La gloire de Van Gogh
Au Musée d'Orsay à Paris, le portrait vert et bleu de Van Gogh par lui-même, datant de l'automne 1889, côtoie celui qu'il a réalisé en 1890, l'année de sa mort, et qui représente le docteur Gachet, un personnage qui devait défrayer la chronique. Les deux tableaux ont figuré en 1990 aux cimaises de la grande exposition-souvenir d'Amsterdam et Otterlo, dont le Fonds Mercator nous a laissé comme trace tangible un catalogue de six centimètres d'épaisseur et de quatre kilos. Incontestablement, un témoin de poids de l'extraordinaire vogue actuelle de Vincent van Gogh (1853-1890), tout comme de l'engouement suscité par cette même exposition - 1 300 000 visiteurs contre les 495 000 de l'Orangerie en 1972! - sans parler
Vincent van Gogh, ‘Le docteur Gachet’, 66 × 57, 1890.
du chiffre record des 36,3 millions de dollars que l'assureur japonais Yasuda a offerts chez Christie's pour acquérir les célèbres
Zonnebloemen (Tournesols). Un succès retentissant - totalement démesuré, estimeront certains - pour un artiste qui, de son vivant, n'a guère été capable de vendre qu'une seule de ses toiles.
La sociologue française Nathalie Heinich, déjà auteur d'une étude sur l'histoire de la notion d'artiste en France dans laquelle elle décrivait et illustrait le thème de l'admiration, publie aujourd'hui aux Éditions de Minuit La Gloire de Van Gogh, un ouvrage qu'elle qualifie elle-même ‘d'essai d'anthropologie de l'admiration’. Il ne manquait à Vincent que de se voir disséqué par le scalpel de la sociologie!
Au demeurant, ce livre n'est pas d'un abord facile, avec son matériau touffu, son jargon abstrait et son art consommé de l'antithèse. En subtile analyste, Heinich juge sans ménagement le comportement des hommes et s'évertue à mettre à jour leurs mobiles profonds. Très lucide, par exemple, à propos du marché des oeuvres d'art, elle retrace avec justesse les avatars de l'oeuvre de Van Gogh et les remous provoqués depuis un siècle par sa mémoire. Son diagnostic des événements et des documents qui s'y rapportent en fait certainement un outil appréciable, ne fût-ce que pour nous aider à relativiser le culte voué à certains