pourrait rendre son legs public que 140 ans après le décès de celle de ses gouvernantes qui lui survivrait le plus longtemps, et que l'argent devrait profiter aux pauvres de Haarlem. Précisons avec lui: pour ‘éradiquer l'impudente mendicité et prendre soin des pauvres et des nécessiteux dans leur indigence, leur donner à manger et fournir à leur entretien.’
Le 5 janvier 1999, après le dépôt d'une gerbe sur son caveau de la Grote Kerk (Grande Église) de Haarlem, la commission de gestion du Fonds Coelombie procéda à l'ouverture du testament. Toutes ces longues années, un voile de mystère avait flotté sur ce fonds et on avait spéculé à coeur joie sur l'importance du legs. C'est que l'argent fait des petits même quand il dort.
9,2 millions de florins (31 millions de FF/185 millions de FB): voilà ce que purent entendre, enfin soulagés, les hôtes de la salle des Comtes de l'hôtel de ville de Haarlem. Et la somme aurait pu être bien plus rondelette encore, si des administrateurs passés n'avaient pas investi dans des obligations des chemins de fer russes qui s'avérèrent sans valeur après l'éclatement de la révolution russe en 1917. Le krach boursier de 1929 et la deuxième guerre mondiale ne favorisèrent pas non plus, tant s'en faut, la croissance du capital. Le magot n'atteignit le premier million de florins qu'en 1980. Finalement, ce montant a encore considérablement augmenté grâce aux cours de la bourse élevés des dernières années. Un vent de panique souffla en 1998 quand les cours chutèrent de 30%, mais, après la reprise, on put donc clôturer à 9,2 millions de florins.
Et pourtant, le regardant Coelombie aurait encore des raisons de bougonner depuis l'au-delà, car si les administrateurs avaient tout bonnement placé ses sous en 1805 sur un compte bancaire, le capital, à un intérêt moyen de 4%, aurait atteint environ 30 millions de florins. ‘Honni soit qui mal y pense.’
Coelombie chargea trois institutions de l'exécution de son testament: la Nederduitsch Gereformeerde Diaconiehuis protestante, la Lutherse Weeshuis luthérienne et la Roomsche Godshuis Sint Jacob catholique. Il donna même des directives précises: c'est ainsi qu'il stipula que son argent devait en fait être investi dans la construction d'usines destinées à la production de tissus de soie et de laine, de bas et de montres anglaises, produits de luxe qu'à la fin du xviiie siècle on devait importer de l'étranger. Ces usines fourniraient du travail aux pauvres de Haarlem, et notre zélé fondeur de cloches avait même fixé leur salaire: les ouvriers devraient gagner au moins un florin par jour pour pouvoir subvenir à leur entretien propre.
Les trois institutions ecclésiastiques héritières ont renoncé aux usines. Deux d'entre elles ont investi quatre millions de florins (13,5 millions de FF/80 millions de FB), dans une fondation qui lance des projets créateurs d'emplois. Elles ont distribué le reste de l'argent aux institutions sociales de Haarlem. Elles espèrent ainsi respecter l'esprit du testament de Coelombie. Et l'esprit souffle où il veut. Même si les administrateurs ont commencé par demander l'avis de juristes. Car, en qui concerne la lettre, on ne sait jamais. C'est que nous sommes, tous comptes faits, aux Pays-Bas, où même l'illuminé tient tant soit peu du caporal.
Luc Devoldere
(Tr. J. Fermaut)