Septentrion. Jaargang 35
(2006)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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ActualitésArts plastiquesEntre La Panne et Knokke: ‘2006 Beaufort’La côte belge s'étend de La Panne à Knokke, sur une distance de soixante-cinq kilomètres. Presque de bout en bout, le bord de mer est séparé de l'arrière-pays par un ruban de béton composé d'immeubles, d'hôtels, de restaurants et de cafés. Vanté au début du siècle précédent pour sa beauté, le littoral belge passe aujourd'hui pour une aberration urbanistique. Du 1er avril au 1er octobre 2006, cette côte a, pour la deuxième fois, servi d'espace d'exposition accueillant Beaufort, triennale d'art contemporain à la mer. Dans dix localités balnéaires, trente artistes ont exposé leurs oeuvres. Celles-ci devaient éveiller l'intérêt pour la région côtière. La première édition de Beaufort y avait réussi à merveilleGa naar eind(1). On estime à plus de cinq cent mille le nombre de personnes venues spécialement à la côte en 2003 pour visiter Beaufort. Le coût de la manifestation s'était élevé à 5 millions d'euros mais avait rapporté entre 11 et 25 millions d'euros. Un bon résultat, selon les promoteurs, mais accueilli avec réserve par les critiques, convaincus que la culture avait été utilisée comme ‘produit d'appel’ au profit du tourisme et de l'activité économique. Autrement dit, l'art avait eu mission d'appâter le touriste. Les défenseurs de l'initiative avaient argué que des dizaines de milliers de touristes qui normalement ne seraient jamais entrés en contact avec l'art contemporain, allaient ainsi se trouver confrontés à l'oeuvre d'artistes de renommée internationale. Personne n'aurait peur de sauter le pas puisqu'il était possible d'admirer en slip de bain la tortue géante de Jan Fabre sur la plage de Nieuwpoort ou les hommes en fonte d'Antony Gormley s'élançant dans la mer à La Panne. Les nombreuses dégradations qu'avaient subies les pièces exposées avaient montré à l'évidence que l'art contemporain est loin d'être apprécié de tous. A Ostende, la série de photos de Dirk Braeckman, lacérée à deux reprises à coups de couteau, avait finalement dû être retirée de l'exposition. Victime de la curiosité envahissante du public, la tortue de Fabre avait dû être, elle aussi, protégée. Dès les débuts de 2003 Beaufort, l'idée était née de donner une suite à la manifestation. On visait haut: il s'agirait ni plus ni moins de créer une triennale susceptible, au terme de quelques éditions, de rivaliser avec les Documenta de Cassel ou la biennale de Venise. Cependant, il a fallu beaucoup de temps et bien des efforts pour dégager les six millions d'euros nécessaires à la réalisation de 2006 Beaufort. L'objectif poursuivi était identique à celui de la première édition: par le biais de l'art, susciter l'intérêt pour le littoral.
Josep Riera I Aragó, ‘Arals’, entre Ostende et Bredene (Photo D. van Assche).
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Tout comme en 2003, 2006 Beaufort, comprenait deux volets. D'une part, Beaufort Outside, transformant la totalité du littoral en espace d'exposition, et d'autre part Beaufort Inside, une exposition organisée au Musée provincial d'art moderne d'Ostende, où l'oeuvre des trente artistes participants était confrontée à celle de René Magritte. Je doute fort si cette confrontation a conféré une force d'appui et une attractivité particulières à 2006 Beaufort, comme le prétend Willy van den Bussche, commissaire général de l'exposition. Il faut concéder toutefois que Beaufort Inside, par endroits passablement chaotique, présentait quelques oeuvres passionnantes de même qu'un certain nombre de maquettes d'installations exposées à l'extérieur. Au faîte du casino d'Ostende trônait une statue de Jan Fabre, le seul artiste déjà présent à 2003 Beaufort. De astronaut die de zee dirigeert (L'Astronaute qui dirige la mer) est un bronze coloré représentant le premier astronaute belge, Dirk Frimaut. L'idée n'était sans doute pas très originale puisque, à plusieurs reprises, Fabre avait déjà réalisé cette oeuvre sous d'autres formes. Citons, entre autres, De man die de wolken meet (L'Homme qui mesure les nuages) pièce installée au sommet du Stedelijk Museum voor Actuele Kunst à Gand. Si l'astronaute n'avait pas été habillé d'une combinaison jaune, peu de personnes l'auraient remarqué. Heureusement qu'on pouvait apprécier le vrai génie de Jan Fabre dans De Schelde. Hé, wat een plezierige zottigheid (L'Escaut. Hé! quelle aimable plaisanterie) que donnait à voir Beaufort Inside. Une certaine propension au spectaculaire demeure une constante tant dans la première que dans la seconde édition de Beaufort. L'art conçu comme pôle d'attraction: l'araignée géante Maman de Louise Bourgeois, la doyenne de l'art contemporain, en était une parfaite illustration. La qualité de la sculpture tout comme l'endroit de son installation s'y prêtaient. Une araignée haute de neuf mètres veillait sur la tombe de James EnsorGa naar eind(2). Tout semblait suggérer que l'oeuvre avait été faite à dessein pour ce lieu, attirant l'attention sur la sépulture manifestement trop modeste d'un des peintres les plus importants qu'ait connus la Belgique. Les oeuvres des deux artistes néerlandais sélectionnés, Tom Claassen et Joep van Lieshout, étaient elles aussi assez monumentales. Les neuf éléphants s'élançant sur la plage de La Panne, formaient un autre pôle d'attractionGa naar eind(3). Il s'agissait de statues en bois grandeur nature réalisées par l'artiste sud-africain Andries Botha avec le concours de neuf tailleurs de bois. Cette présence africaine sur la plage de La Panne renvoyait à l'histoire de certains paysans natifs du lieu, immigrés en Afrique du Sud au xviie siècle. Les éléphants ont été incontestablement les figures emblématiques de 2006 Beaufort. Afrikaander, autre sculpture d'Andries Botha, moins monumentale mais tout aussi impressionnante, était visible à Beaufort Inside. A une demi-heure de marche plus loin, une péniche semblait s'être échouée sur la plage d'Oostduinkerke. Le site accueillait les êtres étranges créés par Jane Alexandre, également originaire d'Afrique du Sud. Son oeuvre contenait certaines allusions à l'apartheid. Dans le port de plaisance de Nieuwpoort, l'artiste chinois Ai Wei Wei avait érigé une construction évoquant les contours d'un temple chinois. L'oeuvre combinait des formes traditionnelles avec des éléments prêts-à-monter genre Ikea. L'endroit où elle était implantée lui conférait une dimension supplémentaire. Cette constatation vaut d'ailleurs pour bon nombre d'oeuvres accueillies par 2006 Beaufort. Les sites étaient judicieusement choisis mettant en valeur de jolis endroits du littoral. Autre exemple: le secteur de la plage situé sur la frontière entre Ostende et Bredene où l'artiste espagnol Josep Riera I Aragó avait installé deux statues filiformes, dénommées Arals. C'étaient des sculptures très poétiques, installées sur l'une des plages les plus attrayantes de la côte belge, celle qui à l'époque a visiblement inspiré Spilliaert. La plage de Zeebrugge a elle aussi gardé son charme, en dépit de la proximité des grues | |
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portuaires. On pouvait y admirer l'une des oeuvres les plus puissantes de 2006 Beaufort: la grande sculpture intitulée De man die de boot zag, in de lucht (L'Homme qui voyait le bateau, dans l'air) du Gantois Jean Bilquin. Sur des tréteaux hauts de dix mètres se trouve une embarcation en béton rudimentaire avec à son bord un certain nombre de figures fantomatiques, observées, à une petite distance de là, par une femme de grande taille, cheveux au vent. Arrivé à Knokke, point final de ce périple artistique, on était confronté à une oeuvre annoncée à grand renfort médiatique: la monumentale sculpture d'acier réalisée par le Chinois Zhan Wang et désignant un rocher éblouissant, flottant au gré des marées. Il faut avouer toutefois que, sans une bonne paire de jumelles, on ne l'aurait certainement pas aperçue. L'oeuvre mêlait éléments empruntés à la tradition chinoise et ingrédients contemporains à l'instar du petit temple d'Ai Wei Wei (édifié à Nieuwpoort), produit d'une combinaison mieux réussie me semblait-il. Nouveauté de l'édition 2006: le parcours de peinture. Dans les dix communes balnéaires qui avaient accueilli sur leurs plages des sculptures ou des installations, des peintures étaient exposées dans des églises ou des chapelles. On pouvait y admirer des oeuvres intéressantes
Jean Bilquin, ‘De man die de boot zag, in de lucht’ (L'Homme qui voyait le bateau, dans l'air), Zeebrugge (Photo D. van Assche) © SABAM Belgique 2006.
comme, par exemple, celles du jeune Flamand, Koen van den Broek, visibles à De Haan-Wenduine. D'autres, par contre, telle la grande toile de Luc Zeebroek (alias Kamagurka), exposée à Middelkerke, étaient franchement décevantes. Autre motif de désillusion: Certaines oeuvres n'étaient pas de vrais tableaux mais de simples photographies. A tout prendre, l'objectif que s'était fixé 2006 Beaufort, à savoir attirer un plus grand nombre de touristes à la côte belge et faire bénéficier celle-ci | |
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d'un intérêt accru, aura probablement été atteint. A celles et ceux (sans doute peu nombreux) qui auront visité l'exposition dans son intégralité, la manifestation aura permis de (re)découvrir quelques endroits superbes. Encore faut-il qu'ils aient réussi à les dénicher, étant donné le balisage catastrophique du parcours. De toute façon, on aura pu constater que la côte belge échappe encore ça et là au bétonnage intégral. Le Guide du promeneur accompagnant la manifestation propose également un certain nombre de promenades intéressantes. Beaufort enrichit la côte de quelques oeuvres qui resteront visibles à titre permanent. Exemples: la tortue de Jan Fabre et la cathédrale édifiée à Koksijde en 2003 par le couple d'artistes français Anne et Patrick Poirier. Willy van den Bussche, organisateur de la manifestation, ne cache pas son désir d'acheter quelques sculptures de l'édition 2006. Il se pourrait donc bien qu'à la faveur des prochaines éditions, la côte belge se voie progressivement transformée en un vaste musée de plein air voué à l'art contemporain. Signalons enfin que Beaufort a généré quelques manifestations en marge. Exemple: Freestate, une exposition d'art contemporain, visible durant tout l'été 2006 dans l'ancien hôpital militaire d'Ostende, consacrée à l'oeuvre de vingt jeunes artistes belges, tous nés après 1970. Parmi eux, un seul (Koen van den Broek) était également présent à 2006 Beaufort. Dirk van Assche (Tr. U. Dewaele) Le catalogue et le guide accompagnant 2006 Beaufort ont paru chez Borgerhoff & Lamberigts nv à Gand. Les deux publications sont ègalement disponibles en français. |