Septentrion. Jaargang 26
(1997)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdBernard Dewulf, modeste comme un hérissonQui veut se faire entendre dans le paysage littéraire, y compris dans la gloriette de la poésie, doit donner dans le pathos ou se montrer rebelle. Les critiques, observateurs et commentateurs n'aiment guère le poète qui garde une attitude modeste. Un langage subtil comme celui du poète flamand Bernard Dewulf (o1960) n'a rien de sensationnel. Dewulf s'est produit lors de la Nuit de la poésie à Utrecht en 1988 et a participé à la manifestation Poetry International à Rotterdam en 1994, mais on ne trouve pas son recueil de poèmes Waar de egel gaat (Où trottine le hérisson) dans un catalogue de bibliothèque publique de grande ville aux Pays-Bas. Dewulf avait été invité à Utrecht et à Rotterdam à la suite de la parution d'une anthologie de jeunes poètes: Twist met ons (Disputez-vous avec nous). Des poètes appartenant à la même génération, tels Charles Ducal, Dirk van Bastelaere et Erik Spinoy, auxquels on a associé Dewulf, ont ‘percé’, comme on dit même chez les poètesGa naar eind(1). Fin 1996, Dewulf se vit tout de même octroyer une première récompense: on lui décerna le prix ASLK (CGER - Caisse générale d'épargne et de retraite) pour un début littéraire. La plupart des poèmes de son recueil se composent de quatrains iambes tétrasyllabiques. La rime riche et la rime intérieure sont irrégulières et discrètes, mais souvent très musicales et explicites, tout comme l'enjambement. Le dernier poème du recueil s'intitule Een egel (Un hérisson):
La soirée accomplie, sans bruit
et visible - comment sinon,
Le vent qui jamais ne s'endort sur l'herbe
lasse de se dresser. Des aboiements encore, et
quand le train venait de passer à l'heure
l'horloge du clocher en prenait acte.
Un brin d'éternité brillait,
dotant la scène de quelque importance.
Mais alors que je m'en avisais un hérisson
opiniâtrement se faufila quelque part.
Là où se rend le hérisson, bruissant modestement mais sûr de lui et attentif, c'est vers l'obscurité. Il faut bien regarder, comme on doit regarder aussi les poèmes de Dewulf pour voir à quel point ils sont composés avec grand soin. Petits et concis, un brin d'éternité, non dépourvus d'importance, à rebours, d'une grande retenue, mais avec une conscience de soi intensifiée. Ainsi le poète regarde autour de lui, par exemple au home pour personnes âgées, les gens au soir de la vie, qui s'avancent à petits pas hésitants vers l'obscurité absolue. Certains vieux commencent à se perdre eux-mêmes. Dewulf les regarde avec compassion et avec une attention attendrie mais non sentimentale. Ainsi, dans Spiegelkast (Armoire à glace), il esquisse une image précise d'une petite vieille qui se regarde. C'est l'heure d'aller au lit, mais cette mère qu'elle a été, qui n'a jamais cessé de travailler, de nettoyer et de ranger tout au long de sa vie a encore tant de choses à faire: | |
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Bernard Dewulf (o1960) (Photo F. Claus).
Pourtant les rideaux se ferment.
Et elle salue brièvement
la voisine de verre qui, le soir,
se ferme. Demain, elle peut ressortir de l'armoire.
La distanciation due au fait de se perdre soi-même est évoquée de manière frappante dans l'image que réfléchit l'armoire. Les vieilles gens ressemblent à nouveau à des enfants, mais ce sont des enfants ridés. Ils sont là, sans passé, dirait-on, sans souvenirs, ils semblent émerger d'un pays crépusculaire. Ils sont là un court instant, parce qu'on les voit. Autour des trous dans la mémoire, ils passent leur temps à refaire les gestes d'antan. Ainsi un ancien garde forestier:
Près de sa hache, sur un couvre-lit
dans la chambre il cherche des arbres.
L'aide gériatrique est leur recours. Il peut encore leur montrer des bribes du monde, fût-ce par le biais de sa voix. Quand une vieille femme est aveugle et ne peut plus marcher, le poète dit, froidement et clairement mais non sans une subtile ironie:
Elle a le regard brisé.
Les jambes servent encore de parure, rien de plus.
Et le jour où elle veut quelque chose de spécial, aller jusqu'à l'aquarium:
Voilà qui fera un long récit, de couleurs
et de la tortue, beaucoup trop vieille. Comme nous
tous. Elle ne voit pas son propre clin d'oeil.
Cette dernière phrase un instant déconcerte le lecteur. Il est évident qu'elle ne voit pas son propre clin d'oeil. On ne le voit jamais. On voit l'effet du clin d'oeil parce que le rideau baisse un court instant. Mais elle est aveugle par-dessus le marché! Et pourtant, elle cligne de l'oeil, comme elle avait l'habitude de le faire. Elle n'est pas trop âgée pour se moquer d'elle-même, prendre ses distances par rapport à elle-même. Un deuxième motif important dans la poésie de Dewulf est l'impossibilité de se glisser dans la peau d'autrui, de comprendre complètement l'autre et de voir qui et comment il est. Même et surtout la bien-aimée demeure une inconnue:
Nous jouons aux indivisibles, coeur à coeur,
mais dormons chacun notre nuit.
et:
Elle dort et qui est-elle
qui demain à nouveau s'adapte à tout?
Dans la deuxième section du recueil, peut-être grâce précisément à sa compréhension aiguë de notre solitude, le poète nous propose pourtant une série de merveilleux poèmes d'amour: | |
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Quand elle s'en va, la maison se retire.
Les vers traduisent l'étonnement qu'il puisse l'aimer, qu'elle l'autorise à l'aimer, qu'elle soit là pour lui, qu'elle se laisse prendre:
Et voyez, d'une robe de chambre une femme
sort la femme que j'aime.
Remco Ekkers (Tr. W. Devos) bernard dewulf, Waar de egel gaat (Où trottine le hérisson), Atlas, Amsterdam/Antwerpen, 1995, 49 p. |
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