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L'ostracisme
par A.F.TH. van der Heijden
Traduit du néerlandais par Christian Marcipont.
A.F.Th. van der Heijden (o 1951) est un écrivain-né. Sa plume, pour ainsi dire sismographique, explore sans cesse de nouveaux horizons. Les milliers de pages qu'il a déjà publiées sont en partie autobiographiques, encore que les événements dont il est question dans ses romans et ses récits ne constituent en aucune façon le reflet fidèle de sa vie: il les traite librement, excellant à y insérer fiction, digressions philosophiques, ainsi qu'une description saisissante du climat où baigne l'histoire sociale et culturelle des Pays-Bas depuis les années 1950.
L'oeuvre de Van der Heijden se caractérise par une structure complexe, souvent dénuée de cohérence chronologique. Afin d'aider le lecteur, il la structure en cycles. C'est le cas, par exemple, de De tandeloze tijd (Le Temps édenté), dans lequel il dresse le portrait des Pays-Bas tumultueux de sa jeunesse et de ses années d'étudiant. Le roman le plus retentissant de ce cycle, Advocaat van de hanen (Avocat des coqs), est centré sur la mort dans sa cellule du squatter Hans Kok.
Entre-temps, Van der Heijden s'est lancé dans le projet ambitieux d'un nouveau cycle: Homo duplex. En 2007 est paru Het schervengericht (L'Ostracisme), roman monumental dont la position à l'intérieur du cycle ne sera connue qu'ultérieurement, et qui, pour explorer des tribulations sociales bien au-delà de ses frontières, n'en dresse pas moins un état des lieux des Pays-Bas marqué au sceau de la profondeur. Het schervengericht renvoie à deux moments dramatiques dans la vie du cinéaste Roman Polanski: le meurtre de son épouse Sharon Tate, alors sur le point d'accoucher, par la bande de Charles Manson, et sa condamnation, huit années plus tard, pour attentat à la pudeur sur une jeune fille de treize ans. Le roman se déroule principalement à Choreo, une prison d'État californienne où se croisent, sept semaines durant, les chemins de Polanski et de Manson (ce qui relève de la pure fantaisie, Polanski ayant fui les États-Unis et s'étant soustrait par là même à sa possible condamnation). Van der Heijden ne nomme jamais par leur nom ses deux protagonistes, incarcérés sous les pseudonymes de Remo Woodehouse (Polanski) et Scott Maddox (Manson), ce qui leur permet d'éviter des représailles de la part de leurs codétenus, peu suspects de sympathie à l'endroit
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des gourous et des pédophiles. Remo Woodehouse découvre (au bout de quelque trois cents pages) la véritable identité de Scott Maddox. Il agresse son ennemi, ce qui lui vaut un séjour en cellule disciplinaire. Remo y vit en imagination le meurtre de sa femme, tel que son fils Paul est censé l'avoir observé dans le ventre de sa mère.
On peut s'étonner qu'à ce jour aucun roman d'un écrivain aussi talentueux que Van der Heijden n'ait été publié en français. Si tel devait cependant être le cas pour Het schervengericht, le lecteur n'aurait qu'à se reporter au ‘mode d'emploi’ paru dans le quotidien d'Amsterdam Het parool: ‘Achetez ce roman, rentrez chez vous et installez-vous confortablement, débranchez le téléphone et l'ordinateur, et abandonnez-vous au bon vieux plaisir de lire’.
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Réveil en prison
À travers la confusion du demi-sommeil, Remo se crut dans un de ses hôtels préférés. Seulement voilà, impossible de découvrir lequel: le Waldhof à Gstaad ou le Beverly Wilshire? Un cliquetis et un tintement familiers l'avaient réveillé. Enfin, familiers... un bruit différent des autres fois. Comme si l'hôtel avait subi des transformations et qu'on avait fait disparaître toutes les tapisseries du couloir. C'était agaçant, ces cahots et ces grincements de la desserte roulante sur le sol nu à l'heure du petit-déjeuner. Les De Luxe aux cinq étoiles... complètement bidon, de nos jours. Il irait se plaindre à la réception. Il avait bien dormi, soit. Sauf qu'à plusieurs reprises, un portier de nuit lui avait braqué une lampe puissante dans les yeux. Ça non plus, il ne manquerait pas de le signaler.
La porte de sa chambre s'ouvrit avec un bourdonnement proche de la trépidation.
- Woodehouse... Café ou thé?
Il se redressa d'un bond, sa main cherchant son visage. Ah oui, la barbe. Un codétenu se tenait dans l'embrasure de la porte, les bras chargés d'un plateau rempli.
- Tiens.
Il sauta de son lit de camp et s'empara de son petit-déjeuner, dont l'odeur évoquait le repas du soir. Un moment, Remo se sentit pris de nausée.
- Café, s'il vous plaît.
La nausée, c'était en même temps le retour du dégoût: lui, ici, derrière les barreaux, coupable aux yeux du monde, innocent à ses propres yeux. Tout le monde connaissait l'écoeurement qui suit l'orgasme, toujours de nature passagère. Son écoeurement à lui durait à présent depuis quelque neuf, dix mois, et ne faisait que croître. Si tous les animaux étaient tristes après l'acte, à l'exception du coq, qui poussait des cocoricos, alors Remo était un coq triste qui, depuis bientôt un an déjà, continuait à crier sa tristesse, de plus en plus tôt le matin, et avec un désespoir de plus en plus grand.
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The egg man
Avant même que ses oeufs mécaniques ne lui vaillent de participer au talk-show de Jeffrey Jaffarian, tout San Francisco l'appelait The Egg Man, encore m'était-il apparu que, dans les rues de notre quartier, tout le monde l'interpellait invariablement au cri de: ‘Hai, Hippie-ie-ie...!’
Automne 1966: le surnom ne pouvait donc avoir été emprunté à ‘I am the Walrus’ des Beatles (‘I am the egg man / I am the walrus / goo goo goo joob’), John Lennon n'ayant écrit la chanson qu'un an plus tard. Fournisseur de produits de première nécessité les plus variés, et pas seulement de fleurs, The Egg Man était une célébrité parmi les nomades des rues de
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Haight-Ashbury et les adorateurs de la star dans les parcs environnants. Des indices tendaient à prouver que George Harrison, qui, au cours de l'été 67, s'était arrêté au Golden Gate Park afin d'y partager les lamentations des hippies, avait regagné Londres avec l'histoire de cet étrange marchand ambulant dans ses valises et l'avait rapportée à son partenaire du groupe. Pour sa part, Lennon avait toujours juré ses grands dieux que ‘the egg man’ était une allusion au chanteur des Animals, qui avait pour habitude, afin d'exacerber le plaisir, de casser des oeufs crus sur le corps nu de ses partenaires sexuelles.
Jusqu'au début des années 1970, son implication en faveur de l'oeuf était restée une obsession mystique. Cela ne déboucha sur une mise en pratique de ses idées qu'au cours du ‘Spécial Pâques’ de Jeffrey Jaffarian en 1972. Au début de l'émission, les oeufs étaient encore immobiles dans leurs moulages en plastique blanc, posés sur la table entre les micros, mais The Egg Man, grâce à ses gadgets techniques, ne tarda pas à les faire parler, chanter et danser. L'un des oeufs, d'une voix ténue et métallique, entonna l'hymne américain; un autre se mit à tourner comme une toupie sur la table, après que Jaffarian, à la demande de l'inventeur (ou de l'artiste), lui eut envoyé une bouffée de fumée de cigarette. À la fin de l'émission, un industriel se présenta, désireux d'assurer la production en série de l'oeuf qui tourbillonnait au milieu des nuages de fumée, pour l'utiliser comme détecteur d'incendie.
The Egg Man conçut également pour la même entreprise des oeufs faisant fonction d'alarmes automobiles (un souvenir discret sur la plage arrière), de shakers électriques et de vibromasseur pour les creux de genou fatigués. Quatre ans plus tard, le fleuron de sa couronne fut évidemment l'OEuf de Washington, avec ses étoiles et ses bandes, indispensable pour agrémenter le petit-déjeuner le jour du bicentenaire de l'Indépendance. Ce fut un succès commercial bien au-delà du 4 juillet 1976, même si les aigles américaines ne donnèrent pas libre cours massivement à leurs sentiments maternels en répondant à l'appel lointain d'un aiglon encore à naître, et si la récompense de 25 000 dollars, destinée à qui réunirait l'oeuf et le rapace, ne fut jamais attribuée, ce qui, au demeurant, était le but du jeu.
Il s'appelait Charles van Deusen, et avait vu le jour à Amsterdam. Au début des années 1960, alors âgé de vingt et un ans, il avait rassemblé ses économies et s'était établi sur la côte ouest des États-Unis, à la fois comme homme d'affaires et artiste. À l'époque déjà, la coquille d'un oeuf d'oie possédait à ses yeux la forme la plus parfaite que l'on pût trouver dans le cosmos, bien que Van Deusen n'ait pas encore eu l'occasion de s'en servir pour exercer son art, et encore moins pour faire des affaires. Provisoirement, il se contentait d'un petit commerce de fleurs coupées défraîchies (mais non endommagées) en provenance d'Aalsmeer, qu'il faisait transporter par avion de Schiphol jusqu'à l'aéroport international de San Francisco. Il allait chercher les cagettes au terminal du fret dans sa Chevrolet Cabrio 1951, une voiture-école mise au rancart par l'auto-école Hippe, d'Amsterdam, qu'il avait fait venir par bateau des Pays-Bas. Un panneau portant le nom HIPPE courait encore sur toute la largeur du toit, mais Van Deusen n'en avait cure. Dans le but de faire de la publicité pour ses produits de deuxième fraîcheur, fidèle aux traditions en usage au Keukenhof, il accrochait sur le capot et le hayon, ainsi qu'aux portières de sa six cylindres, des tas de guirlandes de fleurs. C'est ainsi qu'on le vit exercer son commerce en voie de fanaison, sillonnant les environs, le quartier des artistes autour de l'intersection de Haight Street et de Ashbury Street. Les habitants ne parvenant pas à retenir le nom Van Deusen, ils le saluaient par ses vitres ouvertes en poussant une Sorte de cri de cow-boy prolongé: ‘Hai, Hippie-ie-ie...!’
Par la suite, The Egg Man se dit que la publicité ne devait pas se cantonner à la voiture. Il redonna à ses fleurs une apparence de fraîcheur en attachant fermement les uns aux autres les calices indépendants, à la mode hawaïenne, et en se passant l'ensemble autour du cou. Ce n'était pas la première mode qu'il lançait. À Amsterdam, à la fin des années 1950, Van
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Deusen avait fait don à la période des blousons noirs d'un autre signe de ralliement, rougebrun cette fois, en l'occurrence une queue de renard tendue sur un morceau de fil de fer et attachée au guidon de sa Berini. Ceci, avec l'assentiment des éleveurs de volailles, avait quasiment conduit à l'extermination de la population des renards aux Pays-Bas. Les blousons noirs du bas de l'échelle, quant à eux, durent se contenter d'une queue d'écureuil.
De plus en plus d'habitants du quartier se mirent à pleurnicher pour avoir leurs couronnes de fleurs, et il les leur vendait largement en dessous du prix, quand il ne les offrait pas, pourvu qu'ils acceptent de crier le nom du fleuriste sur les toits: Hippe. Tous ceux qui s'étaient parés de fleurs devinrent donc des hippees, et le terme fit rapidement office de salutation entre coreligionnaires: ‘Hai, hippie-ie...!’
Des années plus tard, on a écrit une foule d'articles à propos de l'étymologie du terme hippie. Les auteurs ont tous cherché midi à quatorze heures, certains situant même son apparition au Ghana, d'où les esclaves, l'utilisant comme élément d'une langue secrète subversive, l'auraient introduit en Amérique. La naissance du terme, j'avais eu le nez, les yeux et les oreilles dessus. Il trouvait son origine dans une six cylindres transformée en boutique de fleuriste ambulante.
Le dévastateur Summer of Love était encore en gestation, mais déjà un poète avait forgé le cri de guerre pacifique Flower Power, qui annonçait le début de la fin. Entre-temps, on était arrivé au printemps 67, et je savais que le magouilleur d'Amsterdam, si sensible à l'esprit du temps, serait l'homme tout désigné pour délivrer mon oracle à qui de droit.
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Dans l'utérus
Paul parvenait même à entendre le chat errant, qui ne pesait rien du tout, s'approcher en glissant sur ses petites pattes, que Sharon avait comparées un jour à des pieds en chaussettes. Le minou parcourut les deux derniers mètres qui le séparaient de la femme en effectuant des bonds. 00:56 Il heurta une des pochettes d'allumettes à détacher qui étaient tombées par terre dans la confusion et frôla, étirant toute sa maigreur, le ventre nu et proéminent de maman. La charge électrique de la fourrure provoqua un crépitement de Dieu le père à l'intérieur: un orage dans le ciel minuscule de Paul.
Streaky escalada le corps immobile, plantant ses griffes acérées dans la peau. Quand la chose se produisait à l'improviste, maman criait en riant, exactement comme quand le chien poussait son museau glacé contre elle. Cette fois, elle ne se contracta pas. Streaky se mit à ronronner, faute de mieux.
Sharon était étendue sur son côté gauche, le bras droit sur la tête. Ayant pris place dans le creux de l'aisselle de la femme, Streaky commença à pétrir le côté nu de sa poitrine, qui n'était que partiellement recouverte par le bikini, comme le font les jeunes chats autour des mamelles de leur mère, afin de faire monter le lait. Cela rendit Paul furieux et jaloux: une autre créature venait réclamer le nectar auquel lui avait droit, même si pour l'instant les pieds en chaussettes ne récoltaient que du sang. Face à sa jalousie et à sa fureur, Paul ne put que recourir aux réflexes acquis auparavant: chercher le lait de la main et de la bouche, et téter. Il ne récolta que de l'air, et pas précisément frais.
00:57 Streaky, qui s'était attendu à la caresse d'une main et à davantage encore de crépitement électrique, s'arrêta de ronronner et se laissa glisser du ventre de Sharon jusqu'à terre. À présent, on entendait nettement le minou lécher le sang de ses chaussettes; ensuite, il donna un petit coup à la pochette d'allumettes à détacher, puis à une autre, avant de se remettre à lécher - à ce moment, ce furent soudain une vingtaine de ces pochettes qui
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apparurent autour de Sharon. Paul savait que sa mère avait l'habitude de rassembler les allumettes offertes par les hôtels et les restaurants dans une corbeille, laquelle devait être vide à présent. Quand une de ces pochettes n'avait pas été ouverte, une patte de chat lui faisait rendre un tout autre son que quand elle avait été entamée. Avec trois allumettes utilisées, le bruit était déjà différent d'une pochette qui en contenait encore quatre.
Paul dut se torturer les méninges pour deviner comment Streaky, en jouant, s'était pris les griffes dans un fil. À 00:58 précise, il avait trouvé la solution. Plus tôt dans la semaine, Voytek, au moment où il voulait allumer son joint dans le salon, s'était plaint de ce que pour la nième fois, il avait pris un petit nécessaire à couture en carton, tel qu'on en trouve gratuitement sur les tables de nuit de certains hôtels, pour une pochette d'allumettes.
- Vous préférez me voir coudre que fumer mon herbe.
Streaky, vexé, s'éloigna en miaulant de la femme insensible, tirant derrière soi la pochette accrochée dans une boucle de fil.
00:59 Le voilà, enroulé dans l'utérus de maman, le menton sur la poitrine, comme s'il souffrait de la maladie de Bechterew. Ces derniers temps, sa croissance avait déjà restreint sa liberté de mouvement, mais maintenant que le corps de maman donnait cette impression de pesanteur et de rigidité, il lui semblait disposer d'encore moins d'espace. Autrefois, dans un lointain passé (plusieurs semaines auparavant), il s'était laissé aller à effectuer un roulé-boulé dans le liquide amniotique à température du corps. Désormais, il lui fallait mourir sans le salto mortale de rigueur. Donner des coups de pied, oui, voilà qui devrait certainement marcher. Cette après-midi encore, maman s'était plainte des douleurs dans les côtes inférieures que lui occasionnaient ses coups de pied. Paul souleva une jambe et la lança en avant, mais non: elle ne retrouva que péniblement sa position initiale. Quant à pédaler, il n'essaya même plus.
01:00 Dix minutes encore pour se libérer de sa mère défunte et faire son entrée dans le monde. Il ne se produisit aucune dilatation. Il demeurait immobile dans le liquide amniotique en train de se refroidir. Le bouchon de mucus censé le protéger contre l'intrusion des germes pathogènes se maintenait fermement en place, comme un morceau de résine dans le goulot d'une amphore grecque. Pour pouvoir s'échapper, il lui aurait vraiment fallu la collaboration de maman elle-même. Toutes ces gourdes hystériques avec leurs couteaux Buck... Pourquoi ne lui avaient-elles pas donné un coup de main, du moment qu'elles étaient occupées à débiter tout le monde en petits morceaux? Sharon n'en aurait pas été plus morte qu'elle ne l'était déjà.
01:01
- Piper! Virgil! La ferme...!
La voix de Billy, provenant de la chambre d'amis, derrière la piscine. Les aboiements moururent, se transformant en gémissements apaisés. Les cambrioleurs, pour le reste si méticuleux, devaient avoir négligé le gardien de la maison. Peut-être Billy était-il leur complice et, ce soir, sur le Strip, leur avait-il donné le signal. (‘Les deux femmes ne sont pas un problème. Le coiffeur n'arrive que tout à l'heure. Une demi-portion. Le Polonais est déjà complètement défoncé. Maintenant ou jamais.’)
01:02 Au-dessus des collines, le bruit d'aspiration d'un avion occupé à atterrir, selon toute vraisemblance à LA International. Paul se figura reconnaître un appareil de la British Airways en provenance de Londres. Son père, à la demande de l'hôtesse, était justement le dernier passager à boucler sa ceinture. Papa mastiquait pour protéger ses oreilles de la dépressurisation. Dans le bagage à main au-dessus de sa tête se trouvait le script incomplet sur les dauphins doués de parole, dont il s'était plaint au téléphone. Plus des cadeaux pour son enfant. Un jouet asexué, sa paternité n'étant pas encore tranchée: un fils ou une fille?
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Le sexe n'avait plus d'importance. Même si le père là-haut se trouvait dans le Boeing, il ne serait pas à la maison dans les huit minutes à venir pour sauver Paul. Adieu, papa.
01:03 Piper et Virgil ne faisaient pas de bruit, à l'exception de leurs langues monstrueuses, avec lesquelles ils lapaient leur écuelle. Billy mit un disque. ‘Marrakesh Express’, de Crosby, Still & Nash. Si Paul parvenait à l'entendre, comment diable se faisait-il que Billy n'ait rien remarqué de toute cette histoire d'Hurly Burly? Il devait faire partie du complot. Le gardien ouvre la porte aux meurtriers et se retire dans la loge avec les chiens et des jumelles.
01:04 Après un vrombissement lointain, l'avion était devenu inaudible. De la ville en bas montait la rumeur monotone du trafic, de loin en loin interrompue par le vent maritime grossissant. Il baignait encore dans la chaleur émanant du grand corps, mais la différence de température devenait sensible et commençait à le gêner. Les canaux habituels n'acheminaient plus la nourriture jusqu'à lui, pour ne rien dire de l'oxygène. Paul avait faim, mais la chose était moins grave que la lente asphyxie qui commençait. Il lui apparut qu'un foetus pouvait pleuren. Sans bruit, mais avec de vraies larmes humides.
01:05 Tout près des malles-cabines, témoins silencieux de voyages et de meurtres, le chat errant jouait avec quelque chose de dur qui raclait le parquet. Paul pensa d'abord aux lunettes, mais non, le bruit était plus strident. Du bois sur du bois. Il devait s'agir d'un morceau de la crosse brisée du revolver.
01:06 Tout espoir n'était peut-être pas perdu. Ces derniers temps, pour contrer le refroidissement, une mince couche de graisse s'était formée sous sa fine peau, lui permettant de réguler sa température corporelle. Ainsi se conservait-il au chaud pour le grand Néant, qui ne devait plus être éloigné de lui que de cinq minutes, si les calculs du Dr DeRienzo étaient exacts.
Extraits de Het schervengericht (L'Ostracisme), Querido, Amsterdam, 2007, pp. 87-88, 444-447 et 770-773.
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