, elle croit qu'elle pourra encore achever sa vie, avoir l'occasion d'expliquer, de redresser certaines choses. Elle dit avoir rompu avec le narrateur lorsqu'elle s'était rendu compte qu'elle ne pourrait jamais s'accommoder de ce qu'elle appelle son absence essentielle. Ainsi les deux récits s'équilibrent l'un l'autre: si la mort et la vie sont généralement considérées comme antagonistes, en l'occurrence elles sont très étroitement liées l'une à l'autre. Mon récit favori est Orages, non seulement en raison du contenu dramatique ou du choix d'un récit linéaire (de sorte que le lecteur vit tout en direct), mais aussi pour le traitement complexe du thème central. L'histoire se déroule sur une île méditerranéenne qui n'est pas nommée. La relation entre le personnage principal Rudolf | |
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Cees Nooteboom (o 1933), photo L. d'Agostino / Phocus Agency.
et sa femme Rosita chancelle: il se met en colère parce que, comme souvent en automne, il souffre d'une dépression qui bloque sa créativité. Pour détendre l'atmosphère, ils décident de gagner une petite ville des environs. Après quelque temps, de violents orages les obligent à s'arrêter près d'un café où s'abritent déjà plusieurs personnes. Un couple allemand se dispute sérieusement. Le mari sort dans la tempête et est foudroyé: il ne reste de lui que ‘la forme convulsée du corps’. Rentré chez lui, Rudolf part dans la forêt chercher du matériel pour une oeuvre d'art. Il tombe sur ‘un morceau de bois aux sinuosités capricieuses qui semblait être encore en vie’. Puis il entame les préparatifs pour sa création: il laisse le bois humide sécher près de l'âtre. À première vue, le récit ne semble guère offrir davantage qu'une minutieuse description de la foudre qui frappe mortellement, mais il s'agit certainement de plus que cela. Très importante pour une interprétation adéquate est l'observation qu'un lien est évidemment suggéré entre la victime (trempée par la pluie, calcinée par le feu du ciel, son corps déformé) et le morceau de bois ramené de la forêt (humide, à la forme capricieuse, déposé devant la cheminée). Quel est le sens de tout cela? Eh bien, conformément à l'ouvrage de base Le Rameau d'or de J.G. Frazer, auquel Nooteboom s'est également référé pour Le roi est mort, les arbres, le bois, sont le symbole par excellence du cycle éternel de la nature, de la perpétuelle succession de la mort et de la vie. Rudolf, qui en tant que querelleur s'identifie à l'Allemand, surmonte sa léthargie: il essaie de neutraliser l'horrible mort de l'Allemand par le biais d'une oeuvre d'art vivante. Cette mort aurait en principe tout aussi bien pu le frapper, lui. rudi van der paardt CEES NOOTEBOOM, La nuit viennent les renards (titre original: 's Nachts komen de vossen), traduit du néerlandais par Philippe Noble, Actes Sud, Arles, 2011 (ISBN 978 2 7427 9515 4). |