Le ‘Retour au pays’ de Bruno Dumont
Un dimanche après-midi, un homme se rend à la mer en compagnie de quelques amis. Ils sont originaires d'une petite ville provinciale plutôt endormie de la Flandre française. A un moment, l'homme constate: ‘Tiens, on peut voir l'Angleterre!’ Tous les regards plongent longuement et instamment dans le vide. Un peu de temps s'écoule et tout à coup quelque chose semble avoir changé: ‘Tiens, on ne peut plus voir l'Angleterre’. Et tout le monde scrute à nouveau intensément l'horizon.
Cette scène est caractéristique de L'Humanité, deuxième long métrage du cinéaste français opiniâtre Bruno Dumont. Caractéristique en raison des personnages souvent taciturnes, presque rentrés en eux-mêmes qui, parfois, ne font guère autre chose que de regarder au loin pendant tout un temps. Caractéristique également en raison de l'ambiguïté: de telles scènes sont-elles comiques d'une manière impassible? Ou sont-elles tout simplement ridicules? Le philosophe Bruno Dumont parle, en ses propres termes, ‘d'un domaine où l'absurde, le burlesque et le tragique se mélangent’.
Le paysage joue toujours un rôle important dans l'oeuvre de Bruno Dumont. Dans son premier film, La Vie de Jésus, de 1996, et dans son deuxième, L'Humanité, de 1999, il s'agissait de paysages de la Flandre française, sa région natale. Dumont est né à Bailleul en 1958. Pour son troisième film, Twentynine Palms, de 2003, présenté comme un ‘film d'horreur expérimental’, Bruno Dumont a cherché, et trouvé, son inspiration dans le décor éblouissant et terrifiant du désert californien. Pour son quatrième long métrage - qui n'est attendu dans les cinémas français qu'au cours de l'été 2006, mais qui a déjà gagné le Grand prix du Jury au festival de Cannes -, le réalisateur a effectué un retour au pays. Rien d'étonnant donc qu'il ait pris pour titre tout simplement Flandres et que l'histoire se déroule à Bailleul.
En Flandre française, le souvenir de la première guerre mondiale reste toujours très vivace, aussi bien dans la conscience collective que dans le paysage. Des films récents tels qu'Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet et Joyeux Noël (sur la ‘paix de Noël interdite’ de 1914) de Christian Carion en témoignent excellemment. Flandres aussi traite de la guerre. Toutefois, en l'occurrence il ne s'agit pas de cette guerre d'un passé lointain, de cette guerre qui pendant des années a imprégné de sang l'argile flamande. L'histoire se déroule à notre époque et le sang est versé ailleurs. De jeunes soldats originaires de la Flandre française partent pour le front dans un pays exotique (non précisé), loin de chez eux. Flandres traite de ce départ, des gens qui restent sur place, de la camaraderie des jeunes soldats, de l'attente de l'horreur de la guerre, de cette horreur même. Et puis aussi du retour au pays. La confrontation avec la fiancée d'autrefois. Le pénible processus à parcourir pour redevenir un être humain ordinaire.
Le scénariste-réalisateur Bruno Dumont résume l'histoire de Flandres comme ‘l'histoire d'un mec ordinaire qui revient du front en étant devenu un salaud’. Pour son scénario, il s'est notamment inspiré d'un livre sur la destruction de Bailleul au cours de la première guerre mondiale, de toutes sortes de récits sur la guerre d'Algérie et de la chronique contemporaine du conflit en Afghanistan. Comme ce fut le cas précédemment pour La Vie de Jésus et L'Humanité, Dumont a de nouveau fait appel à des acteurs non professionnels originaires de la région du nord de la France. A l'époque de La Vie de Jésus, ayant comme protagonistes un groupe de chômeurs de vingt-trente ans peu scolarisés qui, en raison d'un mélange d'ennui désespéré et d'agression stupide, violent une majorette rondelette puis commettent un assassinat raciste, Bruno Dumont a eu recours, pour son casting, notamment au fichier des chômeurs de l'hôtel de ville de Bailleul.
Dans un entretien avec Le Monde (29 juillet 2005), à l'occasion du tournage de Flandres, le