Le chef incontesté de la révolte, Guillaume d'Orange (1533-1584), eût sans doute été déçu. La coexistence de deux religions au sein d'un seul État néerlandais, tel avait été son rêve. La réalité, ce fut la création de deux États néerlandais, dotés chacun d'une seule religion. Un double échec, par conséquent. Mais aurait-il eu raison de s'en étonner? Trop éloigné de l'esprit de l'époque, l'idéal qui l'animait n'avait guère de chances de se réaliser. Même un collaborateur aussi dévoué que Marnix ne l'avait partagé que jusqu'à un certain point.
A sa naissance, en 1540, Marnix ne semblait pas du tout prédestiné à une carrière de révolutionnaire. Les Marnix appartenaient à la noblesse de robe brabançonne, aux cadres moyens de l'État burgo-habsbourgeois. Spécialistes du droit et des lois, ils étaient en outre bons administrateurs et gestionnaires compétents. Ils parlaient et écrivaient les langues qui étaient alors couramment utilisées dans les Pays-Bas, un atout dont Philippe devait, lui aussi, tirer le plus grand profit. Il s'exprimait avec aisance tant en français qu'en néerlandais et il faut déconseiller la lecture de sa volumineuse correspondance à quiconque ne maîtrise pas suffisamment le français. Mais qu'il serait amené à écrire de telles lettres n'était certainement pas évident au départ. Celui qui, à ce moment-là, aurait voulu prédire l'avenir du jeune Marnix n'aurait eu, semble-t-il, qu'à choisir entre deux possibilités. Fidèle aux traditions de sa caste, Philippe occuperait une charge administrative ou peut-être se verrait-il contraint, comme fils cadet, d'embrasser la carrière ecclésiastique. Finalement Marnix allait, dans une certaine mesure, cumuler les deux fonctions, mais d'une manière qui illustrait puissamment le caractère exceptionnel de son époque.
En 1553, Philippe, accompagné de son frère aîné, Jean, se rendit à Louvain pour y faire des études. Pendant les premières années, celles-ci manquaient parfois d'orientation précise. Petit à petit, les deux frères allaient fixer leur choix lorsqu'ils partirent suivre des cours dans diverses universités étrangères comme cela se faisait assez couramment à l'époque. Leur périple s'acheva à Genève, la ville de Calvin. Là, il n'y avait qu'une seule faculté: celle de théologie. Ceux qui désiraient s'y inscrire devaient se déclarer de confession protestante. C'est ce que fit Marnix en 1559, âgé alors de 19 ans. Cet engagement resterait dans la vie de cet intellectuel parfois changeant et indécis, une valeur constante.
En 1562, les deux frères rentrèrent aux Pays-Bas. Quiconque y confessait le calvinisme, risquait la peine de mort. Aussi Philippe se tenait-il à l'écart, restant, comme il disait, ‘caché sous la croix des persécutions’. Mais à moins qu'elle ne soit d'une férocité telle qu'elle réussit à réprimer totalement le danger auquel elle s'attaque, la persécution engendre le plus souvent la résistance. En 1566, l'opposition, conduite par l'aristocratie, se rassembla dans ce qui fut appelé le ‘compromis des nobles’ et exigea l'arrêt des persécutions religieuses. Cette revendication reçut un peu partout un accueil favorable au point que de nombreux catholiques manifestèrent eux aussi leur sympathie. Il n'empêche que les promoteurs du mouvement s'étaient rangés plus ostensiblement du côté des persécutés. Des calvinistes tels que les frères Marnix bataillaient au premier rang. Aussi leur réputation auprès des autorités à Bruxelles semblait-elle de plus en plus compromise.
Les nobles s'étaient limités à ce que nous appelons maintenant une manifestation. Mais au cours de l'été de 1566, l'agitation ne cessa de croître et se transforma en fureur iconoclaste. Partout aux Pays-Bas, les églises furent mises à sac par une population déchaînée. S'agissait-il réellement d'une explosion de colère populaire? A Breda, où habitait Marnix, les églises furent dévastées par une vingtaine de personnes. Le maire ayant interdit toute nouvelle action, une délégation calviniste, dont Marnix faisait partie, se présenta à l'hôtel de ville et déclara sans ambages aux conseillers municipaux que les destructions devaient être menées à terme.