Septentrion. Jaargang 23
(1994)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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L'enseignement du néerlandais
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syntaxique et morphologique, que dans le domaine lexicologique, recèlent de nombreux régionalismes flamands. Il existe en plus des revues scolaires, telles que Blikopener et Reflector, où le niveau de langue n'est pas non plus exemplaire. En dernière année d'humanités on lit souvent des articles extraits de la presse flamande, truffés de purismes et de gallicismes. En ce qui concerne les régionalismes syntaxiques, je me contenterai ici de donner deux exemples:
Dans le domaine des régionalismes morphologiques (généralement des gallicismes), je citerai: ‘onder de leiding van’ (au lieu de: onder leiding van). ‘Heb je nog melk?’ ‘Ja, ik heb er nog.’ (au lieu de: Ja, ik heb nog). ‘Geen enkele militaire macht, ook niet deze van de Sovjet-Unie’ (au lieu de: die). Mais c'est évidemment dans le domaine du vocabulaire qu'on trouve le plus de régionalismes flamands dans les manuels scolaires. Des plus de 200 cas relevés par deux de mes collaborateurs, Hiligsmann et GehlenGa naar eind(2), je n'en citerai que quelques-uns à titre d'exemple: een menu aan 400 fr. (à), deze middag (vanmiddag), de les is gedaan (uit), gekend (là où on attend bekend), parking (parkeerplaats, parkeergarage), publiciteit (dans le sens de reclame), zich aan iets verwachten (iets verwachten), zetel (fauteuil, stoel), van zodra (zodra). Comme dans les universités (à l'exception de l'Université de Liège)Ga naar eind(3) on n'attire pas assez l'attention des futurs enseignants sur les régionalismes flamands, les professeurs de l'enseignement secondaire ne se rendent généralement pas compte du problème. Bien sûr, ils savent que le néerlandais de Flandre n'est pas celui des Pays-Bas, mais ils pensent qu'il s'agit surtout de différences de prononciation. Lorsqu'on confronte les enseignants avec cette réalité, ils sont d'abord fort étonnés, puis ils essayent de se justifier. ‘D'abord, disent-ils, nos élèves auront plus de contacts avec la Flandre qu'avec les Pays-Bas et il importe donc qu'ils apprennent les régionalismes flamands. Pourquoi dès lors vouloir leur enseigner le terme néerlandais fauteuil, plutôt que le régionalisme flamand zetel? Nous préférons d'ailleurs lire avec nos élèves des articles extraits de la presse flamande, car ils parlent de la réalité belge. De plus, nous ne comprenons pas toujours les allusions à des situations typiquement hollandaises, telles qu'on les rencontre dans la presse des Pays-Bas. Mais ce qui nous gêne le plus dans le néerlandais des Pays-Bas, c'est le grand nombre d'emprunts à l'anglais, au français et même à l'allemand. Nous ne voulons pas que nos élèves pensent que le néerlandais ne dispose pas de mots à lui. Voilà une raison de plus de préférer zetel à fauteuil.’ Je trouve que cette réaction puriste ne rend pas justice à la réalité de la langue. En effet, ce ne sont pas les professeurs, ou les grammaires, ou les dictionnaires qui font la langue. La | |||||||||||||||||||
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Les auteurs de manuels de néerlandais doivent éviter un langage artificiel ou trop littéraire.
langue se développe elle-même et les grammairiens ou les lexicographes ne font que constater, après coup, l'évolution de la langue. Bien sûr, le néerlandais, comme toutes les langues, subit l'influence des langues qui l'entourent et il n'est donc pas étonnant que des centaines de mots anglais et français et même quelques dizaines de mots allemands y aient acquis droit de cité. Or un mot d'origine étrangère largement utilisé n'est, par le fait même, plus un mot étranger et fait dès lors partie du vocabulaire néerlandaisGa naar eind(4). Il n'y a donc aucune raison de croire que zetel ou duimspijker seraient ‘plus néerlandais’ que fauteuil ou punaise. D'ailleurs l'importance de cette influence étrangère est largement exagérée: un petit calcul que j'ai fait à propos du journal hollandais De Telegraaf, quotidien qui contient le plus de mots anglais de toute la presse des Pays-Bas, a révélé que les mots anglais ne constituent que 0,4% du total du vocabulaire employé dans ce journal. De plus, on aurait tort de croire que le néerlandais de Flandre échappe à l'influence étrangère mais ici il s'agit surtout de l'influence française, qui se fait sentir à travers les nombreux gallicismes. La relation complexe, sinon complexée, que la Flandre entretient avec le français, se manifeste de deux façons bizarrement contradictoires: d'une part la peur, qui s'explique historiquement par la longue domination du français en Flandre, d'employer des mots français mais qui sont devenus maintenant des mots néerlandais, tels que fauteuil et punaise, et que l'on emploie aux Pays-Bas tout naturellement et sans complexe, et d'autre part l'influence de ce même français à travers les gallicismes ou autres traductions littérales du français, jusque dans les documents les plus officiels de la communauté flamande. Alors quel néerlandais enseigner, celui de 5 millions de Flamands ou celui de 15 millions de Hollandais? Poser la question, c'est y répondre! Et il est faux de croire que le néerlandais des Pays-Bas ne serait pas compris en Flandre. De plus, il se pourrait très bien que si la | |||||||||||||||||||
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Belgique se fédéralise à un point tel qu'on puisse parler d'un État wallon et d'un État flamand, la Wallonie ait plus de contacts de toute nature avec les Pays-Bas qu'avec la Flandre. L'idéal serait évidemment d'apprendre le néerlandais unique parlé par 20 millions de Flamands et de Hollandais, une langue qui dans le nouveau cadre européen aurait une position d'autant plus forte vis-à-vis de langues dominantes, telles que l'anglais, l'allemand et le français. Tout indique d'ailleurs que l'évolution va dans ce sens: grâce à l'influence des mass media, surtout de la radio et de la télévision, le néerlandais de Flandre se rapproche de plus en plus de celui des Pays-Bas et je ne pense pas que le mouvement, minoritaire en Flandre, pour une langue flamande autonome, puisse changer quoi que ce soit à cette évolution. Bien sûr, il y aura toujours des différences de prononciation car il y en a aussi entre le néerlandais du sud des Pays-Bas et celui du nord. Mais les différences de vocabulaire, qu'on estime actuellement à environ 5%, vont diminuant. S'il est vrai qu'un certain nombre de termes (surtout sportifs) flamands ont acquis droit de cité aux Pays-Bas, il va de soi que c'est la majorité qui fait la loi et que c'est le néerlandais de Flandre qui se rapproche du néerlandais des Pays-Bas et non l'inverse. Ce qui est plus grave que les régionalismes flamands dans nos manuels scolaires, c'est la langue artificielle, archaïque ou à caractère littéraire qu'on y rencontre encore trop souvent. On sent bien que les extraits de la presse néerlandophone sur lesquels sont basés certains textes ont été retravaillés, sinon épurés. Pourquoi ne trouve-t-on jamais dans les manuels scolaires des mots tels que free-lance, all-in; fait-divers, faux-pas; sowieso et überhaupt qui font partie intégrante du néerlandais moderne? Mais outre celle de savoir si le néerlandais enseigné est le néerlandais réellement existant, se pose une autre question: quels sont les résultats de cet enseignement? Les élèves francophones qui ont suivi 4 ans ou même 6 ans de néerlandais, première ou deuxième langue étrangère, sont-ils capables de lire un journal flamand ou néerlandais, de suivre un débat à la télévision, de s'exprimer en néerlandais, de soutenir une conversation avec des néerlandophones? Je ne puis fournir qu'une réponse partielle à cette question et ce, en me basant sur mon expérience d'enseignement du néerlandais au département de philologie néerlandaise de l'Université de Liège. Je tiendrai uniquement compte ici des 90% de mes étudiants qui sont francophones, les autres étant soit germanophones, soit néerlandophones. Environ 60% des francophones ont appris le néerlandais comme première langue étrangère, c'est-à-dire qu'ils ont suivi ce cours pendant six ans, à raison de quatre heures par semaine en moyenne. Les autres 40% ont eu le néerlandais comme deuxième langue étrangère, c'est-à-dire pendant quatre ans, à raison de trois ou quatre heures par semaine. Puisque ces étudiants ont choisi de faire la philologie germanique à l'université, on peut supposer qu'en néerlandais, ils étaient parmi les meilleurs élèves de l'enseignement secondaire. Je ne dis donc pas que c'étaient nécessairement les meilleurs car les lauréats du concours de rédaction que nous avons organisé pendant plusieurs années et auquel prenaient part les meilleurs élèves du cours de néerlandais des classes terminales de la région liégeoise, étaient, à côté de futurs germanistes, souvent aussi de futurs licenciés en droit, de futurs médecins ou de futurs | |||||||||||||||||||
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ingénieurs. Disons donc simplement que ces étudiants de première candidature en philologie germanique ne sont certainement pas dans le secondaire les plus mauvais élèves en néerlandais. Globalement il apparaît que pour la plupart d'entre eux la réponse à la question posée plus haut est négative. D'ailleurs, dans le domaine de la prononciation, de la morphologie et de la syntaxe, les lacunes sont telles, que plus de la moitié des étudiants ne parvient pas à rattraper le retard et doit redoublerGa naar eind(5). Voyons les fautes de prononciation:
En ce qui concerne la morphologie, je ne donnerai que quelques exemples de fautes très courantes:
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Quelques grammaires du néerlandais pour francophones.
Dans le domaine de la syntaxe on trouve surtout des fautes contre la prétendue règle d'inversionGa naar eind(6): Hier il est venu avec son frère. / *Gisteren hij is - > Gisteren is hij... ou Hij is gisteren... Une autre source d'erreur est la place de la négation. Quant au lexique, non seulement la plupart des étudiants ne connaissent pas - du moins activement - le vocabulaire de base mais on constate également qu'ils ne savent pas consulter un dictionnaire traductif: très souvent ils prennent la première traduction que donne le dictionnaire, sans vérifier, par exemple à l'aide d'un dictionnaire explicatif, si cette traduction convient dans le contexte donné. On peut dès lors se poser la question suivante: si des étudiants, qui étaient parmi les meilleurs élèves de néerlandais dans le secondaire, font encore autant de fautes contre des règles grammaticales de base, quel doit être le niveau des autres élèves? J'en rencontre parfois certains aux différents niveaux de cours du soir organisés par l'université et donnés par quelques-uns de mes collaborateurs. Et je dois dire que les résultats de 4, voire 6 années de | |||||||||||||||||||
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néerlandais ne sont guère brillants. Comment expliquer cela? Ce fiasco est-il dû aux professeurs, aux élèves ou au système? Des professeurs, il y en a, comme dans tous les métiers, de bons et de mauvais, de capables et d'incapables (ce qui est la faute des institutions qui les ont diplômés), il y en a qui sont motivés et d'autres qui pour toutes sortes de raisons (stress, rémunération insuffisante, manque de considération, problèmes de discipline et j'en passe) le sont de moins en moins. Des élèves, il y en a aussi de bons et de mauvais mais dans la motivation il y a toujours une certaine réticence à apprendre le néerlandais, alors que vis-à-vis de l'anglais, il n'y a pas cette barrière psychologique. Si, comme je l'ai dit plus haut, on constate un plus grand intérêt pour le néerlandais, il s'agit surtout d'une prise de conscience des parents, qui pensent à l'avenir de leurs enfants et qui dans beaucoup de cas les inscrivent d'office au cours de néerlandais. Le vrai coupable me semble être le système et plus particulièrement les conditions de travail. Ce qui décourage nombre de professeurs, c'est de devoir faire cours à des classes trop nombreuses: comment veut-on, en quelques heures par semaine, apprendre une langue étrangère à une classe de 25 élèves? Comment rester motivé, lorsqu'en deuxième ou troisième année de néerlandais on doit reprendre la classe d'un collègue qui, soit est incompétent, soit a laissé tomber les bras depuis longtemps? Comment ne pas se décourager, lorsqu'on sait que le travail qu'on va faire va être ‘détricoté’ par ce genre de collègue qui aura les élèves l'année après? S'ajoutent à cela les problèmes que le professeur exigeant aura tôt ou tard avec la direction de son établissement, direction qui ne veut pas ‘trop’ d'échecs car cela pourrait amener les parents à opter pour une école plus facile. Il faut ici se poser la question fondamentale du but que l'on poursuit. Il y a deux options possibles: ou bien on estime que la communication, même rudimentaire, prime sur la correction de la langue, ce qui implique qu'on enseigne surtout du vocabulaire et qu'on néglige la prononciation, ou bien on met dès le départ l'accent sur une prononciation des sons caractéristiques, une accentuation et une intonation la plus correcte possible, ce qui aura comme conséquence qu'en un premier temps les élèves apprendront moins de vocabulaire. Or la méthode dite communicative n'a à l'évidence pas eu les résultats qu'on en escomptait. Depuis plus de vingt ans on a voulu privilégier la communication au détriment de la correction de la langue et on n'a réalisé ni l'une, ni l'autre. Pourtant, il me semble qu'on pourrait remédier à cette situation, si dès la première année de néerlandais on mettait davantage l'accent sur une prononciation correcte. Si on ne corrige pas les fautes typiques dès le début de l'apprentissage, il sera très difficile, sinon impossible, de s'en défaire plus tard. Personne n'entend ses propres fautes de prononciation et il n'est donc pas possible de les corriger tout seul, même en écoutant des cassettes ou en travaillant dans un laboratoire de langue. Le temps qu'on ‘perd’ à ce premier stade en mettant plus l'accent sur la correction de la langue, on le regagne largement dans les phases ultérieures de l'apprentissage. De plus, une fois que la base est bien établie, on peut aisément élargir le vocabulaire par soi-même. Toute la vie on ne fait rien d'autre. Il serait d'ailleurs faux de croire qu'on peut viser la communication au détriment de la correction de la | |||||||||||||||||||
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langue, l'expérience de ces vingt dernières années l'a prouvé. Comment pourrait-on en effet comprendre le locuteur étranger et s'en faire comprendre, si on prononce mal et si on n'identifie pas la segmentation du flux des sons étrangers? Quelles autres propositions pourrait-on faire? Dans la situation financière actuelle de la communauté française, il serait utopique d'espérer plus d'heures de cours de langues, ou moins d'élèves par classe. Ce qui devrait cependant être possible, c'est moins de fragmentation horizontale et plus de segmentation verticale: le professeur devrait pouvoir suivre ses élèves d'année en année et être ainsi responsable de sa formation dans telle ou telle langue. Tous les trois ou cinq ans il devrait participer à un recyclage scientifique et pédagogique. On devrait aussi généraliser les quelques timides expériences d'échange avec des écoles hollandaises. Les universités, quant à elles, et en tout cas l'Université de Liège, ont depuis une dizaine d'années maintenant, changé de cap: l'accent est mis, beaucoup plus que par le passé, sur la langue moderne, vivante, changeante et sur un vocabulaire moins littéraire et plus ouvert à l'économie, à la culture et aux institutions de la Flandre et des Pays-Bas et à tous les impératifs de communication de notre monde moderne. S. THEISSEN Professeur de linguistique néerlandaise à l'Université de Liège. Adresse: Place Cockerill 3, B-4000 Liège. |
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