cache-cache avec son jeune ami dans un labyrinthe. Certes cette scène est traitée en longs travellings stylisés, mais peut-être entend-on un peu trop le ramage des oiseaux hors champ.
Digna Sinke a porté son film à l'écran comme s'il s'agissait d'un kammerspiel, sans mouvements de foule, ni décors de ville fascinants, ni paysages grandioses. La réalisatrice serre de près les protagonistes et privilégie leurs conversations intimes.
Dans la villa de Charrière, en Suisse, ‘Belle’ vit dans l'attente des rencontres avec Benjamin Constant qui donnent lieu à d'intenses échanges d'idées sur la vie, les hommes et la politique.
La Révolution française se déchaîne mais ces événements ainsi que d'autres remous dans le monde ne sont vécus qu'indirectement. Les citations tirées de leur correspondance sont accompagnées d'images de paysage qui défilent devant nos yeux. Ces paysages ne sont, hélas, pas ceux de la campagne française ou suisse, mais, raison budgétaire oblige, ceux de la Haute Veluwe aux Pays-Bas.
L'approche de Digna Sinke est sinon minutieuse du moins pleine de tendresse dans les détails. C'est ainsi que le train-train accablant du foyer est mis en évidence grâce à la répétition de certaines scènes dans lesquelles l'écrivain, avec ses belles-soeurs, épluche des poires du verger, les cuit et les met en conserve pour l'hiver. Les relations entre les belles-soeurs sont subtilement démasquées au détour d'un regard et d'une bribe de dialogue, empreints d'incompréhension et de désapprobation. Seule la servante d'Isabelle de Charrière, l'indépendante Henriette, se montre réceptive à la sagesse de sa maîtresse, qui refuse de la renvoyer lorsqu'elle se trouve enceinte. Un exemple, parmi d'autres, de l'esprit d'indépendance manifesté par Belle, qui déconcerta plus d'un contemporain.
Plusieurs citations reflètent l'état d'esprit d'Isabelle de Charrière ainsi que son scepticisme grandissant tant à l'égard de la politique mondiale que de la fidélité de Constant: ‘Je préfère lire des vérités qui blessent plutôt que des mensonges qui font plaisir’; ‘Plus je réfléchis, plus je doute’; ou: ‘La vérité n'existe pas, rien n'est sûr’. On peut toutefois se demander si vraiment, comme nous le montre le film, Isabelle de Charrière ne pouvait surmonter son émoi devant les caprices de Constant, ce qui tranche si nettement avec la maîtrise stylisée de ses lettres. Il faut sans doute voir ici une concession aux lois de l'art cinématographique. La seule nuit d'amour passionnée du film ne sera selon toute vraisemblance que la conséquence d'une licence poétique, car si l'on se réfère aux écrits, les relations entre Isabelle de Charrière et Constant sont restées platoniques.
Lorsqu'enfin Constant se montre sous son vrai jour, opportuniste endurci, c'est par le biais de Madame de Staël (Carla Hardy), présentée ici comme une hystérique un peu exaltée. Mais ce ne sont que des détails dans un film, au demeurant habilement construit, qui maintient un rythme soutenu, constitue un régal pour les yeux, est servi par une interprétation admirable. La seule réserve que l'on peut faire, c'est que le spectateur qui ignorait tout d'Isabelle de Charrière n'en sait pas beaucoup plus long sur elle en sortant de la projection.
Gerdin Linthorst
(Tr. J. Deleye)