Septentrion. Jaargang 32
(2003)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdPolitiqueLa route vers le sommet: Guy VerhofstadtUn soir de printemps 1994. Assailli par une meute de journalistes et de photographes, Guy Verhofstadt (o1953), complètement sonné, se précipite vers sa voiture. Au siège du parti libéral flamand à Bruxelles, il vient de faire une brève déclaration à la presse. Ce jour-là, les élections européennes auraient dû marquer un tournant majeur dans l'histoire politique belge. Tous les sondages d'opinion avaient prédit que les libéraux flamands briseraient l'hégémonie du parti social-chrétien, depuis toujours la principale formation politique en Flandre. Le verdict des urnes venait d'en décider autrement. En dépit des progrès enregistrés par les libéraux flamands, les sociaux-chrétiens restaient nettement majoritaires. Guy Verhofstadt ne laissait personne indifférent. Porté au pinacle par les uns, il était voué aux gémonies par les autres. On peut lire l'histoire de sa carrière politique dans Numero uno. Guy Verhofstadt, itinéraire d'un Premier. Les auteurs de cette biographie sont deux journalistes belges: le francophone Olivier Mouton, et le Flamand Boudewijn Vanpeteghem. Ils ont interviewé des journalistes de renom, des amis et adversaires politiques de Verhofstadt, sa femme et ses parents. Verhofstadt n'avait guère eu de peine à découvrir ses idées libérales. Son père dirigeait les services juridiques du syndicat libéral, sa mère jouait un rôle de premier plan dans la vie associative ‘bleue’. Après ses études de droit à l'université de Gand, il devint l'un des ‘poulains’ de Willy de Clercq, à l'époque le numéro un des libéraux flamands. Il ne tarda pas à se profiler comme la figure de proue des jeunes libéraux au terme d'une âpre lutte, il est vrai, avec un autre ‘coming man’, Karel de Gucht (actuellement président du parti libéral flamand). En 1982, le tout jeune Verhofstadt est élu président du parti libéral flamand PVV (Partij voor Vrijheid en Vooruitgang - Parti pour la liberté et le progrès). Il adhère au néolibéralisme que lui a révélé entre autres l'essai d'Henri Lepage, Demain le capitalisme. Verhofstadt va considérer l'économiste français un peu comme un gourou dont il fait sienne la devise ‘il n'y a pas assez de libéralisme’. Mais le plaidoyer du jeune politicien en faveur d'une économie de marché libérée de toute contrainte fait de plus en plus froncer les sourcils. Il n'empêche qu'en 1985, il devient ministre du budget dans un gouvernement de centre droit dirigé par le social-chrétien flamand, Wilfried Martens. Ce gouvernement se voit | |
[pagina 81]
| |
contraint de mener une politique d'austérité budgétaire animée pour l'essentiel par Guy Verhofstadt. Quelques collègues-ministres commencent, paraît-il, à s'irriter de sa pédanterie et de sa conviction inébranlable d'avoir toujours raison. Le gouvernement tombe en 1987. A l'issue d'une longue période de formation, Wilfried Martens devient Premier ministre d'une coalition ‘rouge-romaine’ (centre gauche). Verhofstadt, mis sur la touche, entend prendre la position la plus avantageuse pour combattre la nouvelle majorité gouvernementale. Il revendique la présidence du PVV dirigé à ce moment-là par Annemie Neyts. Épisode peu reluisant: Verhofstadt et ses fidèles n'hésiteront pas à ‘chasser’ presque littéralemen de son fauteuil la présidente en exercice. Fin 1991, la politique belge est en deuil. Lors du fameux ‘dimanche noir’, jour des élections législatives, le Vlaams Blok, parti flamand d'extrême droite, opère une percée spectaculaire en Flandre. Le PVV est le seul parti à engranger quelques (modestes) gains. Verhofstadt se voit confier la mission de mettre sur pied un gouvernement ‘bleu-rouge’ (ou ‘violet’), réunissant les libéraux et les socialistes, une primeur en Belgique. La formation échoue, en partie en raison du rôle assez ambigu joué par le roi Baudouin, mais Verhofstadt a pris goût à l'affaire. Afin d'obtenir une deuxième chance, les libéraux doivent impérativement devenir la première formation politique en Flandre. A cette fin, Verhofstadt s'efforce de mettre en pratique les thèses qu'il avait énoncées dans ses deux Burgermanifesten (Manifestes citoyens), le premier publié en 1990, le second en 1992. Il réorganise le PVV, rebaptisé VLD (Vlaamse Liberalen en
Les jeunes présidents des deux partis libéraux en juin 1982: Guy Verhofstadt (à gauche, o1953) et Louis Michel (o1947).
Democraten - Libéraux démocrates flamands). Le VLD devient ‘le parti du citoyen’, lequel citoyen doit avoir la possibilité d'être directement associé à la conduite de sa formation politique. Aussi tous les membres du parti peuvent-ils dorénavant participer à l'élection du président, événement très médiatisé qui met le VLD sous les feux de l'actualité. Entre-temps, des hommes politiques de premier plan sont invités à quitter leur parti pour se rallier aux libéraux flamands. Ces derniers ont incontestablement ‘le vent en poupe’. Survient, en juin 1994, le désenchantement. Le VLD n'ayant toujours pas réussi à devenir le premier parti de Flandre lors des élections législatives de mai 1995, le sort de Verhofstadt semble scellé. Il entame sa ‘traversée du désert’ et se retire en Toscane, sa seconde patrie. Il envisage même de quitter la politique mais celle-ci ne le lâche pas. Après une longue période de réflexion, il réapparaît sur l'échiquier politique. Il est réélu président du VLD, preuve qu'il peut toujours jouer un rôle important dans la politique belge. Peu à peu, le public découvre un nouveau Verhofstadt: non plus le pseudo-yuppie qui n'en fait qu'à sa tête, l'irritant donneur de leçons, mais un homme politique mûri par la lecture, beaucoup moins mordant que par le passé, préférant le dialogue à la confrontation. En juin | |
[pagina 82]
| |
1999, Verhofstadt se voit offrir un cadeau inespéré: le scandale de la dioxine. La découverte de cette substance toxique dans la chaîne alimentaire met la classe politique belge en ébullition. Le Premier ministre de l'époque, le social-chrétien Jean-Luc Dehaene, ne réussit pas à conjurer la crise juste avant les élections législatives. Résultat: le VLD devient de justesse la première formation politique en Flandre. Transformer la Belgique en un État modèle, voilà le défi que lance Guy Verhofstadt en présentant son premier gouvernement, une coalition teintée de bleu, rouge et vert. A la suite de quelques crises d'une gravité assez exceptionnelle (l'affaire Dutroux, la crise de la dioxine) et d'une série de sévères coupes budgétaires, le pays traverse une zone de turbulences. Jamais la défiance du citoyen vis-à-vis de la politique n'a été aussi grande. A la tête de son gouvernement ‘arc-en-ciel’, Verhofstadt entend combattre le scepticisme ambiant, convaincu que, conformémént aux objectifs formulés dans ses manifestes citoyens, il peut réduire l'écart entre la politique et l'individu. Pour y parvenir, il faut améliorer le fonctionnement des services publics (minés par le clientélisme politique et l'immobilisme), affaiblir le pouvoir des acteurs culturels et socioéconomiques. Ces derniers (groupes de pression de toutes sortes, syndicats, mutuelles, associations culturelles) pèsent d'un poids trop lourd sur la politique belge et compromettent de la sorte une gestion saine et cohérente. Libéral, Verhofstadt plaide pour une politique socioéconomique bénéfique aux entreprises. A l'issue de l'étape, il peut se vanter de quelques réalisations concrètes (par exemple, la loi sur l'euthanasie, sur le mariage des homosexuels, la loi - fortement contestée, il est vrai - sur l'usage de la drogue, la modification du mode de scrutin, l'équilibre budgétaire réalisé quatre années de suite et ce en dépit d'une diminution des charges accordée aux entreprises et d'une baisse progressive de l'impôt sur le revenu). Il n'empêche que l'action du gouvernement a été plus d'une fois gênée, notamment par les querelles divisant les composantes de la coalition. Mettre sur pied un État modèle en l'espace de quatre ans s'est avéré au final une tâche impossible. La réforme en profondeur des services publics a été contrecarrée jusqu'au sein même du gouvernement. La vaste réforme des polices (la fusion de la gendarmerie et de la police), d'un coût exorbitant, s'est révélée, tout au moins à ses débuts, peu efficace. La justice belge n'a cessé de poser problème. Par ailleurs, la Belgique a été, elle aussi, frappée de plein fouet par la crise économique, provoquant une augmentation substantielle du nombre des chômeurs. L'État social actif dont l'objectif consiste à mettre au travail le maximum de gens possible semble toujours n'être qu'une utopie. L'événement le plus traumatisant pour la coalition arc-en-ciel a été sans conteste la faillite de la compagnie aérienne nationale SABENA, mettant sur la paille d'un seul coup plusieurs milliers de salariés. ‘Guy Verhofstadt à l'étranger’ constitue un chapitre à part. On peut dire sans exagérer qu'épaulé par son ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, le Premier ministre a réussi à faire réentendre la voix de la Belgique dans le concert des nations. La politique étrangère menée par le gouvernement arc-en-ciel, aussi admirée que décriée, n'est pas passée inaperçue dans la presse internationale. Le pitoyable petit pays de Marc Dutroux s'est transformé en un empêcheur de danser en rond, sûr de lui et peu impressionné par le rapport des forces sur l'échiquier politique international. ‘Le point de départ de la politique étrangère sera le respect des droits de l'homme’, voilà l'une des phrases clés de la déclaration gouvernementale du cabinet Verhofstadt I. Ce principe, plus d'une fois renié sans vergogne, n'en a pas moins inauguré une nouvelle phase dans la politique belge. Les chefs d'État et de gouvernement européens n'ont guère tardé à découvrir eux aussi de quelle étoffe est fait leur homologue belge. Lors du sommet européen de Nice (décembre 2000), ce dernier entra en conflit avec le président Jacques Chirac. La discussion portait sur le rôle | |
[pagina 83]
| |
spécifique que devaient jouer les grands et les petits États membres au sein de l'Union européenne. L'attitude volontariste de Verhofstadt ne manqua pas d'impressionner. Pas étonnant dès lors qu'on attendît avec intérêt la présidence belge de l'Union prévue pour la seconde moitié de 2001. Elle fut assombrie par les attentats du 11 septembre et par les signes annonciateurs de la mise à l'épreuve par les États-Unis de la solidarité entre les États membres de l'Union. Au cours du sommet de Laken, il fut décidé de créer une Convention européenne. A la veille de l'adhésion de dix nouveaux pays à l'Union, un certain nombre de personnalités appartenant aux mondes politique et socioéconomique furent chargées d'élaborer un projet d'avenir pour l'Union élargie. L'ancien président de la République française, Valéry Giscard d'Estaing fut nommé à la tête de la Convention. Dans la déclaration de Laken, Verhofstadt énonça les recettes qu'il avait déjà eu l'occasion de mettre en pratique auparavant. Les institutions européennes devaient devenir plus efficaces et plus transparentes afin d'accroître la confiance du citoyen dans l'Europe. Entre-temps, contrairement aux autres dirigeants européens, le Premier ministre belge avait entamé le dialogue avec le mouvement antimondialiste. Il reprochait aux antiglobalistes leur manque d'ouverture tout en décelant dans certaines de leurs revendications une base de discussion positive. En invitant au dialogue le mouvement antimondialiste, il réussit à se défaire définitivement de son image de néolibéral pur et dur. Numéro uno a été publié en février 2003. Ce qui explique l'absence de commentaires tant sur la crise irakienne (au cours de laquelle la Belgique s'est alignée sur les positions adoptées conjointement par la France et l'Allemagne) que sur les élections législatives belges du 18 mai 2003. Ces dernières ont permis au VLD de renforcer encore son leadership en Flandre. Le gouvernement Verhofstadt II allait pouvoir se mettre en place. Il s'agirait cette fois-ci d'une coalition ‘violette’ (réunissant les libéraux et les socialistes) sans la participation des VertsGa naar eind(1). On peut se demander pourquoi Mouton et Vanpeteghem n'ont pas sorti leur livre au lendemain des élections du 18 mai. Craignaient-ils que Verhofstadt ne perdît les élections ou leur biographie devait-elle appuyer la campagne électorale du protagoniste? La seconde hypothèse semble la plus proche de la vérité. Il serait néanmoins erroné de considérer Numero uno comme un dithyrambe ininterrompu. Les auteurs ne cachent pas leur sympathie pour le volontarisme, la force de persuasion et l'optimisme affichés par Verhofstadt, mais ils n'occultent pas les défauts de la cuirasse: l'égocentrisme, la certitude d'avoir toujours raison, l'incapacité manifeste à encaisser la critique. Les nombreux passages sur les passions de Verhofstadt (notamment l'archéologie), sur ses passe-temps favoris (le vélo), sur son amour de l'Italie, sur sa famille et ses amis esquissent la figure de l'être humain se profilant derrière celle de l'homme politique. Entre les lignes apparaissent quelques protagonistes inconnus du grand public: entre autres son frère Dirk qui joue un rôle non négligeable dans les coulisses et également sa femme Dominique Verkinderen. Membre du Collegium Vocale (dirigé par Philippe Herreweghe), passionnée de musique, l'épouse du Premier ministre ne s'intéresse que relativement peu à la politique. Il semble néanmoins qu'elle ait plus d'une fois incité son mari à assouplir ses points de vue trop radicaux. Le lecteur de Numero uno oscille constamment entre agacement et admiration. Un Verhofstadt ‘transparent’, facile à comprendre, semble inexistant. Souffre-t-il d'une forme chronique de surestimation ou ce gavroche futé réussira-t-il vraiment à transformer la Belgique en un État modèle? Pour donner une réponse définitive à cette question, le livre d'Olivier Mouton et de Boudewijn Vanpeteghem est sans doute arrivé beaucoup trop tôt. Hans Vanacker (Tr. U. Dewaele) olivier mouton & boudewijn vanpeteghem, Numero uno. Guy Verhofstadt, itinéraire d'un Premier, Éditions Racine, Bruxelles, 2003, 322 p. (ISBN 2 87386 299 8). |
|