Jos van Eynde, dirigeant socialiste (1907-1992)
Le Parti socialiste belge (PSB) - Belgische Socialistische Partij (BSP) de l'après-guerre n'est plus, depuis de nombreuses années déjà, qu'un souvenir politique lointain. Le décès du dirigeant socialiste anversois Jos van Eynde, à l'âge de 85 ans, au printemps 1992, aura fait entrer le PSB-BSP définitivement dans l'histoire. Esseulé par suite de la maladie et de l'âge, l'homme que l'on disait incarner ‘notre père le PSB’ a dû assister avec beaucoup de regrets refoulés au déclin du socialisme à la belge.
Fils d'un typographe anversois, Theophiel Joris van Eynde trouva pour ainsi dire instinctivement sa voie vers le socialisme en travaillant à la
Volksgazet (Gazette populaire) anversoise, pendant disparu depuis plus d'une décennie déjà du quotidien socialiste de langue française
Le Peuple. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, Van Eynde devint rédacteur en chef de ‘sa’
Volksgazet ainsi que député socialiste d'Anvers. Ainsi naquit le personnage Jos van Eynde: journaliste, homme politique et pardessus tout socialiste belge. Van Eynde devint assez rapidement vice-président du PSB-BSP, forcément dans l'ombre d'un président francophone. Tout au long de sa vie politique, il demeurerait le second à bord, jusqu'à ce qu'au début des années 70 il fût obligé, plus à contre-coeur que de plein gré, de devenir président national, par ailleurs toujours flanqué d'un coprésident francophone. Jusqu'à l'ultime moment tragique, Van Eynde préféra, en effet, demeurer délibérément aveugle à la dualité flamando-wallonne au sein du modèle de société belge. Son PSB-BSP s'était entretemps scindé en un
Parti socialiste (PS) francophone et un
Socialistische partij (SP) flamand, et cela à la demande des
Jos van Eynde (1907-1992).
francophones, qu'il avait pourtant suivis les yeux fermés pendant de si longues années. Pour le journaliste Van Eynde, la fin se révéla tout aussi amère: concomitamment avec son socialisme belge, sa
Volksgazet périclita dans une faillite honteuse. On disait qu'il refusa pendant des années de publier les programmes de télévision dans son journal alléguant que ses ouvriers n'avaient pas la télévision!
‘Le meilleur polémiste de son époque’, disait de lui un journal en guise d'adieu. De mortuis nil nisi bene... Il ne faut pas dire du mal des morts... Sa plume de polémiste, trempée dans le vinaigre, donnait si peu dans la nuance et se montrait souvent si brutale, si incroyablement grossière, que bon nombre d'hommes politiques de l'époque, victimes de ses diatribes, ne seront guère enclins à ce rallier à cette appréciation positive. Van Eynde était indubitablement un spécimen unique dans la presse belge - son talent à vilipender ses adversaires politiques lui valut le sobriquet de ‘bison des polders’ - et il est vrai que par la suite on n'a plus trouvé de plume politique aussi virulente et acerbe. ‘Heureusement’, diront d'aucuns, pas tout à fait à tort. Pour ce qui est du contenu, par ailleurs, ses écrits ne procuraient guère de plaisir intellectuel: le parti, et personne d'autre, avait raison, toujours et partout!
Le socialiste Van Eynde était incapable de s'imaginer, en effet, que d'autres en dehors des socialistes belges puissent vouloir quelque bien aux ouvriers. Sûrement pas dans les rangs des catholiques, qui se laissaient dicter leurs faits et gestes par le cardinal de Malines! Pas parmi les flamingants non plus, qui étaient tous des collabos! Ne restaient que les libéraux, avec lesquels il n'y avait de moyen de discuter que lorsqu'il s'agissait de leur ennemi commun: les calotins! Le socialisme de Van Eynde équivalait à ses yeux à la libre-pensée ou, autrement dit, à l'anticléricalisme: le curé devait se confiner dans son église!
Mais le socialisme de Van Eynde était avant tout belge, au sens le plus unitaire du terme. Une fidélité inconditionnelle, au garde-à-vous, et cela au sens le plus traditionnel du terme. Van Eynde a volontiers accepté, pendant un quart de siècle, en tant que Flamand, d'être le second du parti. La direction francophone du socialisme belge ne fut jamais remise en question. Jouer au traducteur de service lui suffisait déjà amplement. Lorsque le chemin vers la présidence nationale flamande fut libre, il accepta sans broncher qu'un coprésident francophone lui fût adjoint. Les socialistes francophones avaient déjà pris congé, mentalement, de son socialisme typiquement belge, mais notre socialiste anversois continuait consciemment à adopter l'attitude de l'aveugle. Il ne pouvait s'imaginer, en effet, qu'un ouvrier flamand pût nourrir des aspirations autres que celles de son homologue wallon. La question en sens inverse ne fut même jamais posée. Jusqu'à ce qu'il dût, en 1977, cesser son combat devenu inutile depuis belle lurette déjà. Le socialisme belge avait vécu depuis longtemps déjà. Avec la disparition de la figure oubliée depuis tout un temps par la grande majorité du public qu'était devenu Jos van Eynde, semble s'effacer également le dernier souvenir vivant du socialisme de cette époque-là, de ce quart de siècle de l'histoire politique belge.
Marc Platel
(Tr. W. Devos)