Septentrion. Jaargang 36
(2007)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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‘À des années-lumière de son propre passé’: l'institut néerlandais nouveau styleEn 1996 l'Institut Néerlandais entreprit d'offrir un logement à des écrivains néerlandais. Au rez-de-chaussée de l'Institut se trouvait depuis toujours un petit studio avec un accès indépendant sur la cour. ‘Une chambrette défraîchie’ selon le directeur d'alors, Lionel Veer, ‘mais nous avons réussi à obtenir du décorateur Yves Taralon qu'il nous conçoive un projet, en échange d'un petit voyage aux Pays-Bas’. ‘On ressent bien le paradoxe, mais on le ressent, complaisant qu'on est, pile trop tard. Paris, travailler. Mettez un renard dans un poulailler parce qu'il veut jeûner, un corbeau dans un entrepôt de fromages parce qu'il veut maigrir, un joueur dans un tripot, un ivrogne dans une cave à vins - ou un écrivain à Paris’, écrivait l'homme de lettres Michaël Zeeman au sujet de son séjour dans la chambre. ‘Paris, travailler. Non, ce n'est pas une faveur, c'est une épreuve. On vous laisse voir jusqu'à quel point vous êtes sérieux’. Zeeman n'était pas sérieux, selon ses propres critères. Il s'enivra de culture française, et n'écrivit pas un mot. La chambre qui, au nom d'une logique aujourd'hui perdue, porte le numéro 42, est devenue un concept dans le monde littéraire néerlandais. Les uns après les autres, écrivains et traducteurs découvrirent les légères vibrations de son lit à chaque fois que le métro fonce dans les profondeurs. Tandis que Zeeman passait à Paris la semaine entre Noël et la Saint-Sylvestre 1997, sautant d'un livre à l'autre dans le lit de la chambre 42, ou écumant les rues en quête d'autres livres encore, aux Pays-Bas les esprits étaient mûrs pour le plus grand changement jamais traversé par l'Institut au cours de son histoire. | |
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Autour d'une maquette du Groninger Museum en 1991. De gauche à droite:
Jack Lang, ministre de la Culture, Ed Craanen, directeur de l'Institut Néerlandais, le président Mitterrand et la reine Beatrix. | |
Tendre vers les limites, mais ne pas les dépasserLorsque ce fut au tour du diplomate Lionel Veer d'être muté, les cartes se présentaient autrement que lors des changements de directeur précédents. Aux Pays-Bas, une nouvelle politique culturelle avait été énoncée; des mots comme ‘rencontre’ et ‘échanger’ en constituaient le refrain. L'Institut avait été radiographié. Veer était un peu brouillé avec Custodia. Son adjoint Henk Pröpper était, pour Custodia, le nouveau venu comme il faut. L'engagement fut pris par le ministère des Affaires étrangères de ne plus automatiquement jumeler la fonction d'attaché culturel avec celle de directeur de l'Institut. Enfin, ça y était: dans une salie de réunion à La Haye, tomba dans un soupir ‘Eh bien, soit!’. Le ministère des Affaires étrangères était disposé à accepter qu'on aille rechercher un candidat-directeur hors de ses murs. Custodia aspirait à cela depuis bien longtemps déjà mais maintenant, l'autre partie de ce mariage de raison dont l'Institut était issu, l'État néerlandais, était également prête à dire: allez-y, on verra bien avec qui vous revenez. Le nouveau directeur serait bien intégré dans le service diplomatique, mais il ne devrait consacrer que dix pour cent de son temps à l'ambassade. En dessous du directeur se situait un adjoint pour lequel les proportions étaient exactement inverses. L'Institut pouvait donc partir à la recherche du directeur qui serait non seulement le meilleur, mais ensuite (presque) complètement disponible. Naturellement, il était précisé dans la description de fonction que le directeur, pour sa politique, composerait toujours avec l'ambassade. Mais c'est cependant quelque peu différent d'un directeur directement issu du sérail. Composer, c'est simplement pratiquer le modèle des polders. Henk Pröpper devint le nouveau directeur. Il voulait faire de l'Institut une sorte de Balie, en référence au centre culturel et de débats De Balie, à Amsterdam. ‘Je veux essayer de tempérer les orientations actuelles de l'Institut. Il faut avoir l'audace de présenter des choses nouvelles. Il doit aussi y avoir de la place pour des affaires étranges, inconnues, pour des sujets brûlants’, déclara-t-il lors d'une interview au moment de son entrée en fonction. | |
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L'actuel directeur de l'Institut Néerlandais Rudi Wester (à gauche) et la romancière Hella S. Haasse, photo I Leenders
L'Institut possédait maintenant un directeur pour qui, à proprement parier, ce qui existait était déjà périmé par définition. Le vent peut tourner. L'ambassade aura dû frémir quand le service chargé d'analyser la presse a déposé cet article sur le tapis. Juste un peu, car il était rapidement apparu que Pröpper avait manifestement l'ambition de tendre vers les limites, mais de ne pas les dépasser. Il en fut donc ainsi, et cela a été d'un grand intérêt pour le succès du changement brusque que représenta, pour l'Institut, la nomination d'un directeur venu d'ailleurs. Que serait-il advenu si le premier directeur autonome de l'Institut avait été quelqu'un qui était allé bien au-delà de l'acceptable pour le Conseil de surveillance, l'ambassade, le ministère et l'État? Toute cette hiérarchie se serait alors vraisemblablement mobilisée pour rétablir l'ancien régime, ou même tordre le cou à l'Institut. Choisir d'avoir davantage de rencontres et de débats signifiait une réduction proportionnelle du rôle de Custodia dans l'Institut Néerlandais. Un deuxième effet secondaire de l'organisation de soirées-débats était que la venue d'un public néerlandais me de Lille n'avait plus lieu d'être présentée comme accessoire à la clientèle française. Pour tenir son rôle de lieu de rencontre, la présence des deux nationalités était justement souhaitable pour l'Institut. De même que, dans une table ronde, le rapport est de un pour un, il ne peut en aller autrement dans la salle. | |
Une décharge électrique dans la lèvre supérieureL'engouement pour la fonction de lieu de rencontre était dans l'air du temps non seulement aux Pays-Bas mais aussi en France. ‘La génération de faucons moralisateurs qui régnait sur la formation de l'opinion française découvre la résistance de penseurs formés dans un cadre européen. [...] Ces Pays-Bas dont on se détournait d'instinct sont devenus un pays qui a au moins le mérite d'aborder franchement un débat’, constatait Pröpper dans un écrit politique. La présidence néerlandaise de l'Union européenne durant le premier semestre de 1997 et | |
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la signature du traité d'Amsterdam, plus tard dans l'année, avaient provoqué un regain d'attention pour les Pays-Bas, même si cette attention n'était pas toujours positive. L'ouverture nouvelle du côté français fit que l'Institut put obtenir le soutien de la France pour l'organisation des débats. L'Espace éthique des hôpitaux de Paris par exemple est, depuis 2000, un partenaire régulier pour l'organisation de soirées sur l'euthanasie et le vieillissement. Le débat du 18 juin 2001 sur l'euthanasie fut l'un de ces moments où des termes comme ‘contacts bilatéraux’, ‘compréhension mutuelle’ et ‘franc dialogue’ perdaient leur caractère abscons et le rapprochement entre deux pays se voyait à l'oeil nu. Les ressemblances entre Henk Pröpper et son lointain prédécesseur Sadi de GorterGa naar eind1 - une prédilection pour la poésie, un passé de journaliste - s'arrêtaient au seuil de l'appartement directorial. Même à l'issue d'un débat entre journalistes français et néerlandais, d'anciens collègues de Pröpper, on ne fut plus invité à s'attarder au quatrième étage. Encore que cela ait pu être dû, ce soir-là, à une certaine animosité qui s'était manifestée entre, d'une part, quelques rédacteurs du Canard enchaîné et, d'autre part, l'auteur Remco Campert, le chroniqueur Henk Hofland et Hugo Brandt Corstius, auteur, chroniqueur et professeur à la Sorbonne. Ce dernier se souvient en tout cas que l'opposition entre ‘les Français qui estiment qu'il faut révéler les scandales, et les Néerlandais, surtout désireux d'écrire de belles choses sur le monde’, faillit tourner au vinaigre. Selon Brandt Corstius, cela revenait à dire que le phénomène du chroniqueur, tel que les Néerlandais le connaissent, n'existe pas en France, à proprement parler. On organisait aussi maintenant, régulièrement, des soirées poétiques. ‘Les réunions s'étalèrent sur cinq ans, et elles étaient fréquentées en moyenne par une centaine de participants’, écrit le poète Erik Lindner, qui en était l'organisateur. ‘Les contrastes franco-néerlandais y étaient très manifestes. Tandis que Tonnus Oosterhoff donnait lecture de ses ‘Notes d'un médecin congédié’, tous les Néerlandais furent saisis d'un fou rire collectif, et je pris, en riant également, une décharge électrique sur la lèvre supérieure, provenant de l'appareil de projection sur lequel je passais les transparents avec les traductions. Une décharge électrique pour celui qui essaie de rapprocher les deux cultures, c'est, en vérité, un peu violent. Mais bel et bien une décharge du fait du fou rire. L'Institut faisait maintenant en riant des choses passionnantes, au lieu de présenter avec componction un programme convenu. Le successeur de Pröpper, l'actuel directeur Rudi Wester, y a apporté une grande énergie et a encore rajeuni non seulement la programmation, mais aussi l'Institut lui-même. Il est devenu, littéralement, plus ouvert et plus léger. L'Institut s'est ‘éloigné à des années-lumière de son propre passé’, constata Fokke Obbema lorsqu'en 2002, il arriva en tant que correspondant du quotidien de Volkskrant. En 1986, étudiant, il avait résidé quelques mois au cinquième étage. ‘Nulle trace de l'activité bouillonnante que j'y ai trouvée plus tard’, raconte-t-il. Peu de temps après son arrivée à Paris, il faisait savoir à ses lecteurs du Volkskrant que: ‘Le phénomène “Institut” est sur la voie d'une renaissance’. Pieter van den Blink |