Septentrion. Jaargang 26
(1997)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdAvec la mer du Nord pour dernier terrain vague...‘J'ai bu la mer du Nord, je l'ai bue entièrement.’ Cet aveu de Dominique Rolin, beaucoup d'écrivains pourraient le faire, à en juger par le livre qu'Yvan Dusausoit a publié sous le titre La mer du Nord. Du Zoute à La Panne. Les écrivains et l'imaginaire du lieuGa naar eind(1). Il constitue le quatrième et dernier volume d'un projet éditorial entrepris en 1988 par l'éditeur Bernard Gilson et consacré à différents aspects de cette côte que certains rêvent déjà d'appeler flamande mais que jusqu'à nouvel ordre, nous continuerons à qualifier de belgeGa naar eind(2). Marcel Thiry n'écrivait-il pas (en 1960, il est vrai): ‘Si le sentiment de patrie est fait, pour une part, de souvenirs communs, le patriotisme belge doit sans doute beaucoup aux vacances à la plage.’? Mais signalons tout de suite que parmi les auteurs belges, les plus grands consommateurs de cette eau salée sont apparemment les francophones. Si nous nous référons au nombre de textes sélectionnés et commentés, les écrivains flamands se laissent même supplanter par leurs collègues étrangers. Le butin était-il vraiment si maigre ou Yvan Dusausoit, conseillé pourtant par Emiel Smissaert, s'est-il d'emblée contenté de ce qui était disponible en français? Ce qui, en effet, n'est toujours pas grand-chose. Cette restriction mise à part et nous consolant à la pensée qu'Ensor (1860-1949), Spilliaert (1881-1946) et Permeke (1886-1952), trois grands peintres de marines, étaient quand même des Flamands, nous n'hésitons plus à recommander ce livre à tout amoureux de la mer du Nord. Il y découvrira tout d'abord une iconographie exceptionnelle. Toujours judicieusement en accord avec les textes retenus, dessins, gravures et tableaux évoquent tantôt la rude vie des travailleurs de la mer, tantôt la fresque solaire qui recouvre chaque année cette ‘arène magnifiquement fine et unie, très découverte à marée basse, sans récifs ni galets’ que Paul Morand évoquait dans ses Bains de mer. Les écrivains ne manquent évidemment pas à l'appel: encore en culotte courte au temps des châteaux de sable ou déjà reconnus et invités à la Biennale de poésie de Knokke où Georges Thiry les postait inlassablement devant son objectif. Mais ce sont surtout les photos d'Anthony et d'Henri Storck qui retiennent l'attention. Que citer du premier? On hésite: la photo qui perpétue la rencontre entre Einstein, Permeke et Ensor dans un jardin du Coq en août 1933 ou celle qui nous montre la reine Élisabeth lisant sur la plage et dont le visage se dessine en silhouette sur l'ombrelle qui la protège du soleil? Ou ces extraordinaires vues d'Ostende qui nous rappellent que derrière le voile des apparences la ville cachait aussi un visage double, ambigu et secret auquel des auteurs comme Michel de Ghelderode ou Gérard Prévot étaient très sensibles? Que citer d'Henri Storck qui dans les années 30 fut promu ‘cinégraphiste officiel de la ville d'Ostende’. Son saisissant portrait d'un Spilliaert âgé ou celui d'un Henri Vandeputte écoutant Ensor jouer de l'harmonium? Dans une interview Storck raconte avec tant de verve les années où il lança son ciné-club d'art et d'essai qu'on regrette que Dusausoit ne lui ait pas davantage laissé la parole. Mais venons-en aux textes que l'auteur a dû réunir grâce à un lent et patient dépouillement non seulement d'oeuvres littéraires, mais encore de revues et de journaux hebdomadaires ou quotidiens qui circulaient sur la digue. Des écrivains renommés y firent leurs premières | |
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armes. Durant les étés de
Grégoire le Roy (1862-1941) à la côte belge, Archives et Musée de la Littérature, Bruxelles (Photo Nicole Hellyn).
1882 et 1883, Rodenbach et Verhaeren remplirent presque à eux seuls les colonnes de La Plage. Georges se spécialisait dans les nouvelles sentimentales et Émile ne reculait pas devant un reportage en direct de la compétition crabine: ‘Et voilà qu'Arabi-Pacha va toucher la ligne du cercle qui constitue le point d'arrivée (...) Mais Gilet rouge le suit de près. Il n'est plus qu'à une encolure de crabe. Son propriétaire l'a entraîné depuis le matin. On l'a grisé de champagne, on lui a mis le feu au corps avec du poivre de Cayenne et il flambe là dans le sable, comme un charbon ardent qui roule. Il approche, il va gagner, il gagne. Mais tout à coup, il tombe, inerte, mort, cramoisi - comme d'un coup de sang.’ Le nom de Fernand Crommelynck, lui, reste attaché au Carillon pour lequel il écrivit en 1908 quarante-trois éditoriaux enthousiastes. ‘On croirait voir, sur un miel inouï, mille guêpes au corselet annelé.’, écrit-il à propos de la baignade. Et celle-ci lui inspire encore la pensée qu'une station balnéaire où règne une franche gaieté et où toutes les barrières semblent abolies, constitue ‘le remède draconien contre la xénophobie’. Le mensuel Tribord qui consacra en août 1931 un numéro spécial à la Reine des Plages pouvait même compter sur d'illustres correspondants étrangers tels Max Jacob ou Blaise Cendrars. Et Ghelderode fut un des collaborateurs les plus assidus de La Flandre Maritime. Grâce à l'initiative d'Edmond Picard qui incita en 1906 Georges Marquet à ouvrir les portes du Kursaal à des conférenciers, Ostende devint jusqu'à la deuxième guerre mondiale un centre d'art. Knokke où la librairie Corman constituait un passage obligatoire pour tous ceux qui prétendaient compter dans les Lettres (et apparemment aussi pour le Parquet de Bruges qui encore en 1950 y saisit un livre sur Delvaux), vit en 1951, grâce à Pierre-Louis Flouquet, se réunir le premier Congrès européen des Poètes. On le voit, la Côte fut toujours ‘un vivier d'artistes’. Mais que représente exactement cette mer du Nord pour tous ces écrivains qui s'en sont servis comme décor ou même comme sujet? Certains titres de chapitre suggèrent déjà une réponse: ‘Lumière dorée de l'insouciance’, ‘Plages sacrées des vacances enfantines’ ou ‘Amours secrètes au | |
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bord de mer’. Redevenir enfant, redécouvrir l'amour et pourquoi pas (re)devenir soi-même? C'est l'expérience que vivent le plus souvent tous ceux qui se sont enfuis de chez eux dans l'espoir de briser une vie de routine. Placés devant ce que Ghelderode appelait ‘le bout du monde’, ils comprennent qu'il n'est plus question de tricher. Comme au narrateur de Sortilèges, cette mer du Nord leur apparaît alors comme la seule issue où respirer enfin, dans l'isolement le plus absolu: ‘N'être plus rien, telle était ma jouissance en cette minute que je ne mesurais pas, les siècles n'étant plus calculables. Et j'eus la vision qu'au commencement, le monde, avant de surgir de l'infortune, avait dû être une mer semblable à celle-ci, puissamment odorante.’
Dirk vande Voorde |