Paul Willems (o1912) (Photo Nicole Hellyn A.M.L.).
millénium éclair, 1981;
Suite irlandaise, 1987). Le sensible ne se livrant qu'au prix fort, il faut procéder, autant que possible, à l'effacement du sujet devant l'objet. Hanté par le sentiment que ‘le visible demeure ce qui nous échappe’, le travail de Guy Vaes semble s'orienter de plus en plus vers une recherche de l'accroissement de la perception grâce à une expérience du renoncement au moi et de la dépersonnalisation.
L'oeuvre de Paul Willems (o1912), entreprise dès la seconde guerre mondiale, participe du même climat où baigne celle de Guy Vaes. Dès Le Bon Vin de Monsieur Nuche (1949), le théâtre de Willems superpose la veille et le rêve, le réel et ses doubles. Les premières pièces privilégient encore le bonheur de l'instant dans la douceur de la nostalgie. Mais les pièces de la maturité (Warna ou le Poids de la neige, 1962; La Ville à Voile, 1967; Les Miroirs d'Ostende, 1974) mettent les spectateurs en présence d'un univers grinçant où les rêves des personnages ne résistent plus aux coups de boutoir de la réalité et où le thème central devient la recherche éperdue d'un temps qui abolirait la durée pour convoquer l'instant de la remémoration. Josty, dans La Ville à Voile, quitte Anvers pour Bornéo afin que sa ville à voile devienne vraiment le lieu de la mémoire, hors d'atteinte des hommes, des contingences et du temps. Mais cet ultime refuge sera refusé au Capitaine Brackx, dans la dernière pièce de Willems, La Vita Breve (1989). Ici, quoi qu'on fasse, on va au désastre. Le navire de Brackx a quitté Anvers, mais n'atteindra aucune destination. Sur le vaisseau du rêve et de la mémoire, le Capitaine deviendra le témoin pitoyable de l'effondrement de son dernier songe, incarné par une poupée pour marins destinée à perpétuer le souvenir de la belle Hamalissa rencontrée dans une maison close de Naples. Tout tourne mal, mais au moins ce sera une fin, pour citer les paroles d'un des personnages. Dans son plus récent texte en prose,
Le Pays noyé (1990), Willems donne à lire l'histoire de l'existence et de la destruction d'une civilisation imaginaire, celle d'Aquélone, située dans l'embouchure de l'Escaut. Toute vie y est soumise à des rituels poétiques qui ignorent toute loi. Mais la transgression de l'un des rituels par un fils d'Aquélone entraîne le déclin de la cité de l'estuaire offerte à la destruction par les mains de ses propres habitants. L'Empereur de la cité, partant à la rencontre de sa mort, envoie une jeune fille chargée de raconter l'histoire d'Aquélone et de réciter les poèmes de la ville et de ses habitants. Mais la nouvelle impératrice a interdit de raconter les légendes et de réciter les poèmes.
On ne peut qu'être frappé par la charge symbolique de ce récit sorti de la plume d'un des derniers grands représentants de la littérature française de Flandre. Ainsi périt Aquélone, pays à jamais perdu, lentement recouvert par la marée montante, dans l'estuaire de l'Escaut. Ainsi s'enfonce un pays rêvé, une cité de poésie, peuplée d'hommes de songes et de paroles et qui furent affreusement seuls dans leurs rêves.
CHRISTIAN BERG
Professeur de littérature française et francophone à la ‘Universitaire Instelling Antwerpen’.
Adresse: Dept. Romaanse, Universiteitsplein 1, B-2610 Wilrijk.