Fernand-Louis Berckelaers (1901-1999) a tourné le dos à la métropole en 1925 - salut et merci! A Paris, il connaît une seconde naissance sous le nom de Michel Seuphor (anagramme d'Orphée). Désormais, il est francophone, mais continuera à aimer le poète west-flamand Guido Gezelle (xixe siècle) et ne reniera jamais sa langue maternelle. Il est généralement connu comme artiste graphique, critique et défenseur international de l'art abstrait. Rares sont ceux qui savent qu'à Paris, en 1939, il a écrit un roman d'initiation, Les Évasions d'Olivier Trickmansholm, où il retrace son évolution, d'Anvers à Paris, l'attribuant à un alter ego qui fait un pied de nez au collège des jésuites parce qu'il ne veut pas laisser aux pères le plaisir de le mettre à la porte pour ‘flamingantisme’. A Seuphor lui-même, ce flamingantisme avait d'ailleurs fourni une ‘splendide occasion’ d'échapper à ‘la difficulté d'être’. A une époque où une grande partie de la bourgeoisie anversoise méprisait le néerlandais et l'émancipation flamande, les manifestations flamingantes étaient de ‘véritables fêtes’ pour le jeune Seuphor: ‘A l'âge de vingt ans, elles me donnèrent matière à extase.’
Entre-temps, la francophonie à Anvers - abandonnée à son sort par les Flamands comme par les francophones parce que ni chair ni poisson, littéralement tombée entre deux chaises - s'est presque entièrement évaporée. Cela paraît inévitable dans une certaine Belgique qui a rejeté un bilinguisme étendu à la totalité du territoire. On peut regretter cette situation et y voir une perte de diversité culturelle. Mais d'autres formes de diversité viennent la remplacer.
Anvers
Vous êtes généreuse et seigneuriale; fanfaronne, au dire de tous les Flamands qui habitent ailleurs; sensible à la mode et assujettie aux chimères du jour; mondaine et caustique, à la fois moqueuse avec grandezza et aigrie. Je laisse à Werner Lambersy le soin de conclure cette approche d'Anvers: ‘La médiocrité rassure, c'est sa fonction, sa raison d'être. Anvers inquiétera toujours, vivra de ses questions, pour le plus grand plaisir de ceux qui questionnent, sans illusions, les pythies moqueuses et les devins pertinents et impertinents de l'Art’ (Anvers ou les anges pervers).
Pour accompagner le poème à son père, poème que ce dossier anversois vous permet de lire pour la première fois dans son intégralité, Werner Lambersy nous a également envoyé depuis Paris quelques lignes personnelles: ‘Né à Anvers, un soir pluvieux de novembre 41, il ne me reste de ce premier contact que le sentiment que la nuit, l'ombre, la brume et l'eau sont mes amies les plus fidèles et les plus douces. La “saudade” flamande est une sorte d'après-boire sans avoir lieu. Je ne suis pas un marin, mais un homme de fleuve, de rives, de bords et de bordures, de mélanges et de brassages cosmopolites. J'aurai donc pour Anvers cette complicité d'y avoir fait ce que je n'osais faire ailleurs: que cela soit du sexe, de l'amour ou du texte... “Anvers ou les anges pervers” mon (plus ou moins) roman, c'est “Je perds Anvers”, “Je perds mes frères” et sans doute “Je m'y perds”.’
Veuillez accepter, chers lecteurs, ce fleuve de mots qu'Anvers vous offre.
Luc Devoldere
Rédacteur en chef.
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