Une liaison dangereuse:
la correspondance d'Isabelle de Charrière avec Constant d'Hermenches
Un colloque en 1974 au château de Zuylen où naquit Isabelle de Charrière - Belle de Zuylen (1740-1805), a suffi pour lui donner l'éclat d'un auteur moderne; il est à l'origine de l'édition scientifique de ses OEuvres Complètes (1979-1984); celles-ci donnèrent lieu à leur tour à de nouvelles publications grâce aux nombreux textes inconnus qui furent divulgués dans les 10 volumes que comportait cette édition.
En France, c'est Isabelle Vissière, agrégée de lettres et maître de conférences à l'Université de Provence, qui par trois éditions déjà a beaucoup contribué à faire mieux connaître cet auteur international, un auteur qui semble être plus près du xxe siècle que du siècle passé.
Sa première publication en ce domaine, Une aristocrate révolutionnaire faisait ressortir l'attitude d'Isabelle de Charrière à l'époque de la Révolution à travers ses propres ouvrages et ses lettres à divers correspondants, dont le plus connu était Benjamin Constant. Le succès de cette édition incita I. Vissière et son mari Jean-Louis à présenter un autre épisode de la vie de l'écrivain. Cette fois on la retrouve dans sa correspondance avec Constant d'Hermenches, entamée en 1760 lorsqu'elle était encore Belle de Zuylen. Elle avait 19 ans, lui 37, il était marié et il avait une réputation de libertin.
Avant l'édition des OEuvres Complètes, on ne connaissait qu'une partie de cette correspondance publiée par Philippe Godet en 1909. La nouvelle édition qui vient de paraître sous le titre adéquat Une liaison dangereuse forme un imposant volume de 600 pages, car cette correspondance, qui a duré 16 ans, est quasi complète, les auteurs ayant eu eux-mêmes le désir de la conserver.
Mme et M. Vissière possèdent comme peu d'autres l'art de présenter des textes: dans une introduction claire et rapide ils esquissent un portrait des deux personnages qui appartenaient à un monde différent, mais qui dès leur première rencontre ‘ont toujours vécu à l'unisson dans la plus grande intimité du coeur et de l'esprit’. Une intimité qui ne s'exprimera que sur papier, car leurs rencontres furent rares et brèves! Cette liaison épistolaire n'était pourtant pas exempte de scènes émouvantes. Belle de Zuylen les raconte avec une sincérité et une verve extraordinaires, mais elle parlera surtout d'elle-même, et son correspondant encouragera ces sortes de confessions. Une fascination réciproque permet à Belle de s'exprimer plus ouvertement envers d'Hermenches ‘libertin’ qu'envers ses parents, liés à leur classe, leur religion et leurs normes.