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La culture de langue néerlandaise à Bruxelles
L'offre en matière culturelle à Bruxelles est tout simplement prodigieuse et fascinante quand on regarde la quantité de spectacles d'une qualité souvent indéniable auxquels on peut assister en une seule et même saison. L'éventail s'étend du travail au niveau local dans l'un des nombreux centres culturels au travail au sommet, de niveau international, souvent provocateur, au Théâtre royal de la Monnaie. Le public a l'occasion d'écouter pratiquement en permanence de la musique classique ou de la musique contemporaine de qualité. Il y a une vie musicale éminente pour ce qui est du rock, du pop, du blues et du jazz. Il ne se passe pas un mois sans que l'un ou l'autre festival vienne se superposer aux programmes réguliers. L'offre commerciale pour ce qui est du cinéma équivaut aux programmes présentés à Paris ou à Londres. Et il ne faut surtout pas oublier le Musée du cinéma à l'affiche particulièrement alléchante. Si les galeries d'art et les musées sont peut-être un peu moins représentatifs au niveau international, il n'empêche qu'ils sont présents en assez grand nombre. Ce qui frappe le plus, ce sont probablement les quelque trente théâtres, compagnies et groupes de danse importants, petits, permanents et occasionnels.
L'offre en matière artistique est nettement plus vaste, variée, régulière, significative, internationale à Bruxelles qu'elle ne l'est dans des ‘villes voisines’ telles qu'Amsterdam, Cologne, Francfort, Lille, etc. Bruxelles ne dépare pas dans la liste où figurent Paris, Londres et Berlin. Pourtant, Bruxelles ne véhicule pas du tout une image de ville culturelle, tant s'en faut. Pour le monde extérieur, la ville ne semble avoir aucun rapport avec la culture. Outre sa réputation gastronomique au-dessus de tout soupçon, elle évoque pour ainsi dire exclusivement l'image d'un lieu de délibération politique.
Il est exact que nombre d'organisations internationales ont leur siège à Bruxelles. Pour la ville relativement petite qu'est Bruxelles, cette présence suscite une image unilatérale et peu enthousiasmante. L'Union européenne avec ses institutions (la Commission, le Parlement) constitue la présence la plus marquante, qui a également imposé à Bruxelles les stigmates de ville froide, administrative. L'image de l'administration lourde, improductive, inutilement onéreuse, qui semble inhérente à l'UE se voit ainsi reportée pour ainsi dire automatiquement sur Bruxelles même. Les médias internationaux présentent quotidiennement des nouvelles commençant par: ‘Bruxelles a décidé...’, ‘A Bruxelles se
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réunit...’, ‘Bruxelles s'oppose à ce que...’, et ainsi de suite. La ville compte le nombre de journalistes accrédités le plus élevé après Washington DC, ce qui lui vaut certes une campagne médiatique ininterrompue mais particulièrement unilatérale. En cherchant beaucoup, on finira par trouver peut-être un journaliste étranger résidant à Bruxelles susceptible de s'intéresser quelque peu à la ville tout à fait ‘normale’ qu'est aussi Bruxelles. Et encore, sa petite chronique se bornera forcément soit à la gastronomie, soit à telle ou telle anecdote amusante ayant trait à quelque bourgmestre pittoresque, soit s'embourbera dans l'écheveau politique belge, pour s'en moquer, inévitablement. De la culture, à Bruxelles? Voyons!... Bruxelles continuera donc à éprouver de sérieuses difficultés à se profiler autrement que comme une ville purement politico-administrative.
Mais il y a plus, et plus fondamental aussi: Bruxelles constitue, en outre, un amalgame de niveaux de décision politiques. La réorganisation de l'État belge a fait en sorte que le ‘cas de Bruxelles’ s'est vu doter d'une réglementation cadrant parfaitement dans le modèle du compromis à la belge mais qui empêche la ville de se poser en interlocuteur combatif valable. Quelque difficile à démêler que paraisse l'écheveau bruxellois, un bref aperçu s'impose avant que l'on puisse affirmer quoi que ce soit au sujet de la culture de langue néerlandaise dans le contexte bruxellois.
Dans la Belgique actuelle, Bruxelles est considérée comme une troisième région - la Région de Bruxelles-capitale, à côté de la Région wallonne et de la Région flamande -, qui dispose d'un ‘exécutif’ - gouvernement - propre de la Région de Bruxelles-capitale, compétent pour toutes les matières régionales classiques en Belgique (économie, fonction publique, énergie, relations extérieures, etc.). Ce gouvernement se compose de cinq ministres et de trois secrétaires d'État. Deux ministres et un secrétaire d'État doivent être des élus flamands.
Chacune des deux communautés officielles qui composent la Belgique, la Communauté française et la Communauté flamande, dispose d'une commission communautaire: la Commission communautaire française (COCOF) pour les francophones, la Vlaamse Gemeenschapscommissie (VGC - Commission communautaire flamande) pour les néerlandophones. Ces deux commissions sont compétentes pour les matières communautaires (dites précédemment ‘matières personnalisables’, notamment la culture, mais aussi l'enseignement, les soins de santé, etc.). Les commissions mènent une politique culturelle parallèle - et à la fois complémentaire, et non substitutive - à celle menée respectivement par les exécutifs communautaires français et flamand. Pour ajouter encore un niveau supplémentaire, le gouvernement flamand, de son côté, compte en son sein un ministre chargé de la compétence spécifique des ‘Affaires bruxelloises’.
Bruxelles est, par ailleurs, une région distincte, mais ne constitue pas pour autant une unité administrative. La Région de Bruxelles-capitale compte toujours 19 communes, ce qui signifie autant de conseils communaux et autant de collèges d'échevins et de bourgmestres!... Et pour couronner le tout, les institutions culturelles nationales ressortissent au gouvernement fédéral.
Même si tous ces différents échelons ont leur raison d'être souvent parfaitement légitime, toute tentative visant à doter Bruxelles d'un profil net est vouée à l'échec et à
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Le Théâtre royal de la Monnaie - ‘Koninklijke Muntschouwburg’, vue d'intérieur. La culture de langue néerlandaise est également présente au niveau des institutions fédérales.
l'éparpillement. Chaque autorité s'estime responsable à part entière, de toute évidence en exprimant toute sa spécificité et en faisant fi de toute considération de coordination ou de concertation. A l'intérieur d'un champ politique à ce point bigarré et éparpillé, la qualité artistique spécifiquement bruxelloise en tant que telle ne peut dès lors se présenter comme un élément unique dynamique et, à ce titre, bénéficier d'un rayonnement.
Le seul fait que les Flamands constituent manifestement une minorité à Bruxelles ne permet certes pas de dire que les activités artistiques des organisations de langue néerlandaise sont impressionnantes. Ce sont surtout la diversité et la qualité de ces événements qui attirent l'attention. L'aperçu qui suit permettra de voir clairement que si les organisations sont effectivement de langue néerlandaise, le public et davantage encore le cadre dans lequel l'oeuvre est produite sont nettement plus larges. L'oeuvre s'insère généralement sans problèmes dans l'intégralité de l'offre culturelle au niveau de Bruxelles et connaît un rayonnement qui dépasse de loin l'aspect local.
La présence culturelle néerlandaise ne se limite évidemment pas aux seules organisations de langue néerlandaise mais fait également partie intégrante des institutions fédérales, parmi lesquelles le Théâtre royal de la Monnaie, la Société philharmonique, le Musée du cinéma, l'Association des expositions du Palais des Beaux-Arts occupent une place primordiale. Il s'agit là d'institutions fédérales qui, dès lors, cadrent aussi partiellement dans l'ensemble des activités culturelles de langue néerlandaise.
Le Palais des Beaux-Arts occupe une place quelque peu particulière. Sa direction totalement politisée, n'est pas chargée elle-même de quelque mission artistique propre. Cette formule entraîne un immobilisme certain, ce qui pourrait être plutôt gênant pour le travail artistique qui souhaite se manifester dans le cadre de cette structure pesante. Au sein du Palais des Beaux-Arts sont actives un certain nombre d'associations qui fonctionnent bien, confèrent un contenu artistique aux événements organisés et veillent à ce que
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l'institution puisse préserver effectivement toute sa signification artistique. Nous avons déjà mentionné des associations fédérales, à côté desquelles sont également actives des associations communautaires. Du côté néerlandophone, il s'agit plus spécialement de la Paleis vzw (asbl Palais), qui est principalement active au niveau des ‘Midis du théâtre’ et des grandes compagnies de ballet internationales.
Chacune des 19 communes bruxelloises comporte un centre culturel de langue néerlandaise au nom généralement charmant tel que De Kriekelaar (Le cerisier) à Schaerbeek, De Zeyp (d'après le nom d'une ancienne ruelle) à Ganshoren, Nekkersdal (Vallée du Nekker) à Laeken, De Ring (La ceinture) à Anderlecht, De Jachthoorn (Le cor de chasse) à Watermael-Boitsfort, etc. L'organisation du travail socio culturel local constitue leur première et principale mission. Surtout dans les années 70 et 80, les autorités flamandes ont prôné l'implantation de ces centres pour souligner la présence flamande à Bruxelles. Les bâtiments, le personnel et l'équipement ont nécessité des fonds considérables. Cela ne signifie pas pour autant que ces centres ne connaissent pas de problèmes. Ils doivent, en effet, consentir de sérieux efforts pour rendre l'infrastructure suffisamment opérationnelle, attirer un public pour les activités et demeurer réellement utiles dans un environnement difficile sur le plan social et culturel. La question se pose, par ailleurs, de savoir si ces centres, chacun dans son quartier, sont socialement et culturellement intégrés de manière significative dans le tissu urbain.
Plusieurs centres présentent une offre artistique: ainsi, De Zeyp, à Ganshoren, et Ten Weyngaert (Au vignoble), à Forest, proposent un modeste programme théâtral, tandis que De Markten (Les marchés), à Bruxelles-centre, est actif au niveau des arts plastiques. De Vaartkapoen (Le coquin du canal), à Molenbeek, dans une zone dite à risques le long du canal, présente un profil éminemment artistique. Il s'agit là de quartiers de migrants à taux de criminalité élevé. De Vaartkapoen a lancé, il y a plusieurs années, un programme rock réduit mais très intense.
Force est de constater que Bruxelles présente encore des lacunes pour ce qui est des activités dans le domaine des arts plastiques. Mise à part une exception à conserver chèrement, on y note en effet peu d'initiatives de langue néerlandaise. Ce n'est certainement pas dans ce domaine-là que Bruxelles se fait remarquer.
Pour ce qui est de la musique, tous les genres sont largement représentés à Bruxelles. Mais sur ce plan-là aussi, il est évident que la musique se laisse difficilement isoler à l'intérieur d'une communauté déterminée.
La musique classique - historique aussi bien que contemporaine - peut se prévaloir d'organisations telles que la Société philharmonique, le Théâtre royal de la Monnaie, Ars Musica et le Festival van Vlaanderen (Festival de Flandre) et, dans une moindre mesure, d'associations telles que le Plateau, Le Botanique, le Kaaitheater (Théâtre du quai), le Beursschouwburg (Théâtre de la Bourse), etc.
Les genres populaires - rock, pop, jazz, musiques du monde - aussi sont répartis entre différentes organisations. L'Ancienne Belgique est probablement la plus importante, mais nombre d'initiatives plus modestes sont prises dans le contexte de clubs ou de festivals: le Travers, le Kaai, le Vaartkapoen déjà mentionné, etc. Toutes sortes d'organisateurs de
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Le ‘Lunatheater’, occupé principalement par le ‘Kaaitheater’.
concerts parviennent à produire leurs concerts à Forest National, au Botanique, au Lunatheater, au Palais des Beaux-Arts, au Théâtre 140, etc.
Le public ne se demande guère si Deus ou Anima Eterna sont présentés par une organisation de langue française ou néerlandaise. Certaines organisations sont bien sûr clairement reconnaissables en tant qu'organisations de langue néerlandaise (Ancienne Belgique, De Vaartkapoen, le Festival van Vlaanderen), de langue française (Ars Musica, le Travers) ou appartenant aux structures fédérales (Le Théâtre royal de la Monnaie, la Société philharmonique) mais au niveau de l'offre, qui fait de Bruxelles à juste titre une ville musicale, elles sont vraiment complémentaires.
Des théâtres, compagnies et centres artistiques peuvent parfois - surtout pour ce qui est du théâtre parlé -, être clairement reconnus comme étant de langue néerlandaise ou française, mais force est de constater que la plupart d'entre eux font beaucoup plus que cela.
Tel n'est pas le cas du Koninklijke Vlaamse Schouwburg (KVS - Théâtre royal flamand), le monument - au sens littéral et figuré - par excellence dans l'histoire de la présence culturelle flamande à Bruxelles, qui joue toujours un rôle dynamique et central et qui consacre au théâtre de langue néerlandaise l'essentiel de son activité.
Le Beursschouwburg (Théâtre de la Bourse) se profile de plus en plus, ces dernières années, comme un lieu où, prenant l'art comme point de départ, sans se limiter au seul théâtre, et en consacrant une attention particulière aux jeunes en premier lieu, on engage un dialogue très ouvert et intense sur les problèmes urbains.
Il y a le Lunatheater, créé plus récemment, exploité et occupé principalement par le Kaaitheater. Celui-ci travaille dans une brasserie rénovée appelée de Studio's pour des représentations et les répétitions. Le Kaaitheater produit toutes sortes d'oeuvres propres dans les différents genres des arts de la scène: beaucoup de théâtre parlé, mais aussi de la danse et du théâtre musical. Chaque production est pour ainsi dire réalisée et présentée au niveau
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international. Outre ses propres productions, il propose un programme international très diversifié.
Le centre artistique Plateau déploie une activité provocatrice autour d'arts nouveaux dans un édifice intéressant à Ixelles.
A côté de ces compagnies et maisons fleurissent nombre d'autres initiatives encore. Leur caractère très divergent confère toutes sortes de couleurs et nuances à l'activité urbaine et fait de la ville un foyer de création. A Bruxelles, la spécificité multiculturelle ajoute à tout cela encore son grain de sel ainsi qu'une coloration appropriée. C'est notamment le cas d'une compagnie telle que Dito Dito.
Il y a aussi le théâtre pour les enfants et la jeunesse Bronks, qui accueille principalement des spectacles mais présente aussi, sporadiquement, une production propre. Il y a les compagnies Alibi (autour de Pat van Hemelrijck), Los Cojones del Toro, De parade, Leporell, Vlinderbomen en stinkzwammen (Arbres aux papillons et champignons-phallus), etc. Trois compagnies éminentes, solidement implantées à Bruxelles et donnant le ton sur le plan international, méritent une attention particulière: Rosas (Anne Teresa de Keersmaeker), Ultima Vez (Wim Vandekeybus) et Needcompany (Jan Lauwers).
Toutes ces compagnies de théâtre et de danse peuvent être définies sans plus comme étant de langue néerlandaise, mais cela ne transparaît dans leur offre que quand il s'agit de théâtre parlé. Dans leurs relations avec les autorités, l'appartenance marquée à la Communauté est claire. Toutes ces organisations bénéficient de l'aide de la Communauté flamande et/ou de la Commission communautaire flamande. Leur travail s'insère toutefois dans l'offre bruxelloise globale et s'adresse à un public dépassant de loin celui de leur propre communauté linguistique.
A côté des organisations au fonctionnement quotidien, il importe de mentionner les festivals. A Bruxelles, nombre d'entre eux sont de signature néerlandaise. Le Bronksfestival est un festival de théâtre pour les jeunes que l'organisation Bronks met annuellement sur pied au mois de septembre, Le KunstenFESTIVALdesArts présente tous les deux ans un programme international de théâtre, de danse et, dans une moindre mesure, de musique. Puis il y a encore le Theaterfestival (Festival de théâtre) annuel qui se déroule au mois de septembre, à tour de rôle à Bruxelles, Gand et Anvers et qui réunit les dix représentations théâtrales désignées par un jury comme étant les plus intéressantes de Flandre et des Pays-Bas. Le Beursschouwburg organise, à la place de la Monnaie, le festival de musique et d'animation Klinkende munt (Monnaies sonnantes). L'Ancienne Belgique organise le festival de plein air Boterhammen in het park (Tartines au parc). Et aux mois de septembre et octobre, Bruxelles présente bien sûr sa part du programme du Festival van Vlaanderen.
A côté de ces festivals de langue néerlandaise, la manifestation annuelle Ars Musica et celle d'Europalia, organisée à intervalles irréguliers, organisent des coopérations avec le monde culturel néerlandophone.
Si, les institutions fédérales mises à part, les organisations peuvent clairement faire partie d'une des deux communautés, il est pratiquement impossible d'établir une distinction
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Le ‘Koninklijke Vlaamse Schouwburg’ (Théâtre royal flamand), symbole de la présence culturelle flamande à Bruxelles.
aussi nette pour ce qui est de la vie et de l'activité quotidiennes des artistes vivant à Bruxelles. Les compositeurs, musiciens, chorégraphes et danseurs, de par leur discipline artistique, franchissent par définition les frontières des groupes linguistiques. Toute la vie sociale des artistes se déroule de manière collective. Les cafés et restaurants sont les mêmes. On se rend ensemble aux mêmes représentations. Et surtout: on coopère dans le cadre de plusieurs projets artistiques. Ainsi, un artiste flamand habitant Bruxelles peut avoir facilement, en une seule et même journée, des conversations avec des confrères aussi bien en néerlandais qu'en français et en anglais. Cette flexibilité au niveau des langues est surtout caractéristique de la jeune génération d'artistes, et plus particulièrement de ceux qui pratiquent des disciplines telles que la musique, la danse, les arts plastiques, où le travail même dépasse déjà le langage. Cela va de pair avec les cadres internationaux dans lesquels l'oeuvre peut être située. Une chorégraphe importante telle qu'Anne Teresa de Keersmaeker s'est acquis une enviable réputation à côté de Pina Bausch, Trisha Brown, William Forsythe, etc. Un ensemble musical comme Ictus a sa place à côté de l'Ensemble Modern.
Pour un théâtre tel que le Koninklijke Vlaamse Schouwburg, les choses sont quelque peu différentes. Celui-ci ne se situe pas par rapport à la Schaubühne de Berlin ou Dramaten à Stockholm, voire par rapport au Théaâtre national de Bruxelles, mais bien, en revanche, par rapport au Koninklijke Nederlandse Schouwburg (KNS - Théâtre royal néerlandais) d'Anvers et au Zuidelijk Toneel (Théâtre du sud) d'Eindhoven, aux Pays-Bas. Pour ce qui est du théâtre, les évolutions et influences se situent dans une large mesure à l'intérieur des communautés linguistiques. Ainsi, les théâtres de langue française de Bruxelles n'ont rien à voir avec leurs homologues néerlandophones de Bruxelles mais ont pour interlocuteurs privilégiés leurs collégues de Paris, de Montréal ou de Genève. C'est pourquoi le théâtre parlé francophone et le théâtre parlé néerlandophone demeurent deux mondes distincts à Bruxelles.
Cette énumération incomplète pourrait susciter l'impression que, sauf pour ce qui est du théâtre, j'éprouve quelque difficulté à découvrir quelque chose d'exclusivement et isolément néerlandophone dans l'offre proposée par les organisations de langue néerlandaise. Les
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programmes présentés s'intègrent sans anicroche dans l'ensemble des activités de la scène artistique bruxelloise et bénéficient de l'accueil d'un public plus vaste que le public ‘flamand’. Ce qui frappe, en revanche, c'est que cette qualité - car c'en est effectivement une - est surtout l'apanage des organisations de langue néerlandaise. Ainsi, le Kaaitheater, le Beursschouwburg et le Plateau, par exemple, trouvent évident de faire de la publicité en français dans les médias de langue française, ainsi qu'en anglais. C'est d'autant plus logique que l'offre s'adresse parfaitement au public non néerlandophone. Une promotion menée exclusivement en néerlandais atteindrait forcément un public potentiel beaucoup plus limité.
Plus significatif encore est le fait que les organisations de langue néerlandaise, dans leur ensemble, se préoccupent plus consciemment et plus activement de la réalité interculturelle de Bruxelles. Cette affirmation peut sembler quelque peu présomptueuse et absolue. Elle ne doit surtout pas être comprise et interprétée comme si aucune organisation de langue française ne prenait en compte le caractère interculturel de Bruxelles. Mais, que je sache, aucune organisation culturelle bruxelloise de langue française ne fait de la publicité en néerlandais pour ses activités ou ne présente son programme sous forme bilingue françaisnéerlandais quand l'opportunité s'en présente. On peut constater en outre que les représentations théâtrales ou spectacles de danse importants sur le plan international à Bruxelles, à l'exception du très estimé Théâtre 140, sont presque exclusivement présentés par des organisations de langue néerlandaise.
Les Bruxellois d'aujourd'hui ont toujours connu leur ville comme francophone, ce qu'elle est, à vrai dire, toujours, quoique d'une manière moins évidente grâce à une présence flamande plus active, mais plus encore en raison d'une explosion d'immigration: les immigrés classiques, d'une part, et le nombre considérable d'étrangers venus s'établir à Bruxelles et aux environs du fait de la présence des organisations internationales, d'autre part. La communauté francophone demeure cependant la plus importante et, vu que la vie artistique peut parfaitement fonctionner de manière optimale au sein de la communauté propre, ressent moins le besoin vital de se manifester au sein de cet ensemble multiculturel. Pour les néerlandophones, il y a la nécessité de se profiler en tout état de cause à partir d'une position minoritaire. La communauté néerlandophone doit cependant se rendre compte que d'ici quelques années, il faut s'attendre à une importante activité artistique de la part des jeunes générations d'immigrés, qui auront bénéficié d'ici là d'une formation suffisante sur le plan intellectuel et culturel. Peut-être eux réussiront-ils à conférer à Bruxelles un rayonnement artistique global.
Compte tenu de la politique et de l'éparpillement des compétences de Bruxelles, il y a tout lieu de douter que les choses s'arrangent. Pour pouvoir se développer pleinement, une activité culturelle doit se savoir appuyée par des structures politiques claires et une représentation politique solide. Au cours des vingt dernières années, Bruxelles a connu une génération de politiques remarquablement active. Beaucoup de choses ont été réalisées dans de nombreux domaines. Le moment de la relève s'annonce. La question se pose de savoir si une génération de politiques tout aussi valable s'annoncera. Ce sera nécessaire si on veut continuer à développer la culture néerlandaise. Faute de certitude à cet égard, nous
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avons l'espoir. Ce que nous savons, c'est que l'influence des hommes politiques flamands à Bruxelles sera minime dans l'ensemble de la politique bruxelloise. Le Conseil de la Région de Bruxelles-capitale se compose de 75 membres, dont 10 Flamands. De ces 10 Flamands, 2 appartiennent au parti d'extrême droite qu'est le Vlaams Blok (Bloc flamand). Les Flamands de Bruxelles y sont donc politiquement soutenus, démocratiquement parlant, par 8 membres sur 75. Il faut vraiment être de taille pour parvenir à avoir quelque poids dans un contexte politique pareil, avec de tels rapports de force. Ou, dans ces conditions, faut-il regarder du côté du gouvernement flamand? Comme je l'ai déjà indiqué, cet exécutif compte parmi ses membres un ministre responsable des Affaires bruxelloises. Il y a toutefois lieu de se demander si cette compétence, portant sur un budget de quelque 80 millions de FB (13 millions de FF), représente quelque chose de vraiment valable. Cela reflète-t-il effectivement l'importance que l'on souhaite accorder à Bruxelles? Le législateur a défini cette compétence pour des motifs d'ordre protectionniste, mais que peut-on faire si on ne prévoit pas de moyens financiers complémentaires à cet effet? Ou s'agit-il plutôt d'isoler une problématique de sorte qu'elle puisse être considérée comme ‘résolue’, comme ‘réglée’? Les ministres et le Parlement flamands invoquent souvent l'importance que revêt Bruxelles pour la Communauté flamande. Mais ces affirmations vont-elles au-delà de considérations rationnelles? Un véritable engagement politique pour Bruxelles demande aussi un coeur qui batte chaudement, une politique encore sensible à une certaine émotion,
et, surtout, nécessite des moyens financiers adaptés.
Qui soutient politiquement les initiatives bruxelloises, aussi bien dans le domaine culturel que dans les autres, et où? Sont-ce ces 8 parlementaires sur 75? Est-ce un ministre disposant à peine d'un budget? Sera-ce une nouvelle génération de politiques bruxellois? Les compétences politiques éparpillées, la faible représentation néerlandophone au sein des structures politiques bruxelloises, l'attention à tout le moins hésitante que le gouvernement flamand porte à Bruxelles, nous amènent à nous poser très sérieusement nombre de questions sur l'avenir de la vie culturelle néerlandaise dans la capitale belge, et, dès lors, comme nous avons essayé de démontrer dans cet article, sur l'avenir de Bruxelles dans son ensemble.
En guise de conclusion ouverte sur l'avenir, à ce propos, je ne puis que formuler une pensée pleine d'espoir pour l'Europe. Comme on a pu le lire, l'Europe n'a jusqu'à présent aucun lien, aucune relation, avec quelque initiative culturelle que ce soit à Bruxelles, comme nulle part ailleurs, du reste. Or, Bruxelles est pourtant la capitale de l'Europe, arborant à ce titre une image internationale qui renvoie pour ainsi dire exclusivement à l'Europe. L'Europe serait à l'origine de nombre de catastrophes sur le plan urbanistique telles que la démolition de bâtiments de grande valeur architecturale, les coupes sombres dans certains quartiers et l'exode des habitants. Si l'Europe peut, le cas échéant, être désignée comme la cause, il n'en reste pas moins que ce sont les Belges mêmes qui se sont arrangés pour que tout cela se fasse effectivement. La Belgique a cru devoir réserver un traitement affreux à la ville. L'Europe n'a ni construit ni défini le mode d'implantation à Bruxelles et s'est installée dans les maisons que la Belgique lui a proposées.
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Et l'Europe peut-elle être rendue responsable de l'écheveau politique bruxellois? Pas le moins du monde, bien sûr.
Ne serait-il pas plus indiqué et plus sage d'engager avec l'Europe des pourparlers sur Bruxelles, avec comme point à l'ordre du jour la responsabilité, forcément dans des conditions très strictes, que l'Europe peut assumer concernant sa capitale à elle, dans le respect des cultures de cette ville, de sa spécificité, et avec des engagements sur le plan des investissements?
Bruxelles peut difficilement être qualifiée de ville riche. Le nombre d'habitants relativement peu élevé ne permet pas de déléguer des politiques de haut niveau à chaque niveau administratif. Chaque administration décide d'autres options politiques, qui vont dans les directions les plus divergentes. L'Europe est le contraire de tout cela. Elle dispose de moyens financiers, délègue des politiques de très haut niveau de plusieurs pays au Parlement et à la Commission. Et à l'intérieur d'une structure politique unique, l'unité de politique constitue une évidence.
Serait-ce là une idée quelque peu irréaliste? Je l'ignore. Elle ne l'est sûrement pas si on est disposé à croire en l'Europe en tant que modèle à part entière pour l'avenir. Son impact sur notre vie quotidienne ne cesse par ailleurs de s'accroître. Et Bruxelles, de son côté, offre effectivement une situation de base unique pour se laisser développer par l'Europe: la ville est diverse et néanmoins à l'échelle humaine - pas du tout une mégalopole impersonnelle qui se soustrait à toute approche d'ensemble -, peut se féliciter d'une histoire européenne incontestable et toujours reconnaissable, est exceptionnellement interculturelle et bouillonne en permanence d'une activité débordante dans plusieurs domaines, et notamment sur le plan culturel. Peu d'autres villes européennes offrent de tels points de départ.
Le projet européen aspire à un modèle de vie communautaire associant des communautés différentes. Bruxelles non seulement possède tous les ingrédients lui permettant de servir de terrain d'essai pour cette idée chargée d'espoir mais en constitue également une première réalisation concrète et palpable. Aussi l'absence d'initiatives émanant des milieux politiques bruxellois et s'adressant à l'Europe en vue de toutes sortes de formes de coopération plus étroite me semble-t-elle de plus en plus incompréhensible. Par ailleurs, l'Europe même a tout intérêt à améliorer l'image de Bruxelles. Celle-ci déteindra sur elle et contribuera à corriger sa propre image négative.
Pourquoi tous les niveaux politiques ne lancent-ils pas l'idée d'une concertation commune avec l'Europe, avec Bruxelles comme enjeu? C'est dans ces conditions-là seulement que sa culture, et surtout la culture néerlandaise, verra son avenir assuré.
HUGO DE GREEF
Directeur du ‘Kaaitheater’.
Adresse: quai des Péniches 2, B-1000 Bruxelles.
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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