En dépit de ces différences somme toute assez mineures, l'afrikaans est perçu, tant aux Pays-Bas qu'en Flandre, comme une langue étrangère. L'éloignement dans l'espace y est sans doute pour quelque chose, mais probablement aussi les antagonismes politiques et idéologiques tels qu'ils se sont manifestés à l'époque de l'apartheid. Ce n'est pas un hasard si, en France, on a découvert les grands écrivains afrikaners Breytenbach (o1939) et Brink (o1935) au même moment, voire plus tôt qu'aux Pays-Bas. Maintenant que l'ère de l'apartheid semble révolue - du moins sur le papier - les choses se mettent, lentement, à bouger. Ces dernières années, des ouvrages d'auteurs afrikaners traduits en néerlandais se trouvent plus facilement et en plus grand nombre sur le marché. On pourrait mentionner ici, à titre d'exemples, les romans de Wilma Stockenström (o1933) et les nouvelles de Koos Prinsloo (o1957).
Il va de soi que Breytenbach et Brink ne sont pas des sommets isolés dans un pays par ailleurs passablement plat. Il s'en faut de beaucoup! La littérature sud-africaine (nous entendons par là celle écrite en afrikaans) est passionnante à découvrir, ne fût-ce qu'en raison de l'engagement dont elle est porteuse. Il est clair que cet engagement implique beaucoup plus de risques et de conséquences dans un pays tel que l'Afrique du Sud que dans nos démocraties occidentales.
La littérature afrikaner est née au début du xxe siècle. Considéré comme le premier poème important écrit en afrikaans, Winternag (Nuit d'hiver) d'E.N. Marais (1871-1936) est publié en 1905. Dans la foulée des guerres anglo-boers trois autres poètes feront également parler d'eux: Celliers, Leipoldt et Totius.
Mais c'est surtout à la génération de ‘Dertig’ - regroupant les écrivains qui débutèrent dans les années 30 - que la littérature écrite dans la dernière-née des langues germaniques doit son rayonnement international. Le chef de file incontesté de ce mouvement est N.P. van Wyk Louw (1906-1970). Ce poète au souffle puissant n'a pas encore été traduit en français que je sache, bien que son attitude complexe, qu'il définit lui-même comme une ‘résistance loyale’ contre le nationalisme de ses concitoyens, vaille certainement la peine d'être étudiée. La poétesse Elisabeth Eybers (o1915) appartient, elle aussi, à cette génération. Lauréate du prix P.C. Hooft 1991, elle a été présentée par P.H. Dubois aux lecteurs de Septentrion (1991, XX, no 4, pp. 29-32). Dans son article, P.H. Dubois explique pourquoi une poétesse s'exprimant en afrikaans s'est vu décerner un prix littéraire néerlandais. Les deux poèmes qui, à la suite de l'article, sont reproduits en version bilingue (afrikaans - français) ne donnent qu'une idée très incomplète de la précision et de la force d'expression qui caractérisent la poésie d'Eybers. Quoi qu'il en soit, l'attribution du prix P.C. Hooft à Elisabeth Eybers démontre clairement que l'afrikaans ne s'est pas complètement éloigné du néerlandais. Outre Van Wyk Louw et Eybers, il faut signaler encore D.J. Opperman (1914-1985), représentant important, lui aussi, de la littérature afrikaner d'avant 1960.
Breytenbach et Brink, de leur côté, appartiennent à la génération des écrivains qui débutèrent peu avant 1960, ce qui leur valut la dénomination Sestigers (ceux des années 60). Ce groupe d'écrivains s'inspirait manifestement des courants littéraires européens, mais il faudrait examiner dans un autre article pourquoi ses représentants les plus illustres