Septentrion. Jaargang 37
(2008)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdLittérature‘Joe Speedboot’: un roman de formation décapant de Tommy WieringaLa parution en 2005 du quatrième roman du journaliste Tommy Wieringa (o 1967) a surpris agréablement le monde des lettres aux Pays-Bas. Nominé pour l'attribution de plusieurs prix prestigieux, le livre s'est finalement vu décerner le prix F. Bordewijk 2006, le rapport du jury de la fondation Jan Campert soulignant à juste titre la fraîcheur bienvenue de l'ouvrage, au sein d'une production littéraire néerlandaise trop souvent hyperconstruite. Wieringa y remet à l'honneur avec une verve réjouissante la narration, tournant résolument le dos au questionnement postmoderniste de l'univers romanesque. Cette tendance récente est également perceptible chez des auteurs à l'inspiration plus classique, tel Arthur Japin (o 1956)Ga naar eind1, spécialiste du roman historique, qui débuta en 1995, la même année que Wieringa. Les deux premiers romans de l'auteur, Dormantique's manco (Le Déficit de Dormantique, 1995) et Amok (Frénésie, 1997), passèrent inaperçus; ensuite, Wieringa se rattrapa avec Alles over Tristan (Tout sur Tristan, 2002)Ga naar eind2, voyage imaginaire sur les traces d'un mystérieux poète disparu. Le motif de la quête est à nouveau très présent dans Joe Speedboot, mais d'une manière à la fois plus prosaïque et surtout plus cocasse. Avec ce roman, la littérature de langue néerlandaise s'enrichit d'une sorte d'équivalent du Monde selon Garp de John Irving ou, plus loin dans le temps, de l'Attrape-Coeurs de J.D. Salinger: un livre culte sur le passage de l'adolescence à l'âge adulte, dans lequel pourra se reconnaître une génération, tout en s'inscrivant dans la tradition asssez codifiée du roman d'apprentissage. L'attrait qu'exerce Joe Speedboot tient d'abord au point de vue original adopté par l'auteur: celui d'un jeune handicapé, confiné au fauteuil roulant à la suite d'un grave accident, et muet de surcroît. Le récit est raconté à la première personne par ce petit Frans, âgé de quatorze ans au début du | |
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roman, condamné par la force des choses à un rôle d'observateur et à une perspective en contre-plongée. Fils d'un ferrailleur, il voit débarquer dans l'atmosphère morne d'un village isolé au bord du Rhin, Lomark (nom imaginaire), un grand gaillard casse-cou affublé du sobriquet de Joe Speedboot. Il se découvre rapidement une amitié admirative pour ce personnage marginal, dont les frasques défient le bon sens; bientôt, Joe Speedboot prend le petit Frans sous sa protection et les épreuves du roman de formation peuvent commencer, minutieusement relatées par le jeune narrateur, par ailleurs chroniqueur assidu de la vie locale, exerçant ses talents d'écrivain en herbe à l'aide de son seul bras valide. La première partie du roman, intitulée ‘Lettres’, en référence à cette activité mais également à l'une des voies à suivre selon un traité du samouraï qui fascine le garçon, est placée sous le signe de l'expression adolescente. Dans ce registre, le style impertinent de Wieringa se révèle particulièrement efficace lorsqu'il est par exemple question d' ‘une petite plage aussi jaune que l'ongle griffu sur le gros orteil de papa’ (p. 50) ou de l'avion construit par Joe Speedboot pour survoler le jardin d'une voisine naturiste, décrit comme ‘un pied de biche qui nous ouvrirait le ciel entre les jambes de Mme Eilander’ (p. 82). Cet épisode spectaculaire marque une des étapes du roman d'apprentissage - non seulement l'engin décolle, mais il permet au petit passager Frans de découvrir une autre vision du monde: la perspective à vol d'oiseau. L'aventure émancipatrice trouve un parallèle dans une autre invention: l'amant de la mère de Joe Speedboot, un émigré égyptien, surnommé Papa Africa, fabrique à son tour une felouque avec laquelle il disparaît peu après la mise à l'eau de l'esquif sur un méandre du Rhin, reparti sans doute rejoindre son village des bords de la mer Rouge. Ici, l'imaginaire le dispute allègrement à la grisaille désespérante d'une société vivotant en vase clos - Lomark est séparé du monde extérieur d'un côté par le fleuve et de l'autre par le mur antibruit d'une autoroute qui ne dessert pas la localité - dont il s'agira de s'échapper par tous les moyens. La seconde partie du roman, ‘Sabre’ - l'autre voie du samouraï représentant l'action après laTommy Wieringa (o 1967), photo Kl. Koppe.
contemplation -, offre au petit Frans l'occasion de s'affranchir de ce milieu lilliputien tout en s'initiant au principe de réalité ou, dans les termes utilisés par l'auteur, à la ‘capitulation (...), moment essentiel du chemin qui mène à l'âge adulte’ (p. 312). Coaché par Joe Speedboot, Frans se sert cette fois de son bras valide hypertrophié pour devenir champion de bras de fer et sillonner avec succès les principaux tournois européens consacrés à ce sport d'arrière-salle de troquet, jusqu'à rencontrer plus fort que lui: la bête humaine Islam Mansur, qui l'élimine en lui brisant l'aile aussi sec. D'observateur, Frans ‘Le Bras’ s'est cependant élevé au rang d'acteur principal, et lorsque l'inénarrable Joe décide de courir le Paris-Dakar à bord d'une pelle mécanique trafiquée par ses soins, avec la ferme intention de retrouver Papa Africa, Frans en profite même pour séduire sa fiancée, la fille très convoitée de la voisine évoquée dans la première partie. Entre-temps, la découverte du véritable nom de Joe Speedboot, Achille - le vulnérable -, achève de désacraliser l'héroïque modèle. Au final, c'est un troisième larron qui épousera la pin-up, non sans que Joe réussisse une ultime pitrerie en forme de pied de nez, en survolant la noce en rase-mottes dans son aéronef bricolé. | |
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Avec ce livre, Tommy Wieringa signe un roman vitaliste décoiffant, aux accents picaresques, proche de la littérature anglo-saxonne et parfois aussi du régionalisme corrosif de certains romans de Hugo Claus, qui consacre un réel talent de conteur et de styliste, non sans subtilité, car le récit peut être lu comme une allégorie moderne de l'entrée dans la vie, en dépit de l'apparente légèreté du propos. La lisibilité de la version française doit beaucoup au remarquable travail du traducteur David Goldberg. dorian cumps |