Un travail de bénédictin: la bible Mondrian
Le Catalogue raisonné de Piet Mondrian (1872-1944), paru fin 1998, a pris une ampleur impressionnante. Pendant plus de vingt-cinq ans, les spécialistes Robert Welsh et Joop Joosten y ont travaillé; la brique pèse près de sept kilos et compte plus de 1100 pages!
L'ouvrage comporte deux volumes, et se décline en trois parties. La première traite des oeuvres jusque début 1911; elle est de la main du spécialiste par excellence de l'oeuvre précoce de Mondrian, Robert P. Welsh. La seconde présente toutes les oeuvres réalisées du printemps 1911 au dernier tableau inachevé de Mondrian, Victory Boogie Woogie; nous la devons à un autre éminent connaisseur de Mondrian, Joop Joosten.
Dans les première et deuxième parties, les auteurs ont recherché toutes les données possibles au sujet des oeuvres conservées et perdues de Mondrian, les assortissant toutes d'une reproduction. Ils y établissent le titre, la signature, l'année de création, les matériaux et les formats utilisés, mais aussi la genèse de l'oeuvre, les expositions où elle a figuré, les critiques et la bibliographie où on la mentionne. Une partie des oeuvres est assortie d'un commentaire, qui renvoie par exemple à une oeuvre similaire, à leur origine, ou évoque leur genèse ou leur signification.
La troisième partie est consacrée aux indispensables survols: liste des expositions, liste des ventes aux enchères, bibliographie. La parution de cette bible Mondrian a exigé un travail de bénédictin.
En dépit de tous ces efforts, il y a un point sur lequel le catalogue raisonné constitue une grande déception: la qualité de l'impression. Qui ouvre l'ouvrage pour y regarder les reproductions en couleur, et c'est bien ce qu'on fait en premier, devine par transparence les images du verso. Aux pages qui présentent l'oeuvre précoce de Mondrian, cela trouble la reproduction et dérange le spectateur. Aux pages consacrées aux oeuvres d'après 1920, c'est proprement criminel! Les compositions soigneusement élaborées par Mondrian à partir de lignes horizontales et verticales sont parasitées par des lignes grises provenant de la reproduction au verso. L'aspect des oeuvres, déjà difficiles en soi à reproduire, est totalement bouleversé. Bien sûr, celui qui veut vraiment voir les oeuvres comme il faut, doit aller les voir en vrai, mais pourquoi diable gâter ce moment privilégié de représenter ensemble une multitude d'oeuvres? On peut certes pardonner à l'éditeur des peccadilles comme la représentation floue de Composition No X (1912-1913, deuxième volume, page 20, numéro B25) ou les représentations parfois difficiles à regarder d'oeuvres plus subtiles, comme les fleurs, dans la partie catalogue, mais vu le prix de l'ouvrage, on est quand même en droit de s'attendre à un travail de professionnel.
Et les reproches à l'éditeur ne s'arrêtent pas là. Il aurait pu justifier ou expliquer brièvement ses choix éditoriaux. Dans la partie qui leur revenait, les auteurs ont abondamment exposé la systématique suivie, mais on cherche en vain l'explication d'un certain nombre de choix généraux. J'aurais par exemple particulièrement apprécié une légitimation du choix des reproductions en couleur. Ainsi qu'une justification du fait que le catalogue s'appuie sur des données antérieures à 1993. Il n'est pas inutile d'attirer l'attention là-dessus, vu qu'au cours des cinq dernières années, il est paru un beau paquet d'articles et de livres nouveaux sur Mondrian, cependant que des oeuvres changeaient de propriétaire, comme Victory Boogie Woogie. Et pourquoi ne présente-t-on nulle part les auteurs? Pourquoi ne légitime-t-on nulle part la césure de 1911 entre les deux premières parties? Les initiés