avec le décès prématuré du roi Baudouin (1930-1993). Celui-ci fut le cinquième mais également dernier roi de la Belgique aux neuf provinces. Son successeur et frère le roi Albert II est le sixième chef de l'État mais le premier souverain d'une Belgique fédérale qui déclare se composer de communautés et de régions. Et tout cela est dit non seulement en français, mais dans les trois langues nationales: le néerlandais, le français et l'allemand.
La Constitution restaurée - on ne peut pas vraiment parler d'une Constitution réellement nouvelle - est plus qu'un simple enjolivement. Elle annonce dès l'article 1er que la Belgique d'aujourd'hui est différente de celle de 1830. Le contrat de mariage belge, consigné à l'époque dans une Constitution, était un véritable texte modèle tant pour ce qui est de la forme que du contenu. Un fil rouge remarquable reliait entre elles toutes les libertés individuelles. Il s'agissait d'une Constitution s'inspirant des idées les plus progressistes concernant ce que pouvait et devait être un État moderne dans l'Europe de l'époque. Nombre d'autres pays se sont par la suite inspirés de cette Constitution belge, qui, mises à part quelques adaptations relatives à l'extension du droit de vote, fut par ailleurs conservée pour ainsi dire intacte pendant près d'un siècle et demi.
C'est au début des années 70 que commença l'opération ‘réforme de l'État belge’ et qu'intervinrent les révisions de la Constitution qu'elle nécessita. Le modèle de l'État belge de 1830 était devenu intenable. Les Flamands, les Wallons, les Bruxellois, les francophones et les néerlandophones, tous voulaient rester des Belges, mais autrement qu'ils ne l'avaient été pendant près d'un siècle et demi. Ainsi s'engagea formellement une quête laborieuse et toujours pas complètement achevée d'un autre modèle de société belge, et donc d'une autre Constitution.
Tout cela débuta calmement: l'instauration de l'autonomie culturelle des Flamands et des francophones et la division du pays en trois régions devaient être inscrites dans la Constitution. Une deuxième opération eut lieu dix ans après seulement. Une troisième réforme de l'État se déroula en 1988, et la quatrième au début des années 90. La communautarisation a remplacé l'autonomie culturelle. Les régions et les communautés ont été dotées d'un Parlement propre. Le Parlement national sera considérablement réaménagé après les élections législatives suivantes. Les germanophones se voient attribuer une place constitutionnelle. Et même la monarchie voit son statut quelque peu adapté: dorénavant, les femmes aussi peuvent prendre place sur le trône belge. Bref: nous sommes confrontés à une Belgique nettement différente, qui devait forcément se refléter dans une nouvelle Constitution.
Ces quatre réformes de l'État réalisées en moins d'un quart de siècle avaient apporté tant de retouches au monument impressionnant que fut la Constitution belge de 1830 - de nombreux articles furent supprimés, d'autres ajoutés et complétés - que seule une poignée de spécialistes s'y retrouvaient encore vraiment. Le gouvernement a chargé des juristes de réaménager la Constitution de 1830, de la réécrire en un langage plus moderne là où c'était nécessaire, de l'adapter formellement à la Belgique de 1994, qui continue à se dire un État fédéral. Les libertés sont maintenues, mais les Belges d'aujourd'hui vivent dans un pays différent, du moins selon les termes de leur Constitution. Seul l'avenir démontrera, le cas échéant, si cette nouvelle Constitution est plus qu'une expérience de chirurgie plastique ou, en d'autres termes, si la Belgique deviendra aussi concrètement, dans les faits et non seulement dans les textes légaux, cet État fédéral où les entités fédérées, les communautés et les régions, trouveront la juste place qui leur revient de droit, comme l'annonçait à l'époque le père spirituel de la première réforme de l'État, le premier ministre