Un pointilliste flamand: Theo van Rysselberghe
Une des toiles les plus connues du peintre gantois Theo van Rysselberghe (1862-1926) est
La lecture, datée de 1903/4. Autour d'une table, Félix le Dantec, Francis Viélé-Griffin, Félix Fénéon, Henri Edmond Cros, André Gide, Henri Ghéon et Maurice Maeterlinck écoutent le poète Émile Verhaeren déclamant ses poèmes. Ce tableau est significatif non seulement de son style pictural mais aussi du milieu qu'il fréquentait. Issu d'une famille bourgeoise mais ouverte de Gand, après une formation artistique à l'Académie des Beaux-Arts, il choisit de s'installer à Bruxelles où il s'intégra immédiatement aux milieux d'avantgarde. Mais, avant d'y prendre un rôle de premier ordre, il fit des voyages successifs en Espagne et en Afrique du Nord. Puis il fut membre fondateur du fameux groupe d'avant-garde ‘Les XX’ qui jouera par après un rôle important dans les contacts des artistes belges avec leurs confrères européens, notamment français. Van Rysselberghe avait établi un certain nombre de relations avec les milieux artistiques parisiens et de ce fait il devint en quelque sorte le trait d'union
Theo van Rysselberghe, ‘La lecture’, huile sur toile, 1903/4, 181 × 241, ‘Museum voor Schone Kunsten’, Gand.
entre les deux capitales. A la fin des années 1880 il fit connaissance avec le pointillisme tel qu'il fut inventé et pratiqué par Georges Seurat. Cette technique s'inspirait des nouvelles découvertes scientifiques et consistait à disposer des points de couleur, l'un à côté de l'autre pour arriver à une illusion optique. D'où le nom de ‘pointillisme’ ou de ‘divisionnisme’. Cette invention choqua le public mais bouleversa le milieu artistique. Un certain nombre de peintres n'hésitèrent pas à reprendre cette formule et Van Rysselberghe y voyait une issue pour son travail resté jusque-là passablement traditionnel en dépit d'un brin d'impressionnisme. Tout comme Seurat, il ambitionnait une synthèse de l'art classique avec les conceptions modernes sur la lumière et la couleur.
Après la mort de son ami Seurat il s'efforça avec Signac de propager ce nouveau style et fit entrer le néo-impressionnisme dans les grandes expositions internationales qu'organisait le groupe des XX à Bruxelles. Ce genre de divisionnisme n'était pas pour lui une copie exacte de ce que faisait Seurat. Il le pratiquait en tant que démarche personnelle et son apport le plus important était qu'il fut le seul à l'adopter pour le portrait. Quoique dans cette période de sa vie il embrassât l'avant-gardisme, ses portraits des représentants de la moyenne et haute bourgeoisie ne choquaient guère parce qu'il restait en somme un peintre classique quant à la disposition et à la composition. Néanmoins ces tableaux de grand format sont d'une éclatante fraîcheur contemporaine et d'une luminosité sans pareil. On constate aussi le caractère très réservé qui lui était comme une deuxième nature. Dans aucun tableau, il se manifeste d'engagement social et, hormis dans l'oeuvre graphique Les vagabonds, il ne s'est jamais inspiré d'une classe sociale autre que la sienne. Il était avant-gardiste dans le contexte artistique et aimait l'art pour l'art. Van Rysselberghe s'intéressait aussi aux arts graphiques, ce qui est moins connu. Il a illustré pas mal de livres d'auteurs contemporains, s'est intéressé à la reliure artistique et a réalisé un certain nombre d'affiches, entre autres pour la Compagnie internationale des Wagonslits.
Après une dizaine d'années de pratique assidue du pointillisme, son geste pictural devint plus libre et son coloris tendit vers le fauvisme.
L'avant-gardiste d'antan s'était installé dans un confort sans risques. Van Rysselberghe mourut en 1926 à Saint-Clair (France) où il s'était installé depuis longtemps.
Ludo Bekkers
r. hoozee et h. lauwaert (réd.), Theo van Rysselberghe. Néo-impressionniste, Pandora, Anvers, 1993.