Septentrion. Jaargang 37
(2008)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdPiet de Groof: les mémoires d'un généralQuand il pleut, quand il y a de faux nuages sur Paris, n'oubliez jamais que c'est la faute du gouvernement. La production industrielle aliénée fait la pluie. La révolution fait le beau temps. Guy Debord, La Planète malade, 1971 (2004). Piet De Groof naît en 1931. Il songe à devenir poète et chef de file d'une avant-garde artistique, mais il ne perd pas ses ailes et devient aviateur. Il restera fortement imprégné et constamment préoccupé de peinture et de poésie. Étudiant doué, il devient polytechnicien, critique d'art et même poète (sous le pseudonyme mystérieux de Walter Korun) et l'ami de plusieurs poètes et peintres à l'âge de 24 ans. Il découvre le poète Paul Van Ostaijen et a des contacts ou se lie d'amitié avec les peintres Maurice Wyckaert, Asger Jorn et Pierre Alechinsky et autres peintres-poètes comme Christian Dotremont et Paul Snoek (Paul Snoek pouvait être perfide: un jour, à Bruxelles, il faisait très froid; il y avait à Taptoe, le nom d'une galerie d'art qui sonne ironiquement un peu militaire, un feu allumé et Paul Snoek, tout jeune encore à cette époque (en 1955), a éteint le feu en pissant dessus, ou simplement en pissant dans l'âtre). Il étudie, voyage en France (mai, mai, mai Paris, chantait Claude Nougaro), poursuit sa carrière militaire à la base de Kamina au Congo (belge) et devient officier supérieur et finalement général-aviateur. Toute sa vie, Piet De Groof s'est attaché à combattre deux adversaires: la médiocrité menaçante d'une part, l'ignorance d'autre part. Il leur reproche d'éteindre la vie ou le grand bouillon de culture vivante et donc toujours actuelle. La pensée révolutionnaire de Guy Debord, l'auteur prophétique de La Société du spectacle (Paris, 1967), mêlait subtilement l'excès (symbolisé par le désir révolutionnaire des illusions idéologiques) et la démesure (représentée par la rigidité de l'analyse plus-que-marxiste). Ce choc était surtout sensible dans les troubles de 1968, donc un an après la parution de son célèbre livre théorique. Le penseur Guy Debord écrit dans le huitième chapitre de ce livre, évoquant ‘la négation et la | |
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Piet De Groof (o 1931).
consommation dans la culture’ (le no 191 de son texte numéroté): ‘Le dadaïsme et le surréalisme sont les deux courants qui marquèrent la fin de l'art moderne. Ils sont, quoique seulement d'une manière relativement consciente, contemporains du dernier grand assaut du mouvement révolutionnaire prolétarien; et l'échec de ce mouvement, qui les laissait enfermés dans le champ artistique même dont ils avaient proclamé la caducité, est la raison fondamentale de leur immobilisation. Le dadaïsme et le surréalisme sont à la fois historiquement liés et en opposition’. Une des questions qui se posent est la suivante: où et quand se sont rencontrés Piet De Groof et ce fameux Guy Debord, et comment expliquer la rupture, voire l'exclusion de Piet De Groof du mouvement situationniste? Le beau livre Piet De Groof. Le général situationniste, qui se présente tel un document-fleuve, est axé sur une interview (entretiens avec Gérard Berréby et Danielle Orhan) longue et est entouré d'un ensemble de documents uniques (nombreuses photos, documents et textes pour invitations ou même pamphlets historiques) qui témoignent d'un temps récent, mais hélas révolu. La richesse de cette collection de documents forme un assemblage ou un collage d'une valeur inestimable. À la page 144 le lecteur trouve même un schéma surprenant des filiations artistiques établies par Piet De Groof, de James Ensor à Pierre Alechinsky, de Van Gogh à Karel Appel et de Kandinsky à Maurice Wyckaert ou de Nolde à Constant. Les lignes tracées ainsi illustrent encore une fois sa connaissance des arts plastiques et sa vision panoramique. D'ailleurs, tout ce livre volumineux est émaillé de piquantes anecdotes ou de souvenirs élogieux pour le mouvement Cobra ou d'autres mouvements ou courants de l'avant-garde avec leurs multiples galeries comme Taptoe (remarquez bien le mot presque militaire!) et leurs remarquables expositions. Piet De Groof a bien connu Christian Dotremont (le poète, le romancier, le peintre, le calligraphe et l'inventeur des logoneiges - textes écrits dans la neige de Laponie et photographiés | |
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par lui-même - qui fut en plus le principal fondateur du mouvement Cobra); à la question de ses interlocuteurs bien au fait de l'histoire de l'art ‘Comment était Christian Dotremont?’, le général, qui n'a pas perdu une once de sa mémoire, répond simplement et laconiquement: ‘Il se lavait une fois par semaine. Il visitait sa maman chaque mercredi midi pour bien manger et prendre un bon bain. Il était toujours habillé en noir, comme Marcel Broodthaers, qui venait parfois le soir au Taptoe’. Une autre déclaration bien sentie du général, qui jadis imprimait sa propre petite revue dans les caves non pas du Vatican à Rome, mais de l'École royale militaire à Laeken (Bruxelles), illustre bien sa lucidité et sa clairvoyance à propos de la poésie de son temps (de sa jeunesse) ou des années 50 du siècle dernier; elle fournit une définition limpide et nette de la poésie (qu'elle fût flamande ou pas): ‘Ils s'expriment de manière spontanée. Le poème, c'est une voix intérieure qui dicte la voie, le style. C'est l'écrivain qui cherche et trouve. Et tous ces jeunes poètes commencent à aborder librement les problèmes de la forme. Durant les cinq années à venir, cette nouvelle génération transforme la poésie flamande, l'oriente vers la modernité.’ Ce livre plein de dessins, poèmes et manuscrits autographes se savoure comme un festin, un hommage à la vivacité artistique en marge de l'art officialisé des critiques d'art toujours en retard. Il s'y trouve (à la page 213) même une invitation au vernissage de la ‘première exposition de psychogéographie présentée par le Mouvement International pour un Bauhaus Imaginiste, l'Internationale Lettriste et le Comité Psychogéographique de Londres’... Ouf, excusez du peu. Sans oublier le remarquable Éloge de Pinot-Gallizio écrit à Turin en 1958 par Michèle Bernstein, qui plonge sa plume dans l'encre noire de l'acrimonie de son style fulgurant: ‘La peinture italienne occupe une assez belle place dans l'histoire de la culture occidentale. Les fruits n'en sont pas perdus. Comme toujours, des habitudes sociales survivent aux conditions d'une forme de la création historiquement dépassée, maintiennent des possibilités matérielles - des privilèges économiques’ (pp. 206-207). D'ailleurs l'énumération des noms des artistes qui traversent ce livre - le peintre chinois Walasse Ting et d'autres comme Jean Dubuffet, Max Ernst, Serge Vandercam, Hugo Claus, René Guiette, les frères Roel et Reinhoud D'Haese, Emma Lambotte et Enrico Baj ou comme le légendaire collectionneur et cafetier Geert Van BruaeneGa naar eind1 - ouvre pour le lecteur assidu tout un panorama de cette vie pleine de jaillissements et d'activités artistiques. hendrik carette |
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