Un Néerlandais venu du Maroc sur les traces de Diderot et de Voltaire: Fouad Laroui
Ne cherchons pas midi à quatorze heures: un écrivain néerlandais est l'auteur d'une oeuvre écrite en néerlandais. Résider aux Pays-Bas ou en Flandre n'est un critère ni suffisant, ni indispensable; quant au pays natal ou à la langue maternelle, ils ne comptent pas davantage. Il n'en existe pas moins des cas limites. Ethel Portnoy, par exemple, a aujourd'hui passé plus de la moitié de son existence aux Pays-Bas: il n'empêche qu'elle écrit ses livres (lesquels ne sont pas destinés au marché anglo-saxon) en anglais, avant que son mari ou sa fille ne les traduisent en néerlandais. Son oeuvre est assimilée à la littérature néerlandaise. A juste titre, me semble-t-il.
Jusqu'il y a peu, celle de Fouad Laroui, au contraire, ne l'était pas. A juste titre aussi: Laroui, né à Oujda, au Maroc, en 1958, mais ne résidant aux Pays-Bas que depuis 1990, a en effet écrit ses trois premiers romans en français. On peut se réjouir qu'ils aient fait l'objet d'une traduction en néerlandais mais cela ne change rien au principe qu'ils appartiennent au domaine de la littérature française. Toutefois, l'écrivain, imitant en cela celui qui émigre ou change de nationalité, peut tout bonnement ‘changer de littérature’. C'est ce qui s'est passé pour Laroui. Après avoir étudié à Paris et enseigné quelque temps à l'université de Cambridge et de York, Laroui, qui depuis une dizaine d'années à présent habite et travaille à Amsterdam (où il enseigne l'économie à la Vrije Universiteit), doit s'être senti suffisamment sûr de son néerlandais pour poursuivre la rédaction de son oeuvre littéraire directement dans sa nouvelle langue. En 2001, il a publié Vreemdeling: aangenaam (Étranger: enchanté), un essai d'une ambition limitée, et en 2002, Verbannen woorden (Mots en exil), un ouvrage de poésie. Rétrospectivement, il me semble donc qu'on peut considérer que ses ouvrages antérieurs font également un peu partie de la littérature néerlandaise.
Toute l'oeuvre de Laroui traite des thèmes essentiels de notre époque: le déracinement culturel, le sous-développement, la misère, la bêtise, le dogmatisme religieux et politique ainsi que le fanatisme. Il va sans dire qu'il s'inspire également de sa propre expérience. Dans Vreemdeling: aangenaam, Laroui, usant de formules précises et malicieuses, nullement larmoyantes, se demande ce que signifie le fait d'être un étranger. Et en premier lieu: où il fait bon être un étranger. Pas en France, en tout cas. ‘Plus français que les Français, on n'en demeure pas moins un étranger à leurs yeux’; pas davantage en Angleterre, ‘ce pays du high tea et des gens très polis’. Après d'inévitables pérégrinations, il pense avoir enfin trouvé à Amsterdam un endroit à son goût. ‘Peut-être, dit-il, faut-il venir du dehors pour apprécier à sa juste valeur ce que je veux dire, pour être capable, d'une manière générale, de le voir. (...) Ici, vous n'êtes pas confronté tous les jours à un passé extraordinairement glorieux qui vous exclut sans appel. C'est dans ce pays que quelqu'un a inventé l'imprimerie, mais on ne se formalise pas que les lauriers en reviennent à un certain Gutenberg. Les gens ne veulent imposer leur “culture” à personne, ils s'excusent presque d'en avoir une. Pour celui qui veut faire de l'écriture une arme dans la lutte pour la liberté, les portes ont toujours été ouvertes ici.’ Propos flatteurs s'il en est - par ailleurs nullement inexacts -, mais je suis tout de même curieux de savoir si Laroui les revendiquerait encore un an plus tard après les
déferlements d'hystérie collective et de xénophobie auxquels les Néerlandais ont assisté.
Verbannen woorden est un recueil étrange, pour ne pas dire hautement curieux et ‘suranné’ si on le considère dans le contexte de la poésie néerlandaise. Il y a beau temps en effet qu'une