ment syndical dut chercher des impulsions nouvelles, laisser plus de place au changement et dépasser ainsi les structures par trop complexes qui s'étaient mises en place avec le temps.
Au sein des entreprises, on lutta en faveur d'une plus grande latitude pour les syndicats; à l'intérieur même des syndicats, il fut procédé notamment à un véritable rajeunissement et aggiornamento.
Les ‘golden sixties’ touchaient donc presque à leur fin lorsque Houthuys accéda à la tête de l'ACV. La crise des années 70 arracha tout le monde à la rêverie, y compris les syndicats. L'époque du ‘toujours un peu plus’ était bel et bien révolue. Une révision du vocabulaire traditionnel du syndicat s'avéra indispensable. Les suites de mai 68, les grèves violentes des mineurs limbourgeois de 1970, l'infiltration du syndicat traditionnel par l'extrême gauche, grèves sauvages et même occupations d'entreprises laissaient à peine une période de rodage au nouveau dirigeant syndical. Mais ce n'est pas sans raison que Houthuys donna à ses mémoires le titre Seuls les optimistes survivront.
Arborant presque constamment un sourire, le nouveau patron de l'ACV non seulement se maintint à son poste, mais il réussit même à faire oublier son prédécesseur August Cool tout aussi légendaire et continua, lorsque la nécessité s'en faisait ressentir, en coulisse, à ‘faire de la politique’ - expression que les syndicalistes abhorraient pourtant... Ainsi le gouvernement Tindemans, par exemple, a-t-il été contraint pas les syndicats, en 1977, à démissionner: conjointement avec le syndicat socialiste Houthuys fit en sorte - plutôt à contrecoeur que de plein gré, devait-il raconter par la suite - que le gouvernement ne survécût pas politiquement aux grèves dites du vendredi. Dans un entretien à coeur ouvert peu de temps avant sa mort, il faisait comprendre sans ambages qu'un premier ministre démocrate-chrétien qui n'écoute pas la voix du syndicat s'expose à des difficultés. Quelques années après, toutefois, ce même Houthuys n'hésita pas à patronner la naissance d'une coalition tout aussi démocrate-chrétienne-libérale que le gouvernement Tindemans-De Clercq.
Toujours lors du même entretien, Houthuys parlait ouvertement des conversations discrètes entre lui-même, Martens, Fons Verplaetse (o1936), l'actuel gouverneur de la Banque nationale, et Hubert Detremmerie (o1930), patron de la banque d'épargne Belgische Arbeiderscoöperatieve / Coopérative ouvriére belge, à Poupehan, petite commune blottie dans l'un des méandres de la Semois, au fin fond de l'Ardenne. A eux quatre, ils y conçurent au début des années 80 la politique de redressement économique et social. C'est là, dans la petite maison de vacances de Verplaetse, que fut élaborée la stratégie du gouvernement et du syndicat pour faire accepter par la base le train de mesures d'économie, la limitation du couplage des salaires à l'indice des prix à la consommation, pourtant présenté comme sacré et intouchable. Houthuys doit y avoir dit: ‘Chers amis, ce que vous dites doit se faire; moi, je ferai en sorte que cela puisse se faire’. Le dirigeant syndical, qui s'enorgueillit d'avoir fait de la politique, contribua à faire exécuter la politique dont il était l'un des inspirateurs. Il voulait aussi contraindre son propre syndicat à se transformer de ‘répartisseur des richesses’ en ‘répartisseur des modérations’. Luimême n'utilisait pas le terme de ‘modérations’ mais préférait celui de ‘sacrifices’, sacrifices au bénéfice de l'emploi, terme qui, dans sa bouche, résonnait comme une profession de foi au cours des dernières années.
Ce dirigeant syndical fut incontestablement un Flamand sincère et convaincu. Toutefois, la recherche fébrile d'un nouveau modèle de société belge n'était certes pas sa première préoccupation. Il confia, un jour, avec conviction sa ‘profession de foi’ belge à l'hebdomadaire de langue française La Cité dans les termes suivants: ‘On ne signifie rien, à l'étranger, comme Flandre, Wallonie ou Bruxelles. Les travailleurs pensent: la Belgique, c'est mon pays, on doit s'entendre. Une partie de note richesse réside dans le mélange de cultures et de langues. Je plaide pour l'apprentissage d'un maximum de langues’. ■
Marc Platel
(Tr. W. Devos)