Septentrion. Jaargang 30
(2001)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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dans le cigare? On s'en sert pour publier ses poèmes. C'est ce que fit Paul Neuhuys (1897-1984) en 1913 à Anvers. Les poèmes d'une sensualité étouffante de La Source et l'infini firent scandale à l'athénée d'Anvers où il poursuivait ses études. Les deux associations d'étudiants, tant la francophone que la flamande, se liguèrent contre le préfet de l'école qui avait attaché le grelot. En ces années d'avant-guerre, il était apparemment encore possible de mener un combat culturel commun. Neuhuys est toujours passé à travers les mailles de l'histoire de la littérature, parce qu'il écrivait en français à Anvers, descendait par son père de peintres néerlandais et avait une mère suisse. Est-il un écrivain ‘belge’? ‘Nous ne voulons, malgré notre communauté de langage être identifiés ni aux Français ni aux Hollandais’ écrivait-il en 1928 dans Écrivains belges d'aujourd'hui (réédité dans Soirées d'Anvers. Notes et essais) et ‘Si notre pays n'est pas un pays distingué, c'est un pays distinctif.’ Un an plus tard, son regard se faisait beaucoup plus morose: ‘Du train où nous allons, la Belgique, à cent ans, ne sera plus qu'un corps vidé de sa substance.’ Et ‘les écrivains belges seraient une race appelée à disparaître, comme les girafes.’ Il s'abandonne à ces bouffées de pessimisme dans Lettre d'Anvers (1929, réédité dans Soirées d'Anvers), après la libération d'August Borms, l'activiste condamné à mort après la première guerre mondiale pour collaboration avec l'occupant. La sentence, commuée en détention à vie, fut suspendue en 1929 parce que Borms était devenu un symbole et un martyr dont le maintien en prison devenait trop dangereux pour la Belgique. Neuhuys a connu Borms comme professeur de néerlandais à l'athénée d'Anvers: ‘Borms m'a familiarisé avec les lettres flamandes. O soudure autogène entre deux races adverses!’ (Lettre d'Anvers). Dans l'anthologie bilingue de la poésie de Neuhuys parue récemment sous le titre Dada! Dada? Gedichten 1920-1977 (publiée avec le soutien de la Communauté flamande et de la Communauté
Pierre-Louis Floriquet, portrait de Paul Neuhuys, dessin.
française de Belgique), ce même Borms apparaît également dans le poème Humanisme tiré de La Fontaine de Jouvence (1936):
(...)
Je poursuivais comme une meute discordante mes études.
Un professeur nous lisait des vers de Guido Gezelle
sur le murmure des roseaux au bord de la Lys.
Un jour, il me demanda:
Pourquoi parlez-vous une langue qui ne vous appartient pas?
J'étais furieux, on n'est pas tourte à ce point-là!
J'appris plus tard que ce professeur entendait
s'appuyer sur l'Allemagne
comme la révolution brabançonne s'était appuyée sur la France
et qu'on l'avait condamné à mort.
C'est dommage:
j'aimais sa bonne figure de bon chrétien
et les roseaux de Guido Gezelle chantaient dans ma mémoire.
(...)
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Dans les années 60, on redécouvrit Dada et le rôle que Ça ira, la principale revue avant-gardiste de Belgique (1920-1923) y avait joué. On y présentait Neuhuys comme témoin privilégié, comme compagnon de route. Il continuerait à affirmer ‘Ni dada, ni surréaliste’, sans jamais nier toutefois que Dada avait été la période la plus heureuse de sa vie. Au cours de la guerre, Neuhuys avait dévoré les livres, acquérant une large érudition. Les événements tragiques ne parvinrent pas à le purger de ses sarcasmes. Il riait et faisait rire et ne prenait rien tout à fait au sérieux. Il était donc le personnage rêvé pour ressentir et exprimer l'esprit de Dada, né en 1916 dans un cabaret de Zürich. En 1920, il résida quelques mois à Paris, mais c'est seulement de retour à Anvers qu'il tourna définitivement le dos à sa Belle Époque: ‘Du coup il fut conquis, mais avec une telle aisance et un tel enthousiasme qu'il adopta sur-le-champ les théories les plus subversives et les plus étonnantes et s'empressa de faire le tour de chacune. En quelques mois il passa d'un classicisme intransigeant à un dadaïsme écervelé, et ce fut, à coup sûr, l'une des conquêtes les plus rapides de la fraîche et terrible esthétique de notre temps.’ (W. Koninckx en 1929, in Soirées d'Anvers, p. 54). Cette conversion généra Le Canari et la cerise (1921), aux poèmes appréciés par Pascal Pia et Jean Cocteau. Neuhuys voyait en dada ‘un terrorisme gai, une rébellion gratuite contre toute orientation collective grandissante’, ‘un retour à la vie inorganisée’. Dada était impossible à récupérer. Dada n'était pas moderne. Dada n'était pas pour le progrès comme le futurisme. ‘Dada est la fleur de ruines, non pas la petite fleur bleue de l'optimisme que les poètes veulent cueillir dans les décombres d'une civilisation, mais une azalée, une aride azalée qui, plutôt que d'implorer une pluie de sang, cherche à s'abreuver de sécheresse.’ (Poètes d'aujourd'hui). Dans Ambiance (in Le Canari et la cerise) il s'exprime ainsi:
(...)
La tendresse est une poussière incommode
par ces temps de sécheresse.
Foin du lyrisme!
Ah! Si je pouvais éteindre mon cerveau agité
comme on éteint l'électricité.
Neuhuys est un poète léger, au sens que Calvino donnait à ce terme, la leggerezza étant la capacité d'enlever leur poids aux choses. Il est obstinément resté fidèle à son credo antibourgeois. Ses poèmes éreintent la bourse et l'argent, Anvers la mercantile, Bruxelles la médicore, la patrie petite. Dada est son ‘dandysme du désespoir’:
Mon amie, je t'aime
et nous irons en Mésopotamie
broder sur ce thème
Ne restons pas ici, la vue est trop bornée.
Allons vers les contrées lumineuses,
(...)
Je chanterai: ma mie, ô gué...
tu m'appelleras vaurien, artiste,
et quand nous serons fatigués d'être gais
nous serons contents d'être tristes.
Parallèlement, il est un critique curieux et sans parti pris, qui, dans les années 60, présentait encore Jeunes poètes flamands (Soirées d'Anvers, pp. 179-194). Très tôt déjà, Jean Cocteau voyait en lui ‘un apiculteur: on voit comme dans une ruche de verre le travail des abeilles.’ La joyeuse violence de Dada est manifestement dans l'air du temps. C'est ainsi que les Éditions Vantilt de Nimègue défrayent la chronique avec une authentique collection Dada. Outre des traductions de Tristan Tzara, de Francis Picabia, de Hugo Ball et de Richard Huelsenbeck, elles ont également édité une version néerlandaise de l'Apologie de la paresse (Çaira!, Anvers, 1921) de Clément Pansaers (1885-1922). Ce Flamand traversa comme un météore l'univers Dada pour sombrer avec lui. Dans le chapitre de Poètes | |
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d'aujourd'hui (1922) (réédité dans Soirées d'Anvers) qu'il lui consacra, Neuhuys salua avec enthousiasme ce ‘seul représentant de Dada en Belgique’. Dans Holland Dada, K. Schippers a reconstruit la fameuse campagne de Theo et Nelly van Doesburg, de Kurt Schwitters et d'un certain nombre d'autres, à travers les Pays-Bas. Il a repris des lettres de Van Doesburg à Tzara, et on y évoque la blanche maison de Meudon Val-Fleury près de Paris. L'ouvrage, joliment édité, comporte des documents, manifestes et photos rares. Une légende tenace veut qu'au départ Van Doesburg ne voulait pas collaborer à Ça ira! à cause de l'engagement flamingant qui s'ajoutait au pacifisme et à l'internationalisme de la rédaction. Selon Henri-Floris Jespers dans sa passionnante postface à Dada! Dada?, l'artiste néerlandais était surtout mécontent parce son mouvement De Stijl (Le Style) n'était pas apprécié à sa juste valeur. Quoi qu'il en soit, étrange et passionnante époque, ces années 20. Luc Devoldere (Tr. J. Fermaut) paul neuhuys, Dada! Dada? Gedichten 1920-1977 (Dada! Dada? Poèmes 1920-1977), traduit et postfacé par Henri-Floris Jespers, Uitgeverij Jef Meert, Anvers, 2000 (ISBN 90 6771 386 4). |
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