Septentrion. Jaargang 27
(1998)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 48]
| |
Extrait de ‘Van den Vos Reinaerde’, manuscrit de Combourg, fin XIVe siècle. Cet extrait décrit les péripéties du chat Tybert. Une version antérieure et la traduction française des vers 6-46 de cette page se trouvent plus loin dans ce numéro, p. 52.
| |
[pagina 49]
| |
‘Belles heures de Flandre’: l'anthologie d'une poétesseL'oiseau-lyre? Liliane Wouters (o1930) lui a subtilisé plus d'une plume... De la première, elle s'est servie pour nous offrir cinq recueils de poèmes. Que leur publication se soit étalée sur trente-six ans s'explique en partie par les activités professionnelles de l'auteur: de 1949 à 1980, le tableau noir et la craie l'ont souvent emporté sur la feuille blanche et l'inspiration. Mais cet étalement reflète surtout la haute tenue de cette poésie qui, tout en étant une fête lyrique des mots, se veut avant tout interrogation sur les élans souvent contradictoires qui traversent une existence. ‘Dieu dans la peau et le diable au corps’, c'est par cette formule frappante qu'Alain Bosquet caractérise la jeune femme qui dans La marche forcée (1954) et Le bois sec (1960) se montre exigeante devant Dieu, la vie et l'amour et se scandalise devant le fait qu'il ‘faut Naître pour mourir’. Avec Le Gel (1966), on la voit s'engager dans une ‘introspection mentale implacable’ (Jean Tordeur) et faire de la poésie l'instrument par lequel elle se libère de tout ce qui l'enchaînait encore à son ancien ‘moi’. L'aloès (1983) marque la fin du ‘dur apprentissage’ et proclame sa foi dans la vie et dans la poésie:
De toute pierre qui nous blesse faisons feu
Faisons soleil de la plus noire issue
J'accomplis voeu de verbe et d'existence, voeu
de m'affirmer à travers chaque mue.
Avec le Journal du scribe (1990), Wouters donne voix à un scribe qui est d'hier et de toujours, à un ‘secrétaire du parti des hommes’, symbole du poète chargé de poser les grandes questions auxquelles ses compagnons de route n'ont pas le temps ou le courage de réfléchir. Ce long parcours poétique, qui se caractérise encore par un progressif dépouillement formel, nous pouvons désormais le saisir d'un coup d'oeil, grâce au volume Tous les chemins conduisent à la merGa naar eind(1). La deuxième plume a servi à transposer certains thèmes poétiques au théâtre: des pièces comme La porte (1967) ou L'équateur (1984) traitent de la mort inéluctable. Charlotte ou la nuit mexicaine (1981) évoque la démence de la fille de Léopold Ier, veuve de Maximilien de Habsbourg, empereur du Mexique, fusillé par les révolutionnaires en 1867. Mais la scène a | |
[pagina 50]
| |
aussi permis l'accès à d'autres univers: fantaisiste comme dans Oscarine ou les Tournesols (1984) et Vies et morts de Mademoiselle Shakespeare (1971), baroque comme dans Le Jour du narval (1991) ou franchement réaliste. C'est le cas de La Salle des profs (1983), pièce qui retrace la première année de travail d'un jeune instituteur, confronté à des collègues désabusés. Une troisième et une quatrième plume, Liliane Wouters les a mises au service des autres nourrissons du Parnasse. C'est ainsi qu'elle a composé plusieurs anthologies dont un Panorama de la poésie française de Belgique (1976), un très beau choix de poèmes d'auteurs belges pour les jeunes, Ca rime et ça rame (1985), et, en collaboration avec Alain Bosquet, un impressionnant aperçu de La poésie francophone de Belgique (1985-1992). Selon Wouters, l'anthologie est un mal nécessaire: c'est la planche de salut qui doit permettre à la plupart des poètes, handicapés par des tirages limités, de traverser l'océan de l'oubli. L'anthologiste et la traductrice sont traversées par une même motivation qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle d'un bon enseignant: partager ce que l'on aime et admire. Aussi Liliane Wouters s'estelle mise à traduire ce qui la reliait le plus à ses origines, à cette ‘Mère Flandre’: la poésie écrite par ses collègues du plat pays. (N'oublions pas que Furnes fut le berceau de sa famille maternelle et qu'à l'école normale de Gijzegem, près d'Alost, l'enseignement des religieuses se fit pour moitié dans chacune des deux langues nationales.) Entreprise hautement appréciée, car elle lui a valu le prix Sabam 1965 et le prix triennal de traduction de la Communauté flamande de Belgique. Il est dommage que ses traductions de poètes modernes - cela va de Hugo Claus (o1929) à Hugues C. Pernath (1931-1975), de Jacques Hamelink (o1939) à Judith Herzberg (o1934), de Geert van Istendael (o1947) à Charles Ducal (o1952), de Willie Verhegghe (o1947) à Herman de Coninck (1944-1997) - soient si peu rassemblées en recueils. La plupart ont d'ailleurs paru dans Septentrion. Mais le choix de Wouters s'est aussi porté sur Guido Gezelle (1830-1899) et surtout sur des textes du Moyen Age: en témoignent les anthologies Belles heures de Flandre (1961) - prix Auguste Michot décerné par l'Académie -, Bréviaire des Pays-Bas (1973) et Reynart le Goupil (1974). Comme ce premier ouvrage vient d'être réédité, enrichi de quelques inéditsGa naar eind(2), Septentrion n'a pas su résister au plaisir de vous faire goûter ce langage de Flandre qui, comme Wouters le signale dans son introduction à Gezelle, sonnait ‘haut et clair’, du xie au xvie siècle. Liliane Wouters nous fait entendre ceux qui ont chanté les plaisirs ou les douleurs de l'amour ou, tel ce poète anonyme de l'Egidius-lied, le chagrin causé par la mort d'un ami. Elle nous introduit dans l'univers violent de Halewijn, ce Barbe-Bleue flamand, ou ‘De la marâtre qui vendit son enfant’. Dans un essai Sorcières ou saintes: les béguines, elle nous fait découvrir ces ‘contestataires d'il y a sept cents ans’ et illustre par de nombreux fragments en quoi consistait précisément le mysticisme d'une Hadewijch (xiiie siècle): ‘De dénudation (bloetheit) en dénudation, de relative vacuité (ledichheit) en vacuité totale, dans l'atmosphère de plus en plus transparente, l'air de plus en plus raréfié, c'est une quête de l'Union et de l'Essence, sur le fil raide traversant ce vide heureux que d'aucuns nommeront plus tard quiétisme.’ Mais la traductrice nous invite aussi à écouter ‘le rire acide, acéré’ de Reynart le Goupil ou à nous attendrir devant la crèche de Noël. Elle termine son anthologie en nous menant à La fête des taupes où selon Anthonis de Roovere (vers 1430-1482) ‘pauvres et riches, | |
[pagina 51]
| |
nobles et vilains, grands et petits’ danseront. Et remercions-la de nous avoir traduit, pour faire ce voyage dont nul ne revient, cette magnifique prière d'Anna Bijns (1493-1575), Combien amère est ta pensée, ô mort. Peut-on d'ailleurs parler de traductions à propos de ces Belles heures de Flandre? Le terme de ‘transposition poétique’, employé par Franz Hellens, me paraît mieux venu. On sent à tout moment l'amour que Liliane Wouters porte aux deux langues, le souci qu'elle a de conserver aux textes leur esprit, leur rythme, leur musique. Dans la chanson folklorique Het loze visschertjen, un pêcheur passe devant la fenêtre d'une meunière qui exige trois baisers:
Met sine rijfstoc, met sine strijcstoc,
Met sine lapsac, met sine cnapsac,
Met sine lere, van dirre dom dere,
Met sine lere laersjes aan.
Croyez-vous que la belle le trouvera moins charmant sous ce déguisement?:
Avec sa traîne, avec sa seine,
avec sa canne, avec sa manne,
avec sa toque, avec ses loques dans les flaques,
avec ses socques et son sac.
DIRK VANDE VOORDE Critique littéraire. Adresse: Pijpeweg 30, B-8310 Brugge. |