bébé. Aux parents, elle raconta que ce supplément servirait à couvrir les frais supplémentaires, par exemple l'achat de tétines adaptées. En revanche, a l'une des soeurs, elle confia qu'elle l'avait exigé car elle était convaincue que Doktor Hoppe et sa femme étaient prêts à payer n'importe quelle somme pour se débarrasser de leur gosse. Conviction qu'elle aurait d'ailleurs pu très bien déduire des paroles mêmes du vicaire.
Ce dernier avait proposé aux parents de confier pour l'instant l'enfant aux bons soins des clarisses. Moins d'une semaine avant, soeur Milgitha l'avait fait appeler pour lui dire qu'elle s'apprêtait à rouvrir l'asile. Elle lui avait demandé de repérer pour elle de nouveaux déshérités - comme elle les appelait. Bien entendu, il serait récompensé. Ne voulait-il pas être nommé curé au plus vite?
Le vicaire n'aurait jamais cru pouvoir trouver un déshérité aussi vite.
- Il faut combattre le mal, dit-il au docteur et à sa femme après avoir baptisé l'enfant.
Lors de cette opération, il pinça, à l'insu des parents, les fesses du bébé si bien que celui-ci se mit pleurer comme un possédé au contact de l'eau bénite sur sa petite tête. La mère porta les mains devant ses yeux, le père détourna le regard. Le vicaire répéta la même opération à deux reprises. Je pince. Je baptise. Je pince. Je baptise.
Toute l'eau bénite y passa. Les pleurs du petit Victor leur vrillaient les tympans.
- On ne peut combattre le mal qu'avec l'aide de Dieu, précisa-t-il en décortiquant chaque syllabe.
Il recoucha l'enfant en pleurs sans lui essuyer la tête. Les fins cheveux roux restaient collés sur le petit crâne. Le linge enveloppant le corps du bébé était tout trempé.
Il regarda la mère dans les yeux et, mine de rien, dit:
- Les soeurs de La Chapelle viennent de rouvrir l'asile.
Le père, il évita de l'observer. Il ignorait ce que ce dernier pouvait en penser. Quant à la mère, il était presque certain qu'elle ne voulait pas de l'enfant. Elle avait refusé de le tenir pendant le baptême et, chose remarquable, fait son possible pour ne pas croiser son regard.
Mme Hoppe leva les yeux sur son mari. Le vicaire détourna discrètement les siens, tourna la tête vers le berceau où Victor continuait de pleurer de toutes ses forces. D'un geste large, il porta la main à son visage, regarda par-dessous, en biais, le bébé, et secoua légèrement la tête pour montrer combien il était inquiet. Tendu, il attendait une réponse qui ne vint pas. Aussi, s'adressant de nouveau à Johanna, il se lança:
- Je peux... je peux vous arranger un rendez-vous avec soeur Milgitha.
- Nous y réfl... dit alors le docteur, mais sa femme l'interrompit brusquement.
- Je veux m'en débarrasser, Karl! s'emporta-t-elle.
- Johanna, nous devons en...
- Le diable est en lui! cria la mère, à moitié hystérique. Tu l'as constaté toi-même!
D'un coup sec, elle se tourna vers le vicaire. Son regard obligea ce dernier à intervenir.
- Herr Doktor, dit-il d'un ton calme, cela me semble être la meilleure solution.
Dans les yeux du docteur, un changement se produisit alors. Tout d'abord, il sembla étonné, et juste après, son regard se figea brièvement comme s'il essayait de se remémorer quelque chose. Le vicaire en déduisit que ses paroles avaient porté; aussi chercha-t-il à toucher une seconde fois son point faible:
- Pensez au futur de votre garçon, lui dit-il en le regardant droit dans les yeux.
Dans un lent mouvement, Doktor Hoppe dirigea son regard sur le berceau. Les pleurs montaient par vagues entrecoupées de courts répits au cours desquels le bébé, dans ses couinements déplaisants, cherchait des goulées d'air.
- Pensez au garçon lui-même, Herr Doktor. Le vicaire vit le docteur prendre une profonde respiration avant de dire: