Septentrion. Jaargang 22
(1993)– [tijdschrift] SeptentrionCinéma‘Oeroeg’, une amitié impossible sur grand écranL'écrivain néerlandais Hella S. Haasse est née le 2 février 1918 à Batavia, ancienne capitale des Indes orientales hollandaises. Ses romans historiques, et souvent biographiques, lui ont valu une réputation flatteuse (Entre autres En la forêt de longue attente!). Une de ses dernières oeuvres Heren van de Thee (Messieurs du thé) figurait même parmi les cinq nominés au prix AKO de littérature 1993. Ce roman, comme plusieurs autres de ses livres, se déroule dans les anciennes Indes orientales hollandaises, où elle passa sa jeunesse. Un paradis perdu toujours évoqué avec la même mélancolie par les nombreux Néerlandais qui y vécurent. Mais contrairement à la plupart d'entre eux, Haasse ne se laisse jamais aller à une nostalgie ‘tempoe doeloe’ (bon vieux temps) assez vaine, mais essaie tout au contraire de décrire | |
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Martin Schwab dans le rôle d'Oeroeg (à gauche) et Rik Launspach dans le rôle de Johan (à droite).
le charme de ce pays et de sa population et surtout l'impuissance des Néerlandais à en comprendre les aspirations profondes. L'action de Heren van de Thee se déroule vers la fin du siècle passé, dans le milieu des planteurs coloniaux néerlandais qui, comme le fait remarquer Haasse, ne doivent pas seulement être condamnés pour leur cupidité et leurs abus, mais dont il faut également reconnaître les mérites. Un point de vue nuancé qui caractérise l'oeuvre de l'auteur et qui lui valut de vives critiques dès le début de sa carrière, début de carrière qui coïncidait avec l'indépendance de l'Indonésie. Hella Haasse était alors un jeune auteur débutant, tiré de l'anonymat par une de ses nouvelles Oeroeg (Le lac noir) qui racontait l'impossible amitié entre Johan, un fils de planteur, et Oeroeg, un jeune indigène(1). La nouvelle fut éditée en 1948, trois ans après la création de la République d'Indonésie par Sukarno, un des fondateurs du parti nationaliste indonésien et un an avant que les Pays-Bas n'en abandonnent effectivement la souveraineté. Et pendant cette période transitoire, deux soi-disant ‘interventions policières’ néerlandaises n'avaient fait qu'envenimer la situation. Les deux parties en restaient profondément marquées, et la tentative de Haasse d'expliquer le point de vue de chacune d'elles ne fut pas unanimement appréciée. Quarante ans après les faits, la ‘question indonésienne’ soulève toujours les passions et le projet de porter Oeroeg à l'écran fut accueilli avec méfiance si ce n'est avec hostilité. A plusieurs reprises déjà des révélations sur les atrocités commises par l'armée néerlandaise au cours de ses interventions policières avaient plongé le pays dans une consternation profonde. Et lorsque Peter Faber, qui interprète le rôle du sergent Van Bergen Henegouwen dans le film, déclara qu'il pouvait arriver que même des soldats néerlandais se comportent comme des animaux, il provoqua l'opposition de toute la frange conservatrice néerlandaise au tournage d'Oeroeg. Elle aurait d'ailleurs pu s'épargner cette peine. Hans Hylkema, le réalisateur du film, se montre encore plus prudent que Hella Haasse dans l'évaluation des mérites et torts réciproques des deux parties. Les Indonésiens comme les Néerlandais peuvent dormir tranquilles, personne ne trouvera quoi que ce soit à redire à la version filmée d'Oeroeg. Mais cette approche diplomatique des faits peut-elle vraiment être considérée comme la qualité majeure du film, ça c'est une autre question! La version filmée d'Oeroeg commence là où la nouvelle s'arrête. Haasse décrit en effet l'amitié qui unit Johan à Oeroeg, le fils du surveillant des plantations de son père. Ils grandissent ensemble, sont de véritables amis et l'évolution de l'histoire fait que leur amitié devient impossible. Cette histoire, Hans Hylkema la restitue sous forme de flash backs successifs intervenant dans le récit du soldat Johan (Rik Launspach) qui quitte les Pays-Bas pour son pays natal où il participe aux interventions policières. Son ancien ami Oeroeg (Martin Schwab) est devenu un nationaliste fanatique et un autonomiste acharné. Pendant tout le film Johan essaie de le retrouver, aidé dans ses recherches par Lydia (Josée Ruiter), son ancienne nurse dont l'attitude est assez ambiguë (et le jeu assez flou d'ailleurs). Le principal problème du film, c'est l'approche assez univoque du traumatisme néerlando-indonésien résumé par Johan en cette simple phrase: ‘Moi aussi, j'ai droit à une place dans ce pays’. Les flash backs évoquent des rapports d'oppresseurs à opprimés. A l'école, on apprend aux enfants des autochtones par où le Rhin pénètre aux Pays-Bas et ils connaissent le Wilhelmus par coeur. Lorsqu'Oeroeg rapporte de superbes bulletins à la maison, quelqu'un fait remarquer qu'il fera un excellent comptable pour les plantations de Johan, dont les résultats scolaires sont nettement moins brillants. Et en différentes occasions, le père de Johan (Jeroen Krabbé) traite son personnel indigène avec indifférence si ce n'est avec mépris. Il n'est pas foncièrement méchant, mais ne se sent pas du tout concerné par ces gens-là. La relation mystérieuse qui unit le colonisateur au colonisé, cette alchimie complexe de fascination, de haine, d'amour, d'an- | |
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xiété et de préjugés, est traitée ici d'une manière par trop simpliste. Dans les séquences contemporaines du film, le bénéfice du doute est accordé aux deux parties. Les insurgés en font beaucoup, mais leur révolte est compréhensible. Les Néerlandais se comportent comme des éléphants dans un magasin de porcelaine mais leurs blessures sont bien réelles. Personne n'a raison, personne n'a tort. La manière dont tous ces sentiments sont portés à l'écran prouve que Hans Hylkema a dépassé le stade des drames télévisés. Oeroeg est un film adulte de tenue professionnelle, les performances des acteurs sont satisfaisantes, la prise de vue est correcte, le montage assez traditionnel mais approprié. La construction du scénario (de Jean van de Velde) n'est pas vraiment raffinée mais efficace, la dramaturgie faite d'une succession de flash backs, assez conventionnelle. Tout cela ne fait cependant pas un mauvais film d'Oeroeg. D'un point de vue technique, il est certainement réussi et il peut peutêtre donner une meilleure compréhension de cet épisode de l'histoire à des écoliers qui n'en n'ont jamais entendu parler. Par contre, si vous cherchez à approfondir le mécanisme du colonialisme, le film ne vous en apportera qu'une vision superficielle et par trop explicite. Oeroeg est complètement dépourvu de ces tensions imperceptibles, du mystère, de l'ambiguïté et de l'absurdité, principaux ingrédients des relations qu'entretenaient les colonisateurs avec les colonisés. Gerdin Linthorst
(Tr. M. Berlage) |
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