Et au boulot
J'étais un peu nerveux lorsque je montais l'escalier qui menait à la maison de M. Monette. Quelle sorte de personne serait-il et à quelles conditions me proposerait-il un emploi? Je me sentais aussi un rien coupable. Le directeur du bureau de placement m'avait demandé: ‘Parlezvous le français?’ Et je lui avais assuré avec une forte dose de braggadocio, de culot, que je parlais le français. En effet, j'avais appris assez bien le français à l'école, mais les dix années qui s'étaient écoulées depuis lors avaient suffi pour réduire à un minimum ma connaissance de cette langue magnifique. A ce moment-là, ‘bonjour’ et ‘bonsoir’ et une dizaine d'autres mots constituaient tout le stock de mots français dont je disposais (...)
(...) Je pris mon courage à deux mains et tirai avec conviction la chaîne de la sonnette. Après quelques instants, un visage apparut derrière la vitre de la porte: une très grosse tête, avec une masse de cheveux broussailleux au-dessus et un double menton en dessous. Les grands yeux dans cette tête me fixèrent d'abord, moi, puis se tournèrent vers mes bagages. Je sortis de ma poche ma lettre de recommandation et l'agitai devant la vitre. Les yeux exprimaient un certain contentement.
Puis se fit entendre derrière la vitre une tempête de sons étranges: du français, évidemment. L'homme aurait tout aussi bien pu parler le grec ou le russe: je n'en comprenais pas le moindre mot. Je restai là bouche bée et l'air manifestement idiot. Albert Monette changea de tactique et essaya l'anglais. ‘Venez à l'arrière de la maison’, cria-t-il. En même temps, il me fit des signes de son bras. Ainsi je le comprenais mieux.
Traduit du néerlandais par Willy Devos.
Extraits d'une lettre publiée dans le ‘Leeuwarder Nieuwsblad’ (Pays-Bas) du 25 mai 1927.