que les éditeurs qui se sont imposés sans trahir la littérature pour un plat de lentilles, ni scier la branche sur laquelle ils étaient assis - et ils ne sont pas légion - ont utilisé les ressources de leur audace et de leur obstination pour ne pas outrepasser les moyens dont ils disposaient, et cependant en tirer un parti que les autres, plus timorés, moins tenaces, n'avaient pas imaginé’. Soit dit en passant, l'éditeur dément formellement les rumeurs selon lesquelles il serait lourdement subventionné grâce à ses accointances avec le président de la République. Non, le succès, Nyssen l'a forgé lui-même, grâce surtout à une conception audacieuse du rôle de l'éditeur, grâce à ‘l'obstination à penser qu'éditer, c'est découvrir. Car il est plus important de découvrir des auteurs et des oeuvres que de se demander s'il ne faut pas s'installer dans le sixième arrondissement de Paris. Plus important de découvrir (avec quelque difficulté parfois à convaincre) que de chercher à faire des coups. Plus important de découvrir que de s'engager dans le clientélisme éditorial. Plus important de découvrir des livres que de convoiter des prébendes. Plus important de découvrir - donc de précéder - que de suivre’. C'est cette politique de la découverte qui explique qu'on ne trouvera pas les noms des stars dans sa collection: on ne découvre pas une star!
Voilà le concept éditorial auquel Hubert Nyssen tente de donner forme avec son équipe: quatre directeurs (dont sa fille Françoise) ‘une dizaine de collaborateurs, une douzaine de conseillers extérieurs et une trentaine de traducteurs. En dix ans, cette équipe a réalisé pas moins de cinq cents titres et ce dans des domaines aussi divers que le roman, les mémoires, la poésie, le théâtre, l'essai littéraire, la philosophie, les sciences, les sciences humaines et politiques, les actes de colloque, la musique, la peinture, la cuisine, les revues... Ces dernières années, la production s'est stabilisée autour de quatre-vingts titres par an!
Parmi ces nombreux titres, on trouve un nombre surprenant de traductions, à partir de vingt-trois langues étrangères! Pour le seul roman, les éditions Actes Sud ont sorti - ou sont sur le point de sortir - quelque cent quarante titres. Pour les lettres néerlandaises, on dénombre déjà quatorze romans et un volume consacré à la Poésie flamande d'aujourd'hui (présenté et traduit par Albert Bontridder, 1986). Ont paru, d'après le catalogue 1978-1988, les six romans suivants: Hugo Claus, Honte (1987), Ivo Michiels, Femme entre chien et loup (1986) - le roman écrit pour le film d'André Delvaux - et Les femmes de l'archange (1987), Harry Mulisch, Deux femmes (1986), Cees Nooteboom, Mokusei! (1987) et Hella S. Haasse, Un goût d'amandes amères (1988). Sont annoncés, de nouveaux titres de Michiels, de Mulisch et de Nooteboom et trois ‘nouveaux’: Maarten 't Hart, Willem Frederik Hermans et Monika van Paemel (ce qui fera en tout - provisoirement sans doute - trois auteurs flamands et cinq néerlandais). On peut avancer dès maintenant que cette ‘collection’ de romans néerlandais traduits en français constitue la série la plus représentative pour l'instant. Il ne faudrait pas croire que Nyssen nourrisse une affection particulière pour les lettres néerlandaises. Pour lui, ce qui compte, c'est l'ouverture à l'autre, à la transversalité culturelle. ‘Si nous avons choisi de publier Harry Mulisch ou Cees Nooteboom, ..., ce n'est pas pour leur nationalité ni dans l'idée d'avoir une collection hollandaise, mais parce que leurs livres nous ont fascinés et que nous les avons trouvés
d'excellente compagnie pour ceux, de toutes origines, que nous avions déjà au catalogue’. C'est dans le même esprit que Nyssen publie également les auteurs scandinaves, convaincu ‘qu'une langue minoritaire n'induit pas une littérature mineure’.
Selon l'esprit d'équipe qui caractérise la maison, Nyssen se devait aussi de créer une équipe de traducteurs. Marie Hooghe et Philippe Noble (membre du comité de rédaction de Septentrion) peuvent être considérés comme la cheville ouvrière des traductions à partir du néerlandais. Au besoin, il leur adjoint des traducteurs spécialisés dans tel ou tel auteur, ainsi Alain van Crugten pour les oeuvres de Hugo Claus par exemple (on peut espérer que de cette façon, les lettres néerlandaises pourront bénéficier bientôt du talent d'une poignée de traducteurs de qualité, chose nécessaire si l'on veut aboutir un jour à présenter un échantillon représentatif de notre littérature au public français).
Ces traducteurs sont de véritables collaborateurs de Nyssen, au sens dynamique du mot. Il leur dit: ‘N'attendez pas qu'on vous dise de traduire, parlez-nous des oeuvres qui, dans votre domaine, vous paraissent importantes’. Et il a le plaisir de constater que les bons traducteurs sont aussi de fins limiers. Ainsi ils rejoignent sa notion-clé, celle de la découverte: ‘Je ne cesse de m'étonner qu'au traducteur on ne reconnaisse pas la qualité de découvreur’. Le bon traducteur, c'est celui qui aime un texte, l'a lu vingt fois avec délice et qui, par éditeur interposé, le livre au lecteur. ‘Quel homme, ayant un si intime rapport avec les oeuvres d'une certaine langue, n'y serait en même temps un connaisseur!’
Cette collaboration cordiale, affectueuse voire amicale, Nyssen l'entretient aussi avec la plupart des auteurs qu'il édite. L'éditeur et son double témoigne à plusieurs endroits des liens d'amitié qui le lient à ses auteurs. Pour nous en tenir aux auteurs écrivant en néerlandais, il est touchant de voir comment Harry Mulisch qui, à une autre occasion, avait rembarré Nyssen, se laisse amadouer au point de passer aux confidences: il ne se sent pas aimé en France, même après la parution de son roman L'attentat (traduit par Philippe Noble). Mais il igno-