Littérature
L'oeuvre de Harry Mulisch couronnée
Le 23 novembre 1995, le prix triennal des Lettres néerlandaises a été attribué à l'auteur néerlandais Harry Mulisch (o1927). N'avait-il donc pas déjà reçu cette récompense, pensai - je aussitôt, pensée qui n'enlevait rien à l'estime que je porte à cette distinction honorifique, à ce prix (décerné par l'Union linguistique néerlandaise) qui couronna en effet l'oeuvre de nombre de grands auteurs néerlandais tels que Simon Vestdijk (1898-1971), A. Roland Holst (1888-1976), Gerard Walschap (1898-1989) et Willem Frederik Hermans (1921-1995). Mon erreur découle en effet de la place incontestable et unanimement reconnue que Harry Mulisch, auteur néerlandais le plus couronné, occupe depuis toujours dans la littérature néerlandaise. Ne parlait-on pas naguère encore du triumvirat de la littérature néerlandaise de l'après-guerre, à savoir ‘les Trois Grands’, une association que seule la disparition de W.F. Hermans, contemporain de H. Mulisch, dissocia? Aussi de nos jours le firmament littéraire est-il régi par les Deux Grands, Gerard Reve (o1923) et Harry Mulisch.
L'oeuvre de Harry Mulisch est très variée: elle compte des romans, des poèmes, des nouvelles, des textes écrits pour le théâtre, des histoires contemporaines, des études et des essais. Et pourtant, le lecteur de Mulisch percevra aussitôt l'unité, la cohérence de son oeuvre. Car si dans l'oeuvre de Mulisch chaque détail a son importance et se révèle déterminant pour l'ensemble de l'histoire, si tout est en rapport avec tout, elle présente toutefois deux grandes constantes: la seconde guerre mondiale et la personne même de Harry Mulisch. Sa vie et son oeuvre sont indissociables, car pour lui l'existence est une source d'intelligence, de compréhension qui dès son premier roman, Archibald Strohalm (1952), alimentera l'ensemble de son oeuvre. Mulisch définit son oeuvre comme un corps nouveau dont il est lui-même le créateur, un organisme vivant qui devra lui survivre, né d'un désir personnel et humain d'éternité et d'immortalité. Ces idées ésotériques sur le métier d'auteur se focalisent sur l'acte d'écrire, car pour lui un écrivain n'existe qu'à travers son écriture.
La seconde guerre mondiale, autre constante de son oeuvre, a très fortement influencé la pensée de Mulisch. Son père était un officier austro-hongrois de la première guerre mondiale; sa mère était une juive d'origine belge. Et pendant la seconde guerre mondiale, le père de Mulisch collabora avec l'occupant aux Pays-Bas, notamment pour protéger sa famille. Des circonstances douloureuses de son enfance qui expliquent qu'il ait pu déclarer ‘je suis la seconde guerre mondiale’. Mulisch considère en effet l'histoire de son époque comme une prolongation de son existence. C'est pourquoi ses romans se lisent comme des documents historiques. Il choisit généralement des moments utopiques de ‘son’ histoire, dont la seconde guerre mondiale constitue jusqu'à la fin des temps un abominable point géodésique, inspiré par la conviction qu'‘Auschwitz’ ne doit plus jamais exister. Dans De aanslag (L'attentat, 1982), son plus grand succès littéraire, Mulisch associe ainsi le temps de guerre à deux autres moments qu'il juge utopiques, à savoir la révolution hongroise de 1956 et la grande manifestation pacifiste d'Amsterdam en 1981.
Mais son oeuvre n'est pas uniquement le reflet de son époque: il y a plusieurs façons de lire ou d'étudier un roman de Mulisch. Ainsi, De aanslag, roman métaphysique construit comme une tragédie classique, se lit aussi comme un roman de guerre passionnant, comme un roman psychologique pénétrant ou encore comme un