Septentrion. Jaargang 31
(2002)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdLettres ou ne pas lettres: Roland BeyenRoland Beyen (o1935) est à la fois le meilleur biographe de Michel de Ghelderode, l'éditeur de sa Correspondance et l'auteur de plusieurs ouvrages essentiels sur cette oeuvre exceptionnelle. En un mot, il est son ‘alter ego’Ga naar eind(1). A l'occasion de son admission à l'éméritat, les collègues lui ont offert, comme de juste, des Mélanges. En effet, quel meilleur cadeau pouvait-on faire à celui qui, à travers toute sa carrière, a voué le plus clair de son temps aux livres des autres? Le volume illustre parfaitement l'intérêt majeur que ce professeur de la Katholieke Universiteit Leuven a voué aux lettres françaises de Belgique, de la fin du xixe siècle à nos jours. En outre, la plupart des articles rendent également hommage à l'esprit qui a présidé à ses travaux: Roland Beyen a arpenté, sa vie durant, la zone triplement frontalière où la littérature française de Belgique, depuis des siècles, entre en interaction avec celle de la France et celle du monde néerlandophone. La première section du volume est consacrée au tumultueux passage du xixe au xxe siècle et aux multiples interférences qui ont dynamisé alors le monde culturel belge, passablement léthargique jusque-là. La revue La Jeune Belgique a joué un rôle immense dans ce débat. Depuis sa fondation en 1881 par Max Waller, ce sont surtout de jeunes Flamands francophones qui l'ont animée. Leur devise était ‘Soyons-nous’: c'est-à-dire soyons pleinement des artistes, et haro sur les publications patriotardes et moralisantes des anciens! Cette brusque ouverture des esprits les orienta inévitablement vers Paris: c'était là qu'on avait le plus de chances de trouver un public averti, des éditeurs puissants et des frères d'armes. Ainsi, Émile Verhaeren réussit à y faire publier son recueil des Moines chez Lemerre, grâce à des pressions exercées sur Coppée et Péladan (‘Une correspondance inédite entre Émile Verhaeren et Joséphin Péladan’). De son côté, dix ans plus tard, Georges Rodenbach aura le privilège de voir jouer en 1894, à la Comédie-Française, sa pièce Le Voile. La pièce sera âprement discutée: les artistes parisiens applaudissent le petit Belge, la coterie conservatrice le hue (‘Rideau ouvert sur Le Voile’). En 1892, Octave Mirbeau, à l'occasion de Pelléas et Mélisande, avait déjà comparé Maurice Maeterlinck à Shakespeare! Une chose est sûre: les petits Belges ne laissent pas indifférent, ils sont même au centre des discussions portant sur les mouvements littéraires dominants tels le naturalisme, le symbolisme, le décadentisme, comme sur l'écriture, oscillant alors entre ‘le macaque flamboyant’ reproché à Émile Verhaeren et l'écriture-artiste pratiquée à un moment donné par Albert Giraud (‘Quand Albert Giraud /alias Émile Albert Kayenbergh/ pratiquait l'écriture coruscante...’)... Mais les ‘Jeunes Belgique’, quasi tous des Flamands jusqu'au jour où Maurice des Ombiaux les | |
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Roland Beyen (o1935) © 2002 - N. Hellyn / SOFAM-Belgique.
rejoignit (‘Le terreau flamand dans l'oeuvre de Maurice des Ombiaux’), ont encore le mérite d'avoir placé la Flandre sur la carte littéraire de l'Europe par le choix de leurs thématiques. Outre Verhaeren et Rodenbach, les incontournables, nous citons Max Elskamp, le chantre du port d'Anvers et du Schipperskwartier (Acédie et rédemption à Anvers). Le Journal d'un autre Anversois, Georges Eekhoud, témoigne de son attention aux problèmes communautaires posés par les Activistes dans la Belgique de la première guerre mondiale (‘Le Journal de guerre de G. Eekhoud’). Entre les deux guerres, c'est Michel de Ghelderode qui assurera la continuité de cette veine franco-flamande. Il est normal que, s'agissant de Roland Beyen, cette section soit la plus nourrie. Notre collègue n'a-t-il pas fait pour Ghelderode ce que son ‘maître’, le professeur Joseph Hanse, avait fait pour le seul prédécesseur valable de Ghelderode, à savoir Charles de Coster? Pas moins de seize auteurs ont livré un article sur ce génial homme de théâtre. C'est ainsi qu'ils ont étudié les sources et l'originalité du fantastique dans ses oeuvres (‘M. de Ghelderode et les démons du théâtre’), le rapport entre la fiction théâtrale et la vie (‘La théâtralisation dans l'oeuvre dramatique de M. de Ghelderode’), l'influence de Maeterlinck, etc. Plusieurs articles font allusion au rôle qu'a joué le Vlaamsch Volkstooneel de Johan de Meester. Notre auteur ‘est tôt arrivé - grâce surtout à sa collaboration avec le Théâtre populaire flamand - à écrire un théâtre ‘violentant les conventions’ et ‘organiquement fait pour la scène’ (‘Un manifeste théâtral paradoxal’). La période où il écrivait pour cette troupe flamande (1926-1932) est celle où ‘les idées qu'il avance sur le théâtre sont les plus novatrices’ (ibid.). Ces idées, Ghelderode les a formulées, à la demande de Johan de Meester, dans un article intitulé ‘Écrit à la lueur d'un incendie’ et paru la même année (1927) dans la revue Wendingen (idem). C'est d'ailleurs Roland Beyen qui a redécouvert cet article et l'a publié en annexe à son premier volume de Correspondance de Ghelderode. Cette Correspondance, dont six volumes ont déjà vu le jour, constitue le magnum opus de Beyen: ‘La démarche méthodologique irréprochable souligne insensiblement les contours d'une personnalité prismatique /.../ Le commentaire de Beyen ne manque ni d'objectivité ni de ferveur, pas même de cette passion qui est le fondement de toute sa recherche’ (‘Beyen, le vigile des passions contraires’). Les sections suivantes, consacrées au xxe siècle, contiennent encore quelques articles fort intéressants, comme celui sur ‘Le marollien, langue “belge” de l'entre-deux-guerres’ ou celui sur la revue anversoise marxiste Ça ira (1920). Épinglons cette perle tirée du premier numéro: ‘Ce n'est pas à ses qualités intrinsèques que le français doit ses prérogatives en Flandre. Le | |
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français n'y est autre chose que le trait d'union qui joint les représentants de l'idée bourgeoise, des rastas aux jésuites’ (La revue Ça ira)! Pour boucler la boucle des rapports qu'ont noués la Flandre et Paris depuis des siècles, Jacques de Decker consacre un article instructif au Chagrin des Belges de Hugo Claus (‘Un Flamand à Paris: Hugo Claus et la francophonie’). Le volume se clôt sur un spirituel témoignage de Liliane Wouters. Elle aurait trouvé une lettre inédite de Ghelderode. Il y raconte un rêve: ‘un grand barbu au vaste front, à l'oeil tranquille, au pacifique sourire’ est venu me rendre visite. Une voix me le présenta: ‘Tu peux mourir, Michel, tu as trouvé celui qu'ont annoncé les Kerles. /.../ Il s'appelle Roland /.../ l'oeuvre que cet homme entreprendra est d'une telle importance qu'on doutera qu'elle soit le fait d'une seule et même personne’. (‘Roland et moi, une lettre inédite de M. de Ghelderode’). Sachant que quatre volumes encore de ‘Correspondance’ sont en préparation, nous souhaitons à notre collègue le temps et le courage d'accomplir ce travail de Sisyphe qu'il s'est imposé voici plus de quarante ans. Vic Nachtergaele |
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