marqué jusqu'à ses oeuvres les plus récentes, où autobiographie, mémoires et roman se fondent sans la moindre anicroche.
L'amalgame de composantes telles que la critique, l'essai et le récit s'annonce dans l'oeuvre de De Wispelaere à partir du ‘roman-journal’ Paul-tegenpaul (Paul-contre Paul, 1970), ‘journal d'écrivain’ où le dualisme fondamental du critique et du romancier s'opère pour la première fois de manière logique dans la forme ‘ouverte’, fragmentaire. Dans son ouvrage le plus récent, Het verkoolde alfabet. Dagboek 1990-1991 (L'alphabet carbonisé. Journal 1990-1991, 1992), s'accomplissent complètement l'‘effacement des limites’ entre les différents genres et leur mélange absolu.
Ce journal poursuit à la fois l'oeuvre créatrice et l'oeuvre critique de De Wispelaere: le moi écrivant décrit ici également sa ‘position intermédiaire’ ambivalente, littéralement ‘entre le jardin et le monde’ (titre du premier tome de sa trilogie romanesque, paru en 1979), et évoque son besoin d'effectuer un retour sur lui-même (avec ses lectures, ses souvenirs) pour se libérer du monde et s'isoler dans un jardin paradisiaque. Ce jardin symbolise, chez De Wispelaere, une sorte de monde mythique où peut être vécue librement, ensemble avec la femme, l'expérience de l'érotisme et qui suggère aussi l'existence d'un ordre supérieur. Pureté, union et intemporalité y ont encore leur place. Le journal de De Wispelaere constitue dès lors avant tout une analyse de soi, un journal intime dans lequel l'auteur, en écrivant, s'efforce de conférer une forme à sa vie.
Les événements, au sens strict du terme, qui figurent dans le journal, l'observation de ce qui se passe quotidiennement dans l'entourage et la vie de l'écrivain, n'occupent qu'une place relativement restreinte dans Het verkoolde alfabet. L'observation directe, dans laquelle, comme toujours chez De Wispelaere, la nature (présence et croissance de plantes et d'animaux) se voit attribuer un rôle considérable, y est reliée par voie associative à des souvenirs de son passé proche ou lointain mais également déterminée par nombre d'expériences de lecture, de considérations critiques sur des oeuvres d'autrui et sa propre oeuvre. Le document égotiste qui s'élargit de la sorte, toutefois, demeure toujours un moyen qui permet de préserver l'intégrité du passé; il s'agit d'une forme d'‘archéologie littéraire’. Le journal a pour but de ‘restaurer dans des phrases soigneusement construites et maîtrisées des fragments d'un monde en voie de disparition’. Le recours au fragment, inhérent au genre du journal, n'est donc pas un handicap mais contribue précisément à atteindre cet objectif. Le caractère inachevé du fragment, ou ‘scintillement éphémère de débris’, renvoie en effet à une unité supérieure et exprime un désir de synthèse - idée que De Wispelaere a pu retrouver chez nombre de diaristes, et notamment chez Max Frisch, pour lequel il nourrit une admiration particulière. ‘De par leur caractère brisé et leur temporalité, ils (= les fragments) expriment de par leur puissance formelle même un désir de solidité et d'unité.’
L'écriture fragmentaire qui exprime un désir d'unité constitue un acte double sous un autre angle également: en écrivant se révèle aussi, en effet, comme l'avait déjà noté Gustave Flaubert avant lui, l'acte d'écrire même. Écrire est un travail double, ‘ambivalent’: c'est un moyen qui permet de se distancier, de se regarder soi-même en jetant un regard en arrière. Cette ambivalence se manifeste dès les premières pages de Het verkoolde alfabet dans le