Septentrion. Jaargang 30
(2001)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdChris de Stoop: un journalisme d'investigation à visage humainDepuis l'arrivée de la radio et de la télévision, le phénomène du journalisme d'investigation prend de plus en plus d'importance dans la presse. Dans les Plats Pays aussi, des reportages fouillés révèlent divers scandales et épinglent des situations intolérables. Et ce ne sont pas seulement les quotidiens et les hebdomadaires qui s'en trouvent mieux - il arrive même parfois que ces révélations forcent les autorités à prendre des mesures. Le scandale de la dioxine qui bouleversa | |
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en 1999 le secteur de la viande en Belgique, n'est que l'un des exemples les plus récents. Depuis Watergate, l'information est devenue un véritable moyen de pression. Chris de Stoop (o1957) est l'un des plus remarquables représentants de ce genre en Flandre; c'est lui qui au début des années 90 aborda dans l'hebdomadaire Knack le problème de la traite des femmes. Il en résulta un livre Ze zijn zo lief, meneer (Elles sont si gentilles, monsieur, 1992) qui connut un énorme retentissementGa naar eind(1). Le récit poignant de filles philippines, thaïes, hongroises et ghanéennes attirées dans le ‘paradis européen’ par des boniments et de fausses promesses pour atterrir dans la prostitution, ne laissa pas même insensible la Cour de Belgique: De Stoop écrivit son rapport à la demande expresse de la Fondation Roi Baudouin. Il continua sur sa lancée avec des dossiers délicats sur le commerce des clandestins (Haal de was maar binnen - Vite, rentrez le linge, 1996)Ga naar eind(2) et sur le trafic de stupéfiants (Ik ben makelaar in hasj - Je suis courtier en haschich, 1998), mais ne céda jamais à la tentation de tomber dans le sensationnel. Il n'est partisan que dans sa solidarité avec le paria - il se plonge dans son sujet avec une authentique empathie pour ces innombrables cas d'atteinte aux droits de l'homme. Et pourtant, à grand renfort de preuves et de faits précis, il garde toujours à sa relation son objectivité. Le public a manifestement une grande soif d'investigations objectives mais passionnées. La principale qualité de Chris de Stoop est qu'il joint à une connaissance approfondie des dossiers un sens aiguisé du ressort dramatique. Sous sa plume, les faits nus reprennent vie. Le fil rouge de son deuxième livre sur la déportation des clandestins est par exemple une tzigane Roma, qui chercha en vain asile dans divers pays d'Europe occidentale. La manière bureaucratique dont elle fut éconduite, elle et sa famille, révolte. De Stoop ne va jamais jusqu'à mettre en cause le système, ce qui serait dépasser sa mission de journaliste. Mais il n'en sème pas
Chris de Stoop (o1957) (Photo B. van den Broecke).
moins le doute sur la façon de traiter cette fort complexe problématique. Le dernier livre de Chris de Stoop s'intitule De bres (La brèche)Ga naar eind(3). C'est de loin le plus convaincant de toute la série, bien qu'il soit pour la première fois impliqué personnellement dans sa matière; ou est-ce justement à cause de cette implication? Le problème qu'il aborde est la sévère et permanente menace qui pèse depuis des dizaines d'années sur un minuscule village de polder de Flandre-Orientale, qui risque d'être rayé de la carte par l'extension du port d'Anvers. Le village s'appelle Doel et le titre du livre fait allusion aux digues qui le défendent depuis des siècles déjà contre les eaux de l'Escaut. Comme De Stoop est originaire de la région, il est allé habiter un an à Doel pour y éprouver physiquement la détresse et y écrire son livre. Le problème du journalisme d'investigation, c'est naturellement qu'il risque à chaque instant | |
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d'être dépassé par l'actualité. En ce qui concerne Doel, après la parution de De bres, le village et la nouvelle darse à containers qui sera creusée à cinq cents mètres de la limite du village afin d'accueillir bientôt la nouvelle génération de containers géants, sont encore tous les jours sous les feux de l'actualité. Pour l'instant, les travaux de l'énorme Deurganckdok sur la rive gauche de l'Escaut ont été interrompus par le Conseil d'État. On a fait des fautes de procédure lors de l'attribution du permis de construire et le plan régional d'occupation des sols a été illégalement modifié. En outre, il existe déjà depuis des années derrière Doel une darse géante inutilisée. Il est compréhensible qu'on s'insurge contre ce que les petites gens et les fermiers appellent la mégalomanie ruineuse du port. Fils de fermier, De Stoop n'en a que plus d'intérêt pour ce paysage de polder, un jour si riche, qui a dû céder la place à la prospérité et à l'industrie envahissantes. Chaque médaille a son revers, mais la note que beaucoup de petites entreprises familiales de la région - dont celle du père de De Stoop - se sont vu présenter était hors de proportion. Soit, maintenant que même l'agriculture et l'élevage intensifs ne peuvent plus faire face au spectre des scandales des hormones, de la crise de la dioxine et de la maladie de la vache folle, le port ne paraît guère plus qu'une excroissance d'un progrès qui déboule sur chacun. Mais l'arbitraire qui a frappé le polder n'en laisse pas d'être exemplaire. De Stoop ne nous écrase pas sous les arguments techniques contre l'extension du port. La discussion ne traite pas non plus du dilemme entre progrès et conservatisme, mais du mépris de la dignité humaine. Comme il est si proche du problème, il lui arrive de friser l'émotion. Mais, la plupart du temps, il laisse la parole aux intéressés: les fermiers expropriés, les villageois exhortés à partir par le ‘médiateur’ nommé par les autorités... Fort à propos, De Stoop compare les tracasseries administratives des autorités avec l'ondin de la légende locale qui, en des temps anciens, semait l'insécurité au pays scaldéen. On peut reprocher leur entêtement aux habitants de Doel mais non leur fierté de ce qu'ils ont peiné tant d'années à réaliser. Aussi De Stoop les laisse-t-il parfois se gausser de ‘ceux de la ville’ ou des hommes de pouvoir de Bruxelles qui décident de leur sort d'un trait de plume. Mais c'est plutôt la mélancolie que le populisme qui colore son exposé. Il semble bien que la déception allège à mesure le ton du dossier. Aussi, en matière de style, remarque-t-on une différence entre De bres et ses ouvrages précédents. Le caractère personnel du récit est souligné par la présence d'une femme anonyme qu'il promène à travers le paysage de son passé. Outre le rôle de caisse de résonance, elle joue aussi celui de capiton, afin de maintenir un certain équilibre. Cet élément autobiographique n'enlève rien à la force du contenu non fictionnel, bien au contraire. De Stoop s'en sert comme d'un moyen d'amplifier sa dénonciation contenue contre l'arbitraire du traitement des habitants de Doel. Pour Doel lui-même, il est sans doute trop tard: officiellement, le village dispose encore de cinq ans, mais, de toute façon, le camouflet a déjà trop marqué le polder scaldéen pour qu'on puisse encore y remédier. Toutefois, les victimes seraient depuis peu traitées avec un peu plus de respect. De bres y aurait-il contribué? Une chose est sûre: un ouvrage comme celui-ci prouve qu'un journalisme d'investigation à visage humain peut transcender l'actualité et même jouer un rôle historique. Karel Osstyn (Tr. J. Fermaut) |