Septentrion. Jaargang 37
(2008)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdLittérature‘Pour un voyage sans savoir sur une mer sans fin’: Tsjêbbe HettingaLa littérature frisonne a donné lieu jusqu'ici à très peu de parutions en français. Il existe tout au plus deux traductions françaises - d'abord la collection poétique Tsjerne le Frison et autres vers de Gysbert Japicx (1603-1666), traduite par Henk Zwiers et publiée en 1994 par Gallimard / L'aube des peuples, ensuite le roman burlesque Amouramort (Actes Sud, 1997), publié sous le nom de plume de Homme Eernstma, mais écrit par le baron activiste F.S. Sixma van | |
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Heemstra (1916-1999). La traduction est d'Agnès Caers. En réalité, il existe, depuis la Renaissance et l'oeuvre de Gysbert Japicx, toute une littérature en frison, comme l'ont démontré les dix auteurs de la grande et très belle histoire néerlandaise de cette littérature, publiée sous le titre de Zolang de wind van de wolken waait (2006) - expression empruntée à une chronique médiévale en vieux frison, qu'on peut traduire par ‘Aussi longtemps que le vent viendra des nuages’, autrement dit ‘Pour l'éternité’, ce qui caractérise, de manière très concrète, la pérennité de la culture orale des Frisons. Le frison est une langue régionale parlée par à peu près 400 000 personnes dans la province de Fryslân dans le nord des Pays-Bas. C'est la langue officielle d'une communauté linguistique qui remonte aux temps de Tacite et de l'Empire romain, et qui aujourd'hui est reconnue par la Charte européenne des langues régionales minoritaires du Conseil de l'Europe, adoptée aux Pays-Bas depuis 1995. C'est une langue sonore et mélodieuse, qui abonde en diphtongues et idiomes, avec une très riche tradition poétique et musicale, qui en fait une expression caractéristique et originale de la culture de cette communauté. Parmi les auteurs contemporains, la première place est occupée par le poète Tsjêbbe Hettinga (o 1949), qui vit à Leeuwarden, la capitale de la Frise. Depuis 1973, il a publié douze recueils de poésie, dont Frjemde kusten (Côtes étranges, édition bilingue, frison-anglais, 1995, avec CD) est un des plus connus. Aveugle, Hettema, qui est aussi saxophoniste, se distingue par la musicalité de ses présentations poétiques et il est fameux pour ses performances, toujours en frison, qu'il a présentées aussi bien à la Frankfurter Buchmesse en 1993 qu'à Londres (The Word Literary Festival, 1999), à Maastricht (Poetry International, 2004), et en Colombie (le Festival Internacional Poesía de Medellín, 2007). Un film documentaire sur Hettema, portrait d'un lyrisme très pur, fut produit en 2006 par le cinéaste Pieter Verhoeff, le Bertolucci frison. En mars 2007, ce film était présenté à Paris pendant Frisia Cantat, soirée littéraire et musicale donnant à découvrir cette deuxième langue nationale des Pays-Bas et organisée dans le programme du cinquantenaire de l'Institut Néerlandais, Haut les Pays-Bas!Ga naar eind1 Il existe des traductions en anglais, en allemand, en néerlandais et en espagnol de ses chants épiques dont les grands thèmes sont la mer et la lumière. Cette année-ci, une belle édition bilingue en frison et en français a paru de son cycle poétique De mer et d'au-delà, dont l'original fut couronné en 2001 par le prix littéraire frison le plus prestigieux, le Gysbert Japicx-priis. En neuf parties - Arrivée, Le Journal de bord, La Cruche, Le Berger, Le Rocher, De mer et d'au-delà, Tu danses les dagues dans ma peau, Sous le monde et Le Mûrier - le cycle conte un voyage mythique en Méditerranée et un séjour amoureux de onze jours aux îles grecques en compagnie d'une ‘Aphrodite des Caraïbes’, avec un récit de naufrage confié à une bouteille qui s'échoue sur la plage de son Curaçao natal. La sensualité contemporaine de ce cycle poétique, et son lyrisme épique et sonore, qui font écho à Victor Hugo aussi bien qu'à L'Omeros (1990) de Derek Walcott, sont encore intensifiés par les fortes impressions visuelles de la Grèce d'aujourd'huiTsjêbbe Hettinga (o 1949), photo Kl Koppe.
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et le contraste avec la cécité du poète - comme dans les lignes finales, où un âne quitte l'ombre ‘pour une / Lumière qui n'est qu'appât pour son passager aveugle’. reinier salverda Et de sa lune légère,
Prête à griffer, tes serres rapportant du gibier
Docile et la voie lactée, bec rouge de la mort,
Tourbillon de menace noire, tu danses, danses
Les dagues dans ma peau, détournes le regard
Et danses, tu danses.
Tout à coup plus de musique,
Comme pour ne rejouer que sur la tombe de
Ceux qui tiraient les couteaux, eux-mêmes touchés.
Appeler c'est venir, enrager abattre, attendre
C'est la mort. La lampe d'huile fume, et ta bouche
Sent le goût du sang.
Et dans une crampe aiguë
Les quatre chambres rouges de mon ego mourant
Se crispent comme fait la peau sous la peur, mes
Cinq sens se penchent sur ton corps étonné - et je
Tombe sur toi comme un pont dans le courant de
Ton esprit gracieux.
Extrait du poème ‘Tu danses les dagues dans ma peau’. |
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