Septentrion. Jaargang 30
(2001)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdGerard Reve, lauréat du prix des Lettres néerlandaisesL'annonce de l'attribution à Gerard Reve (o1923) du prix des Lettres néerlandaises, la plus haute distinction littéraire de toute la néerlandophonie, a suscité l'approbation de tous. Ce prix est décerné tous les trois ans, alternativement à un Flamand, qui le reçoit des mains de la reine des Pays-Bas, et à un Néerlandais, à qui c'est le roi des Belges qui le remet. On compte en effet Reve, avec W.F. Hermans (1921-1995), Harry Mulisch (o1927) et Hugo Claus (o1929), parmi les écrivains néerlandais qui ont hissé la littérature néerlandaise d'après-guerre au niveau européen. Reve, comme il s'appelle depuis un quart de siècle, est né à Amsterdam sous le nom de Gerard Kornelis van het Reve. Son père, communiste célèbre, écrivit, sous le pseudonyme de Gerard Vanter une foule d'ouvrages scientifiques populaires; sa mère aussi avait un penchant pour les lettres. Avec son frère Karel, futur professeur de russe et essayisteGa naar eind(1), il fréquenta le très renommé lycée Vossius d'Amsterdam. Karel terminerait le cursus et se lancerait dans des études universitaires, Gerard par contre quitta prématurément le lycée pour entrer à l'école graphique et faire une foule de petits métiers insignifiants jusqu'au moment où, après la guerre, il fut engagé comme apprenti journaliste par le quotidien progressiste Het Parool. C'est également à cette époque qu'il écrivit, dans des journaux et des revues, ses premières courtes nouvelles. En 1947, sous le nom de Simon van het Reve qu'il n'emploierait plus jamais, il publia son premier roman, De avonden (Les soirs), ouvrage qui passe maintenant pour un chef-d'oeuvre mais qui essuya bien des éreintages à l'époque. Frits van Egters, âgé d'une bonne vingtaine d'années (et à plus d'un égard un sosie de l'auteur), le protagoniste de ce roman qui se déroule à Amsterdam en 1946, n'avait rien pour plaire aux critiques d'après-guerre. Peu actif, il est continuellement en proie à l'ennui et traite ses parents, qui l'hébergent, avec indifférence et cynisme. L'atmosphère parfois étouffante est rendue supportable par l'ironie du narrateur et l'humour particulier pratiqué par Frits et ses amis dans leurs conversations. Ce sont précisément ces aspects de De avonden qui ont fait du roman un livre-culte des années 50. L'ouvrage connut encore bien des rééditions par la suite, tant en livre de poche qu'en édition de luxe reliée. Il a eu une grande influence sur de jeunes écrivains mais n'a jamais vraiment été égalé. Les amateurs de Reve, et ils ne sont pas rares, estiment généralement que l'écrivain qu'ils admirent n'a jamais plus atteint le niveau de qualité de De avonden dans son oeuvre ultérieure, et l'a encore moins dépassé, si ce n'est peut-être dans sa petite nouvelle Werther Nieland (1949). Celle-ci s'organise autour de l'amitié de deux potaches, friands de rituels typiques de la jeunesse, comme le sont les sociétés secrètes. Ici aussi on est frappé par la subtilité de la langue, tout à fait exemplaire. Pas plus que De avonden, ce récit ne suscita beaucoup de réactions positives - c'est à peine si on en remarqua la parution -. Reve en conçut une frustration si vive qu'il envisagea de se mettre à publier en anglais, ce qu'il fit effectivement quelques rares fois. Dans ce domaine, son oeuvre la plus intéressante est le recueil de nouvelles intitulé The Acrobat and Other Stories (1956), qui ne serait traduit en néerlandais que dans les | |
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années 60 sous le titre de Vier wintervertellingen (Quatre contes d'hiver, 1963). Reve connut un succès immédiat, renversant même, pas par son oeuvre allophone, mais par un nouveau genre: le roman par lettres. Dans Op weg naar het einde (En route pour la fin, 1963) et Nader tot U (Plus près de vous, 1966), il rassembla des lettres assez longues, pour la plupart parues auparavant dans la revue Tirade, très lue ces annéeslà, où il exposait à coeur ouvert son opinion personnelle sur une série de problèmes de société. Deux sujets se détachent du lot: la prise de conscience de son homosexualité - marié dans les années 40 à la poétesse Hanny Michaelis, il avait découvert dans les années 50 sa préférence pour les jeunes hommes - et son réveil spirituel. Ce réveil n'apparaît pas seulement dans quelques lettres, mais plus encore dans divers poèmes placés à la fin de Nader tot U (le titre, emprunté à l'hymne anglaise Nearer to Thee, est des plus significatifs). Lycéen, Reve avait certes déjà écrit des poèmes de forme traditionnelle, mais ceux de Nader tot U étaient neufs de ton et de contenu. Pour des lecteurs chrétiens conservateurs, la teneur de certains poèmes et de certains passages de lettres était tellement choquante qu'on intenta à Reve un procès pour sacrilège. Reve, qui avait adhéré en 1966 à l'Église catholique, assura avec brio sa propre défense (on considéra ses plaidoyers comme des prouesses littéraires) et obtint l'acquittement. Outre écrivain apprécié - Reve obtint en 1968 le prix P.C. Hooft, prix de littérature décerné par l'État néerlandais - il devint une personnalité publique, maintes fois interviewée à la radio et à la télévision.
Gerard Reve (o1923) (Photo M. Molle).
Même dans les années qui suivirent ces succès retentissants, sa popularité resta grande. Toutefois, son oeuvre littéraire n'atteignait plus à la qualité de naguère. Il continua à publier, surtout beaucoup de collections de lettres, empruntées à une correspondance effective, comprenant certes un matériel intéressant, mais encombrées de redites: Reve n'était plus capable de se renouveler. Peut-être faut-il faire une exception pour ses considérations théoriques sur le roman, rassemblées sous le titre Zelf schrijver worden (Devenir écrivain soi-même, 1985) et issues des cours sur son oeuvre propre donnés à l'université de Leyde en qualité d'écrivain invité: dans ce modeste opuscule (du moins quant au volume) Reve s'avère capable de pratiquer le genre de l'argumentation. Pour être complet il faut mentionner que, dès les années 50, il s'était déjà penché sur les problèmes théoriques de la littérature, mais seulement dans des articles de revues. Depuis quelques années, on s'est lancé dans l'édition des OEuvres complètes de Gerard Reve; vu son état de santé actuel, on peut en effet considérer sa production comme achevée. On n'y | |
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a pas inclus ses collections de lettres, ce qui, à mon sens, constitue une décision judicieuse, point de vue que ne partageront pas les fanatiques de Reve. En tout état de cause, cette édition prouve à l'évidence que les thèmes qui ont valu à Reve sa grande popularité n'ont rien perdu de leur actualité, ce qui, à soi seul, justifie déjà pleinement l'attribution du prix des Lettres néerlandaises.
Rudi van der Paardt (Tr. J. Fermaut) Ouvrages de Gerard Reve, parus en français: Les soirs (titre original De avonden), traduit du néerlandais par Maddy Buysse, Gallimard, Paris, 1970. |
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