Un Mai centenaire
Presque impossible d'imaginer plus beau. L'histoire de la littérature néerlandaise commence au début du douzième siècle par ces lignes solitaires, trouvées à Oxford sur la page de garde d'un manuscrit latin: ‘Hebban olla vogala nestas bigunnan hinase hi[c] enda thu’, ce qui signifie: Tous les oiseaux ont commencé des nids hormis moi et toi.
C'est si printanières, si remplies de désir amoureux que la langue et la littérature néerlandaises apparaissent sur la première page du livre d'histoire littéraire. Et quand, plus avant dans le douzième siècle, le Limbourgeois Heynric van Veldeken, le plus ancien poète des Pays-Bas dont nous connaissions le nom, écrit ses lieder d'amour courtois, printemps et amour éclatent à nouveau. Et il n'en sera guère autrement quand, en mars 1889, le jeune poète Herman Gorter (1864-1927) publiera son long poème symbolique Mei (Mai), un de ces joyaux de la nouvelle poésie qui changeraient, il y a cent ans, le visage de la littérature néerlandaise. Cela se fit avec tant d'élan, d'inventivité et de virtuosité, que la littérature antérieure du dixneuvième siècle ne commence que de nos jours à se remettre un peu de ce soudain déferlement, encore n'est-ce pratiquement que dans les milieux de l'histoire de la littérature, qui ont longtemps considéré les prédécesseurs et contemporains plus âgés de la génération de Gorter, les Tachtigers (écrivains du mouvement de quatre-vingt) presque exclusivement en se situant dans la perspective des novateurs bien vite canonisés.
L'élan du poème long de plus de 4500 vers que Gorter a consacré à la demoiselle Mei, à sa venue sur terre, à son amour tragique pour le dieu solipsiste Balder, à son retour sur terre et à sa mort, éclate d'emblée dans les vers liminaires débordants d'assurance, dont le premier notamment est devenu si classique que même les publicitaires en viennent à le citer de temps à autre, supposant peut-être qu'il s'agit là d'un proverbe anonyme: ‘Een nieuwe lente en een nieuw geluid’ (Un nouveau printemps et un son nouveau).
Vingt-sept vers plus loin, nous pouvons lire:
Eclate en scions, une jeune frondaison
Surgeonne: Ecoute, un son nouveau résonne:
Un jeune capitaine se dresse, vêtu d'azur et d'or
Au cave portail clame un héraut retentissant.
Le poète est tout à la fois capitaine et héraut: les mots qu'il clame, les vers par lesquels il éblouit, dans le cas présent, ne sont nullement inégaux aux exploits surprenants d'un conquérant.
Il est fascinant de voir comment le jeune Gorter dans son prologue règle le perpétuel chassé-croisé des mots ‘neuf’, ‘vieux’, ‘tard’ et ‘jeune’. Comment dans son lied de mai, il introduit déjà d'emblée l'été par exemple dans le mot ‘zomernacht’ (nuit d'été) et comment il nous offre à voir presque en passant la maturité de cerises encore jeunes, de cerises de mai, comme pour nous pénétrer d'emblée de l'idée que le neuf ne peut jamais être réellement neuf et frais et qu'inversement dans le vieux une nouvelle vitalité peut éclore. Le neuf erre à travers le vieux et vice-versa, comme ce jeune flûtiste à travers la vieille petite cité, comme un inconscient taedium vitae (‘blijheid om de avondrust’ - joie du calme vespéral) à travers l'âme de ce jeune garçon. Pour faire partie du cycle des saisons, chaque printemps est à la fois vieux et neuf.
On a beaucoup écrit sur la signification de Mei et il y a tout lieu de croire que ce poème, comme il convient à toute bonne poésie, ne se