Le visage et la voix de la Flandre:
six romans familiaux d'Erik Vlaminck
Il y eut Maurice (de) Vlaminck, peintre fauve qui fit fureur à Paris avant la première guerre mondiale. Il y eut August Vlaminck, un des premiers photographes belges, qui avait fait ses débuts, au xixe siècle, comme peintre officiel à la cour de Léopold II. Voici aujourd'hui l'écrivain Erik Vlaminck (o 1954), qui prend des photos verbales pour nous brosser le tableau d'un siècle d'histoire de Flandre, vue du côté maternel et du côté paternel, en un cycle de six romans. La voix du peuple y jaillit dans toute sa truculence et sa sagesse proverbiale. Mais après chaque prise, l'ingénieur du son Erik Vlaminck fait un pas de côté pour laisser au réalisateur le temps de cadrer une image lucide qui donnera une vision claire des tableaux qu'il a choisis comme sujets. C'est ce mélange d'empathie populaire et de distanciation photographique qui fait tout l'intérêt narratif de ce cycle. Erik Vlaminck se hisse à la hauteur des plus grands conteurs épiques de Flandre, aux côtés de Hugo Claus (Le Chagrin des Belges)Ga naar eind(1) et, plus récemment, d'Erwin Mortier (Marcel, Ma deuxième peau, Lumière oubliée)Ga naar eind(2). Au moyen de procédés stylistiques très étudiés, tous trois montrent en effet la vie comme elle va, à travers un siècle d'histoire familiale en Flandre. Et tous trois gardent constamment à l'esprit cet adage: qui aime bien châtie bien.
Le premier des six volets du cycle d'Erik Vlaminck s'intitule Quatertemperdagen (Les Quatretemps, 1992), allusion aux jours de jeûne qui, chez les catholiques, rythmaient autrefois les saisons. Le côté hilarant des dialogues, qui fait toute la saveur et toute la truculence de l'ensemble du cycle, est déjà présent à foison. Son côté tragique aussi. L'histoire familiale débute en effet par le suicide de Jaak van Riel. Quelle que soit son exubérance, Erik Vlaminck finit presque toujours en sourdine, prenant pieusement congé d'un tableau avant de découper une nouvelle tranche de vie. Dans Wolven huilen (Les Loups hurlent, 1993), le conteur part au Canada pour fouiller le passé guerrier d'un demi-frère de sa grand-mère. Dans Stanny, een stil leven (Stanny, une vie sans histoires, 1996), la troisième partie du cycle, Erik Vlaminck zoome sur le triste destin d'un voisin qui a vécu dans un village des polders évacué en vue de l'extension du port d'Anvers. Vlaminck possède un tel art du montage que la tragédie personnelle de ce Stanny est étendue à celle qui frappe tout entier ce village appelé à disparaître des cartes de géographie. Subtilement, l'écrivain montre à quel point la misère personnelle de l'homme à l'échelle de l'infiniment petit est liée à la souffrance du corps social à l'échelle de l'infiniment grand.