Histoire
La Belgique au XVIIe siècle
Longtemps, l'histoire des Pays-Bas méridionaux au XVIIe siècle n'a guère fasciné les historiens En 1904, le professeur liégeois Godefroid Kurth esquissa une image apocalyptique des Pays-Bas méridionaux. Des expéditions militaires y ravageaient les villes comme la campagne, la famine disséminait la population et des mères désespérées mangeaient leurs enfants. La notion de ‘siècle de calamités’ était née, et les historiens ne faisaient aucun cas de ce siècle.
La réalité historique est beaucoup plus nuancée, bien sûr, mais les dégâts que causait ainsi une presse négative s'avéraient irrémédiables. C'est ce qu'éprouva notamment le professeur louvaniste Jan Van Houtte en 1953. Dans son important article De zeventiende eeuw, ongelukseeuw? (Le XVIIe siècle, siècle de calamités?), il soulignait la croissance du commerce et de l'industrie, mais les nuances qu'il apportait ne suffisaient pas pour assurer une réhabilitation. Comme la France avait connu son XIVe siècle fou (tel que l'évoque Barbara Tuchmann dans son livre Un lointain miroir. Un XIVe siècle de calamités), les Plats Pays méridionaux aussi avaient leur siècle de calamités.
Le nouvel ouvrage consacré aux Pays-Bas méridionaux au XVIIe siècle, qui a été réalisé sous la direction de l'historien et professeur bruxellois Paul Janssens, n'élude pas la confrontation avec cette image. Cette confrontation n'est pas explicite mais s'opère par le biais d'une approche très vaste et diversifiée de cette ère. Le lecteur est convié à la concertation au sommet entre les grandes puissances européennes mais partage également un repas avec un petit paysan ruiné dans la campagne flamande. Il s'agit dès lors d'une entreprise particulièrement ambitieuse, qui se concrétise dans un livre composé de deux volumes imposants et comportant trois parties, le tout faisant quelque 750 pages d'images et de texte. La première partie traite de la politique, aussi bien la grande politique proprement dite que la politique locale et les opérations militaires. Le traité de Westphalie (1648) ratifiait la scission entre les Pays-Bas méridionaux et septentrionaux. Entre-temps, Louis XIV jugeait avec une acuité particulière que la prédominance stratégique dans l'Europe se déciderait dans les Pays-Bas méridionaux et adaptait sa machine de guerre en conséquence. L'Espagne dut s'incliner dès 1659, avec la paix des Pyrénées. Des péripéties dynastiques et stratégiques imprévisibles firent en sorte qu'en 1715 les Pays-Bas méridionaux se retrouvèrent finalement dans le camp autrichien. D'importants territoires du côté de la frontière méridionale (notamment l'Artois et une partie de la Flandre) étaient entre-temps définitivement perdus.
La vie artistique et intellectuelle, l'enseignement et l'Église sont étudiés dans la deuxième partie. La perspective de la troisième partie, qui traite de l'environnement, est singulièrement vaste. Y sont abordés les réseaux urbains, les stratifications sociales, l'expérience du temps, la sociabilité, les genres, l'histoire de la mode socio-culturelle ainsi que nombre d'autres thèmes.
La succession des parties n'est pas un effet du hasard. Paul Janssens s'attarde certes sur des paradigmes et des thèmes de recherche nouveaux, mais il estime que ceux-ci sont insuffisamment consistants pour porter cet ouvrage. Il privilégie un traitement traditionnel sans surprises. Les aspects politiques et militaires occupent royalement l'avant-scène, l'histoire économique se trouve confinée dans un petit nombre de pages et les thèmes de recherche les plus récents sont relégués en lieu sûr dans la partie terminale. Il y a dix ans, le médiéviste gantois Walter Prevenier osa, quant à lui, décrire les Pays-Bas bourguignons à partir d'hypothèses audacieuses, ce qui nous a valu un ouvrage magnifique: Prinsen en poorters (Princes et bourgeois).
Le titre de l'ouvrage se révèle quelque peu malencontreux. Pourquoi ‘la Belgique’ au XVIIe siècle? Parce que ‘les racines de la Belgique actuelle’ remontent à ce siècle-là, comme l'indique Stefaan Decraene dans sa préface? Il est par ailleurs frappant que tous les auteurs parlent des Pays-Bas méridionaux, ou tout simplement des Pays-Bas espagnols, même si, strictement parlant, la principauté de Liège n'en fait pas partie. Mais la question, tout à fait intéressante,