Georges de Meerschman: raison et mystères
‘L'artiste met plutôt l'accent sur le mouvement, la progression vers une liberté de plus en plus grande. Son art abstrayant vise à l'intériorisation graduelle d'une vision en permanence dynamique (...). L'artiste nous invite discrètement à une contemplation paradoxale, parce que calmement passionnée’. Convenons-en, ce genre de description abstraite n'éveillera pas d'emblée l'intérêt pour l'oeuvre d'un artiste. Le hasard me fit découvrir ces lignes dans le petit catalogue Au carré, édité à l'occasion d'une exposition consacrée par le Musée du Pays et Val de Charmey (Suisse) à l'oeuvre du peintre et sculpteur Georges de Meerschman. Ne connaissant pas cet artiste, je m'accrochai. Au bout de quelque temps, je finis même par me passionner pour lui et, à la faveur de quelques recherches complémentaires, je découvris une oeuvre insolite.
Flamand d'origine, Georges de Meerschman (o1942) est aussi à moitié suisse puisque, depuis 1980, il partage sa vie et son travail entre la Belgique et Crésuz (canton de Fribourg). Son oeuvre évolua assez rapidement du figuratif à l'abstraction mais même au cours de sa longue ‘période abstraite’ se succèdent des phases distinctes. Dans un premier temps, son oeuvre se rattachait à ce qu'on pourrait appeler un ‘constructivisme lyrique’, marqué non par la recherche exclusive de l'essence de la réalité concrète comme s'y emploie le constructivisme tout court, mais par l'expression individuelle d'une expérience personnelle. A ce stade de son parcours artistique, De Meerschman crée toujours des espaces flexibles aux formes courbées qui se chevauchent ou s'enchevêtrent alors que les couleurs passent du clair à l'obscur et vice versa.
Le carré devient une forme essentielle dans l'oeuvre de Georges de Meerschman. Dans ses tableaux carrés, des variations sur le même thème, l'artiste fait appel à la raison et au sens de la mesure. Ces ouvrages renvoient incontestablement à la symbolique de la franc-maçonnerie. Celle-ci s'est développée au
Un des nombreux carrés de Georges de Meerschman. © SABAM Belgique 2003.
cours du
xviiie siècle, l'époque des Lumières où triomphe la raison. Pythagore et Platon considéraient les mathématiques comme la forme la plus aboutie de la rationalité. De plus, toujours selon les deux illustres philosophes grecs, les mathématiques sont le moyen par excellence pour amener l'esprit individuel à se détourner des sens et à s'élever petit à petit au pur spirituel. Dans ce cheminement, le carré joue un rôle capital. Avec ses quatre côtés le carré n'est pas seulement une figure qui renferme la mesure et la finitude. Il constitue aussi une étape sur la voie de la perfection, laquelle est symbolisée entre autres par le cube (composé de six faces carrées). La franc-maçonnerie s'est souvent inspirée de ce mélange de rationalité et de mystique. Outre le carré, la palette de Georges de Meerschman renvoie également aux traditions maçonniques. Le noir, le bleu, le rouge, le vert et le jaune symbolisent, dans le même ordre, un degré de perfectionnement sur le chemin qui mène le frère maçon vers la découverte du ‘secret suprême’. Dans son oeuvre sculpturale, genre que De Meerschman pratique depuis peu, le carré se libère d'une façon étrange de sa forme parfaite et va même jusqu'à se transformer en losange et à se fractionner en triangles.